Copenhague : chant des sirènes ou chant du cygne ?

mis en ligne le 10 décembre 2009
L’échec des luttes internationales contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues aux activités humaines est sans appel : en 2008, la combustion des ressources fossiles (pétrole, charbon, gaz, etc.) qui, outre la déforestation, constitue l’essentiel des émissions humaines de CO2, a augmenté de 41 % par rapport à 1990, année de référence du protocole de Kyoto 1.
« En dépit du léger ralentissement noté en 2008 et du recul prévu pour 2009, les émissions de la décennie en cours se situent légèrement au-delà du plus pessimiste des scénarios proposés par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) dans ses rapports successifs 2. »
Une évolution totalement incompatible avec l’objectif d’une division mondiale par deux des émissions de GES d’ici 2050, sans laquelle les conséquences du changement climatique seraient dramatiques !
En un siècle, les températures se sont déjà élevées de 0,7 °C et le changement climatique devient de plus en plus perceptible : la fonte des glaces du Groënland s’est accélérée de 30 % depuis 1979 et l’élévation moyenne mondiale du niveau de la mer est actuellement de 80 % supérieure aux prévisions du GIEC 3.

Le changement climatique, une réalité
Si de nombreuses incertitudes scientifiques subsistent indéniablement sur l’évolution du climat et de ses conséquences (acidification des océans, réponse globale de la végétation terrestre, biodiversité, production agricole, etc.), des négateurs viennent régulièrement contester la réalité du changement climatique. Récemment, un géophysicien est venu expliquer sur France 2 que le Soleil était « un déterminant majeur du climat ». Alors que les années 2007 à 2009 sont au plus bas niveau d’activité solaire depuis 1910, elles font pourtant partie des dix années les plus chaudes depuis un siècle 4 ! Les attaques visant à nier le phénomène du changement climatique relèvent toujours d’une approche partielle et tronquée mais, comme le souligne une directrice de recherche du Laboratoire des sciences du climat : « Jusqu’à présent, personne ni aucune expérience n’ont permis de contredire la responsabilité des gaz à effet de serre dans la hausse des températures 5. »
Si la bombe à retardement climatique nous laisse quelques décennies avant de produire ses effets, la menace la plus immédiate se situe en amont du cycle du carbone, dans l’épuisement accéléré des ressources énergétiques fossiles. Même la très « abondanciste » Agence internationale de l’énergie (AIE) reconnaît désormais l’imminence d’un pic pétrolier. à ce jour, aucun progrès technologique n’a permis d’enrayer la boulimie consumériste nécessaire à la croissance économique mondiale. Ces contradictions nous placent dans la perspective d’un effondrement progressif de l’économie, aux conséquences sociales dramatiques pour les populations les plus vulnérables 6.

L’échec de Kyoto
Face aux enjeux énergétiques et climatiques, les états apportent de mauvaises réponses. En signant le protocole de Kyoto, un certain nombre de pays industrialisés se sont engagés à limiter leurs propres émissions de GES entre 1990 et 2012 et certains pays, comme la France, se targuent même de leur réussite. Pourtant l’objectif de réduction de 5 % des GES, à peu près tenu grâce à la crise, est non seulement dérisoire, mais il s’applique à des pays qui ne représentent actuellement plus que 30 % des émissions mondiales 7. De plus, le commerce international maritime et aérien n’est pas comptabilisé. Enfin et surtout, le mode de décompte retenu par le protocole de Kyoto reste une véritable arnaque : les émissions de GES sont imputées aux seuls pays producteurs et non aux consommateurs. Ainsi en 2005, un tiers des émissions de la Chine étaient liées à la production de biens destinés à être exportés en Occident 8. Avec Kyoto, les pays riches se sont donc avant tout acheté une morale à bon compte en transférant la production nécessaire à leur propre consommation vers les pays « émergents », pour aboutir à l’échec que l’on connaît !
N’en déplaise aux chantres du capitalisme vert, le lien entre croissance économique et prédation de la planète est avéré : le dernier rapport Planète Vivante 2008 montre bien la corrélation entre richesse monétaire et hausse individuelle de l’empreinte écologique 9.
Sur les questions énergétiques, les capitalistes aux abois orientent leurs efforts vers tout ce qui est susceptible de relancer le marché : de l’amélioration des performances énergétiques (cf. le secteur de l’automobile où il faut sans cesse remplacer pour vendre) au développement industriel des énergies renouvelables en passant par le maintien sous perfusion de la filière nucléaire.
Or ces politiques ont fait la preuve de leur inefficacité : en France, dans le secteur des transports, la baisse de la consommation unitaire des véhicules a été largement annihilée par la croissance du parc de véhicules, leur niveau de confort et les distances parcourues. Quant au supposé développement des énergies renouvelables, leur part dans la production totale d’énergie primaire est en France, inférieure à leur niveau de 1990 10 !
Si on en est arrivé là, c’est que le système capitaliste est structurellement dans l’incapacité de maîtriser la demande d’énergie, et pour cause : celui-ci ne peut s’affranchir du bon vieux principe « Plus je casse, plus je remplace, plus je m’enrichis ». Condamné à croître pour ne pas aborder la question explosive de la répartition des richesses (Robert Heilbroner), le capitalisme est par nature dans l’incapacité d’actionner le seul véritable levier utile, la sobriété énergétique.
La division du travail, l’explosion du commerce international, l’enfermement de l’individu dans un individualisme consumériste, etc., tous ces éléments sont nécessaires à l’accumulation du capital. C’est pourquoi, à Copenhague ou ailleurs, tant que les lois du capitalisme et de la croissance primeront, le climat se déréglera !

