Un film mal élevé : Persécution de Patrice Chéreau

mis en ligne le 17 décembre 2009
Une histoire d’amour, mais entre qui et qui ? Une histoire de persécution(s), mais entre qui et qui ? Est-ce l’amour qui unit Sonia (Charlotte Gainsbourg) et Daniel (Romain Duris), leur amour malmené qui a été chassé par une jalousie maladive, des soupçons infondés et une volonté de préférer la trahison de l’être aimé à la misérable existence d’un soupçonneux pathologique ? Nous voyons tout de suite que ces deux-là s’aiment à la folie et pour toujours et que c’est justement cela qui va tout mettre en question. Est-ce l’amour qui prévaut dans ce lien curieux entre Daniel et son ami Michel qui veut travailler avec lui, car il a perdu son boulot ? La nature de leur lien est très ambiguë, sauf quand il s’agit de dire – et il le dira trop vite et trop souvent – qu’il n’aime pas Sonia. Il trouve que son ami Daniel perd du temps et qu’il devrait en finir. De l’amour peut être, du désir certainement régissent les rapports entre Daniel et un homme qui le suit comme son ombre. Sur le générique il se nomme le lunatique ou le fou. Jean-Hugues Anglade (le fou lunatique) suit donc Daniel comme une ombre, s’introduit dans sa vie avec la brutalité d’un cambrioleur, avec la délicatesse de quelqu’un qui a connu autre chose dans sa vie et en même temps avec la souffrance de quelqu’un qui est authentiquement touché par un sentiment trop fort pour lui.
Un film pas bien élevé, pas bien convenable, pénible par moments, mais quelle richesse dans l’élaboration d’une proposition non convenue d’amours impossibles. On est loin du discours sur l’état de l’amoureux transi, pathétique.
En revanche, il y a là une étude percutante sur l’éternel bouleversement de l’amoureux ou de l’amoureuse. Discours d’un réalisateur, expert dans cette question, qui semble se regarder faire lui-même, tendre son cul en désespoir de cause, engueuler Daniel de se décider enfin d’aimer cette femme qui l’aime. Film sur l’indécision, alors que Intimacy travaillait son versant opposé, vu la surdétermination de cet homme qui voulait continuer à faire l’amour avec cette femme dont il ne pouvait plus se passer.
Comme souvent dans les films de Chéreau, il semble être plus inspiré pour montrer les tourments du fou obsessionnel que les peines de cœur de Daniel qui nous laissent assez froids. La mise en scène redouble d’inventivité pour créer ce décor qui avale les êtres ou les découvre sous un pan ou un plastique de parois non solides des éternels chantiers où Daniel se perdra. Et où tant d’autres peuvent se cacher !
Quelle justesse dans la peinture du manque qu’un autre peut créer et que d’autres encore peuvent menacer ! Clarice Lispector dit que l’amour c’est l’enfer, l’état de la perte de soi et le manque de repères. « Sans toi, je ne peux plus vivre » est le constat de ce manque pour lequel il n’y a pas de remède.
Aucun des couples plus ou moins convenus du film n’endosse cette posture. C’est le fou lunatique (Anglade) seul, son personnage qui exprime ce besoin et cette détresse. Qu’il tende son cul nu à quelqu’un qui n’en veut pas, qu’il casse tout ou qu’il écoute enfin assis sur une chaise – après l’avoir forcé à parler, à lui parler : c’est Jean-Hugues Anglade qui incarne cette position intenable, pénible et celle de la détresse absolue : sans l’être aimé je ne suis rien.
La spirale aspirante du film peut déranger. Laissez-vous porter ou détournez les yeux de ce spectacle si ordinaire des gens qui se ratent, qui passent à côté de ce qu’il y a de meilleur dans leur vie, qui décidément s’enfoncent dans le trou noir du désespoir pour des bêtises.