Ouvrier aux États-Unis ça craint

mis en ligne le 26 novembre 2009

Et nous nous plaignons ! Nous nous plaignons que François Chérèque pratique le cunnilingus quotidien sur la personne de Laurence Parisot, laquelle est aussi l’entraîneuse au championnat du monde de reptation de Bernard Thibault ! Nous nous plaignons qu’on se suicide à tout-va dans notre ex-compagnie du téléphone (en attendant les cercueils de postiers) ! Que dirions-nous si nous avions le bonheur de travailler dans la patrie de la liberté ? Marianne Debouzy, auteure du récent Le Monde du travail aux États-Unis : les temps difficiles (1980-2005), chez l’Harmattan (26 euros), ne pense pas que nous sauterions de joie. Son opus magnum retrace la descente aux enfers du monde du travail américain. On objectera immédiatement qu’on ne voit guère quand les temps furent roses dans la patrie du renard libre dans le poulailler libre. Car si se mettre en grève en France n’est déjà pas une partie de plaisir, aux États-Unis, c’est souvent leur peau que les grévistes ont risquée, que ce soit dans les combats avec des jaunes, les combats plus durs avec les milices privées, et armées, du patronat, voire avec la National Guard.

Marianne Debouzy rappelle en conséquence la réalité des syndicats américains, très puissants dans quelques industries, mais qui « ne remettent pas en cause l’ordre existant. Ils sont des prestataires de services, des sortes de compagnies d’assurance qui négocient avec les employeurs, assurance maladie et retraites ». Bureaucratie syndicale chez nous ? Souvenons-nous que, là-bas, le puissant syndicat des Teamsters, les camionneurs, était carrément dirigé par un vrai mafieux, Jimmy Hoffa.

Son livre analyse les méthodes, expérimentées outre-Atlantique mais à présent vite copiées ici, pour réduire à néant même ces douteux refuges des travailleurs. « La nouvelle organisation du travail induit un délitement des équipes et des solidarités par la rotation du personnel, la flexibilité des horaires, l’individualisation du temps de travail et des rémunérations, la précarité. On voit comment sont attaquées les anciennes solidarités dans les usines qui ont adopté le modèle japonais. Or, aux États-Unis, la solidarité ouvrière a tendance à ne s’exprimer que sur le lieu de travail, pas à l’extérieur, pas dans les quartiers d’habitation pour cause d’absence de relais politiques, de traditions, et aussi pour cause de ségrégation résidentielle, les ouvriers ne voulant pas voir baisser la valeur de leur maison avec l’arrivée des Noirs. La classe ouvrière industrielle a été déstabilisée par les licenciements massifs, les fermetures d’usine, la disparition physique de leurs lieux de travail. Si l’on parcourt certaines régions désertifiées du Rust Belt, on serait tenté de parler de liquidation du monde ouvrier industriel. »

La solidarité serait pourtant le seul moyen de s’en sortir pour les millions et les millions de personnes qui végètent dans les millions de McJobs, les emplois précaires, mal payés, dangereux, sans la moindre perspective d’avenir. Et idiots : « On peut citer l’exemple bien connu de la restauration rapide où, comme dans beaucoup d’autres activités des services, les travailleurs sont dépossédés de tout savoir-faire, réduits à accomplir des gestes programmés et à gérer une situation pleine de contradictions, offrir au client le meilleur service en lui consacrant le moins de temps possible. Un employé retraité de chez McDonalds témoigne : vous n’avez pas besoin de savoir faire la cuisine, vous n’avez pas besoin de savoir penser. Il y a une procédure pour tout et il vous faut juste suivre les procédures. C’est du taylorisme modernisé grâce à l’ordinateur qui calcule la longueur des frites, la durée de la friture… Rien n’est laissé à l’initiative des salariés, sauf le nombre des rondelles de cornichons : “Deux, si elles sont de taille normale, trois si elles sont petites. C’est la partie créative.” »

Pour s’assurer que rien ne vient aider la naissance de la solidarité contre les employeurs, on connaît maintenant l’astuce, ici aussi, en France : devenez votre propre patron ! À chacun son entreprise ! Le statut d’« auto-entrepreneur » est ainsi présenté par Toto-les-Ray-Ban comme le salut du travailleur, son marchepied dans le monde heureux du « travailler plus pour gagner plus ». Lisons ce qu’en dit Marianne Debouzy : « C’est également le cas des travailleurs qui assument une des fonctions les plus dangereuses qui soient dans l’industrie de la viande, à savoir les équipes de nuit qui nettoient les abattoirs. Ces travailleurs sont pour la plupart des immigrés en situation irrégulière. Ils sont considérés comme des independent contractors employés non par les firmes de l’industrie, mais par les entreprises de nettoyage. Ils ont un salaire inférieur de près d’un tiers à celui des ouvriers de la production et c’est le pire emploi qui existe aux États-Unis, comme en témoigne le taux très élevé d’accidents du travail (mutilations, amputations…) car ils sont exposés à l’eau brûlante chargée de produits chimiques, aux dangers de l’obscurité et des glissades sur le sol trempé, mais ils sont “indépendants”. »