Pour un catastrophisme éclairé
Résumons-nous : si d’un côté la prédation des ressources s’accélère et que de l’autre, celle-ci est vitale pour le système capitaliste, alors toutes les conditions d’une catastrophe annoncée sont réunies.
Nous autres, anarchistes, ne sommes pas prêts à renoncer à notre lucidité sous prétexte que nos analyses conduiraient au défaitisme ou effraieraient les populations. Ce catastrophisme n’a rien à voir avec les thèses millénaristes fondées sur l’espérance en une rédemption qui viendrait après la fin du monde. Anarchistes, nous l’étions bien avant que l’ampleur des dégâts écologiques ne nous donne encore un peu plus raison.
Le catastrophisme éclairé 11 est une posture intellectuelle consistant à se placer d’emblée après la catastrophe afin de mieux l’éviter, de façon à ce que lorsque celle-ci survient, nous ne soyons pas surpris mais le mieux préparés possible.
Au point où nous en sommes, il est important de comprendre que notre modèle de développement n’évolue pas de façon linéaire : en matière de climat ou de ressources énergétiques, le franchissement de plusieurs points de basculement peut entraîner des dégradations irréversibles 12. Or, actuellement, le mouvement social (à l’intérieur duquel les anarchistes ne pèsent pas suffisamment) n’est pas en mesure d’enrayer la fuite en avant du système capitaliste.
Malheureusement, seule l’exacerbation des catastrophes paraît susceptible de créer les conditions d’une réaction d’ampleur. Et dans une telle situation, les valeurs de coopération, d’entraide et la capacité à développer des activités autonomes et de proximité seront alors déterminantes.

Les alternatives et le fédéralisme autogestionnaire
Heureusement existent de nombreuses initiatives autogérées (Amap, Sel, Scop, etc.) dans lesquels les populations s’investissent librement. Elles constituent d’indispensables points d’ancrage pour une relocalisation de l’économie. Parce que nous ne sommes pas des survivalistes 13 et qu’en tant qu’anarchistes, nous avons un projet de transformation sociale, notre tâche la plus urgente est de nous investir au côté de ces alternatives. à partir de notre propre expérience et de nos propres analyses, il s’agit donc d’en faire connaître les modalités pratiques tout en apportant notre regard critique libertaire. Il s’agit aussi, en tant qu’anarchistes, de pousser ces alternatives dans le sens du fédéralisme autogestionnaire et de montrer qu’ensemble, elles peuvent faire sens et permettre de gérer la société. Au-delà de l’indispensable révolte, c’est ce système cohérent que nous devons nous atteler à construire.

1. Étude annuelle du consortium scientifique Global Carbon Project, publié dans Nature Geoscience du 19 novembre 2009, cité par Le Monde du 18 novembre 2009.
2. Le Monde du 18 novembre 2009.
3. Publié le 24 novembre 2009 par une équipe internationale de 26 scientifiques qui recense les découvertes les plus récentes, non prises en compte dans le dernier rapport du Giec.
4. Voir l’intéressant démontage de l’argumentaire d’un géophysicien « climato-sceptique » sur http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/11/climat-france2-dérape.html
5. Propos de Nathalie de Noblet rapportés par Le Figaro du 25 novembre 2009.
6. Voir l’article d’Agnès Sinaï dans Entropia (n° 7, automne 2009) sur la liquidation des services publics en Californie suite à la banqueroute de l’État.
7. Journal de l’Environnement (JDLE), 16 novembre 2009.
8. Energy Policy, 24 juillet 2008 cité par le JDLE.
9. Rapport Planète Vivante 2008, WWF, p. 27.
10. IFEN, données 2007.
11. Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2004.
12. Voir l’étude « provocatrice » sur les neuf seuils biophysiques identifiés à ne pas dépasser sous peine de conséquences catastrophiques, sur www.goodplanet.info/
13. Pour faire face aux catastrophes écologiques et sociales annoncées, les survivalistes optent pour le repli sur soi et l’autarcie.