Anarchistes, mode d’emploi

mis en ligne le 14 janvier 2010
Joli exercice qu’a réussi Irène Pereira avec Anarchistes : une centaine de petites pages pour expliquer les bases de l’anarchisme à un public jeune, en termes simples et clairs, distinguant bien résumés historiques et positions personnelles. Quelques points de repère, une bibliographie et un répertoire de sites accessibles, des citations chocs en font un livre utile pour les « débutants ».
À la distinction traditionnelle entre individualistes, syndicalistes et communistes, l’auteure oppose la sienne, bâtie sur une logique différente : elle appelle communisme libertaire le courant fondé sur la lutte de classes (qui comprend donc le syndicalisme), anarcho-communisme la conception humaniste à la Kropotkine, individualisme l’anarchisme « mode de vie ». Toute systématisation est arbitraire ; celle-ci enfreint volontairement les notions historiquement admises : ni Bible ni maîtres !
Le communisme libertaire a les préférences d’Irène Pereira. Elle galope à travers l’histoire du mouvement, de Bakounine à Pierre Besnard en passant par les makhnovistes, les plateformistes et les collectivités espagnoles, pour finir curieusement par la Liaison des étudiants anarchistes (parisienne, ho, elle n’était pas qu’à Nanterre !) et Mai 68, et reconnaît pour finir que ce courant peine à prendre en compte d’autres formes de revendications, féministes ou écologistes par exemple.
La construction du courant « anarcho-communiste » étudie Kropotkine, la propagande par le fait, Reclus et débouche sur l’écologie et la nouvelle gauche nord-américaine. Cherchez l’intrus. Le chapitre sur l’individualisme est plus classique, on y trouve Tucker, Stirner et Armand, essentiellement. Pour clore la section historique, un chapitre présente les grandes lignes de l’éducation libertaire, de Proudhon à La Ruche de Sébastien Faure, puis saute jusqu’aux lycées autogérés.
Un saut aussi, et de taille, pour passer des théoriciens et épisodes historiques à aujourd’hui, avec l’altermondialisme et l’état des organisations en France, les pratiques et les penseurs actuels, quelques-uns américains, quelques-uns français.
Je me suis d’abord étonnée de ces raccourcis ; mais on n’a pas ici affaire à un traité, c’est une mise en bouche qui présente à la fois les bases théoriques classiques de l’anarchisme et ses formes actuelles, et qui n’hésite pas à le faire à la première personne. Voici, nous dit l’auteure, ce que je sais aujourd’hui de l’anarchisme, ce que je fais aujourd’hui comme anarchiste, ce vers quoi je tends. Les pistes d’action sont variées, la discussion reste ouverte.
Alors, pour entamer cette discussion, je regretterai l’absence de Malatesta, qui n’apparaît ni dans l’action directe, ni dans les débats sur le syndicalisme ou sur la plate-forme ; il est probablement difficile à caser dans les courants dessinés. Je regrette l’absence de figures féminines, que ce soit nos grands-mères Louise et Emma ou toutes les femmes qui ont marqué le courant dit individualiste, en particulier dans les « milieux libres » du début du xxe siècle. Je regrette le côté franco-français : les CNT, la FA, AL ne font-elles pas partie de coordinations internationales ? les solidarités internationales commencent-elles avec le soulèvement du Chiapas ?
Voilà du grain à moudre pour un deuxième volume, ou une réédition, si ce petit livre se vend comme des brioches, ce que je lui souhaite.