Camus, homme de combat

mis en ligne le 14 janvier 2010
Une question d’actualité est à l’heure actuelle rejointe par une autre. Des directeurs d’écoles prestigieuses et des ministricules s’interrogent sur l’opportunité ou non d’admettre des quotas de boursiers dans leurs établissement. Répondre par l’affirmative c’est admettre que les pauvres sont des cons et qu’ils n’ont pas besoin d’accéder à la culture – encore qu’on puisse émettre des doutes sur le contenu idéologique de l’enseignement de ce genre d’école, mais c’est une autre histoire. Répondre par la négative, c’est considérer que la sélection va opérer et que les élites vont émerger de tous les milieux sociaux. Toute considération sur la nécessité de la lutte des classes mise à part, bien entendu.
La deuxième question d’actualité, encore que les lampions de la fête sont en train de s’éteindre, est celle de l’anniversaire de la disparition brutale d’Albert Camus il y a cinquante ans. Ces questions se rejoignent quand l’on sait qu’Albert Camus était un enfant de la misère crasse des pieds-noirs, orphelin de guerre a 1 an, et dont la mère, presque sourde, était illettrée. Bien mauvais départ pour celui qui obtiendra le prix Nobel de littérature a même pas 45 ans. L’école républicaine aurait-elle parfois la vertu d’emmener ses enfants boursiers au plus haut ? Camus, qui ne s’y est pas trompé, dédicacera le discours de réception de son prix à son instituteur Louis Germain. Il lui écrira également une lettre émouvante en novembre 1957 (voir ci-dessus) pour lui témoigner de sa reconnaissance et, en filigrane, de sa lucidité et de son profond respect envers l’école républicaine.
Lors de cette célébration, dont on notera certains aspects mercantiles, des flots presque intarissables de louanges se sont fait jour, des livres, des éditions spéciales, des hors-série, des DVD, des trucs et des machins. Tout ce fatras de marchandises, pas de forcément de mauvaise qualité d’ailleurs, mais en avalanche, pour témoigner de l’attachement à cet écrivain toujours apprécié et toujours défenseur des libertaires que nous sommes. On y a lu les vrais copains, des compagnons de route (si j’ose dire, eu égard aux circonstances de sa mort), et même un ancien de La Cause du peuple, et c’est suffisamment rare pour être remarqué, écrire un très bel article dans Libération intitulé « Albert Camus, ce libertaire qu’on voudrait ignorer » (4 janvier 2010). Difficile de faire le tri des tentatives diverses et variées de récupération de l’homme et de sa pensée, et des témoignages sincères et attachants. Il est sans nul doute inutile pour nous autres libertaires de procéder à cette tentative-là, tant l’attachement de Camus aux faits et causes libertaires était évidents. Terminons par ces phrases prononcées à Saint-Étienne en 1953 :
« Les opprimés ne veulent pas seulement être libérés de leur faim, ils veulent l’être aussi de leurs maîtres. Ils savent bien qu’ils ne seront effectivement affranchis de la faim que lorsqu’ils tiendront leurs maîtres, tous leurs maîtres, en respect. » Et plus loin : « La société de l’argent et de l’exploitation n’a jamais été chargée, que je sache, de faire régner la liberté et la justice. Les États n’ont jamais été suspecté d’ouvrir des écoles de droit dans les sous-sols où ils interrogent leurs patients. Alors quand ils oppriment et qu’ils exploitent, ils font leur métier et quiconque leur remet sans contrôle la disposition de la liberté n’a pas le droit de s’étonner qu’elle soit immédiatement déshonorée. »
Quant à la grotesque affaire de savoir si Camus devrait mourir une deuxième fois au Panthéon, la réponse définitive a cette question viendra de Catherine Camus, sa fille, qui a déclaré, avec tout le charme de l’insolence : « Je répondrais à cette question quand ça n’intéressera plus personne ! »
Il ne nous reste plus qu’à le relire.