Le (bon) genre de Wendy Delorme

mis en ligne le 21 janvier 2010
Ayant choisi le genre féminin
Le patriarcat, plus que le capitalisme, a ceci de pernicieux qu’il passe parfois inaperçu et peut être intégré par ceux ou celles qui en sont les victimes. Parce que nous sommes nés avec des organes masculins ou féminins, nous serions assignés à certaines tâches – d’autres nous seraient interdites. Le très beau documentaire de Patric Jean, La Domination masculine (en ce moment sur quelques écrans) nous rappelle que le patriarcat n’est pas en voie de disparition. Or, il est parfois difficile d’admettre que ces catégories hommes/femmes sont en grande partie socialement construites. Naître avec des ovaires est une chose, mais en quoi cela prédisposerait-il au repli sur la sphère domestique, aux soins donnés aux enfants, aux salaires moins élevés ou à une sexualité tue ?
Parce que nous, anarchistes, sommes contre toutes les assignations (à une classe, une « race », à toutes catégories instituées par le pouvoir et créatrices d’inégalités) – nous dénonçons également la dictature du genre. Comme le rappelle Wendy Delorme, « on n’est pas femme forcément parce qu’on est née avec un vagin », même si l’assignation à la naissance « ça crée du lien, forcément », « quoi qu’on en fasse après ».
Et c’est cet « après » qui nous intéresse, dans l’expérience de Wendy Delorme, enseignante en sciences humaines et sociales à l’université, comédienne burlesque, performeuse X et écrivaine. Car pour elle, le choix du genre féminin est reconduit chaque jour. Le rôle est assumé, délibérément.
Car il ne faut pas s’y tromper : être femme n’est pas « naturel », la féminité (bien difficile à définir au demeurant) n’est jamais acquise ! Et l’écrivaine nous propose une série de tableaux bien vivants, parmi ceux et celles qui jouent avec les genres. Bienvenue dans le monde des fems, butchs, filles-pirates, badboys, riot girls, pédales radicales et trans en tout genre !

La féminité « drapeau de la subversion »
Son dernier livre, Insurrections ! en territoire sexuel, a le mérite de nous faire percevoir clairement ce qui se joue dans le choix d’un genre sexuel – ce que Judith Butler a théorisé dans Trouble dans le genre (pour un féminisme de la subversion) paru en français aux éditions La Découverte en 2005. L’action des transgenres, des queers, des drag-queens et drag-kings a ceci de subversif qu’elle touche à l’un des fondements essentiels de l’ordre social : la différence des sexes.
Après son roman intitulé Quatrième génération, Wendy Delorme théorise ici ses choix sexuels en nous montrant ce qu’ils peuvent avoir de révolutionnaires. Elle se définit comme une féministe de la « quatrième génération », venant après la troisième, celle des féministes prosexe et anticensure de la pornographie.
En s’affirmant comme « fem », c'est-à-dire « une gouine qui n’a rien contre les jupes, les talons hauts, le vernis à ongle et le maquillage », elle met en évidence le rôle imposé par la féminité : « J’ai ça en commun avec les travestis et les drag-queen de savoir qu’être une femme, ça relève de la performance de théâtre au final, qu’on soit sur les planches d’un cabaret transformiste ou bien dans une salle de réunion à la Défense. Je sais que le matin (ou le soir) dans ma salle de bains je me fabrique, je me transforme en femme, parce que ce n’est pas une question de biologie être une femme, c’est en partie du déguisement, et surtout de la conviction d’en être une ».

Bas résille et botte de combat
Solidaire avant tout, féministe jamais résignée face à la domination masculine, elle cherche à trouver sa voie dans un monde qui voudrait la cantonner au « sexe faible ». La lutte est plutôt une sorte de guérilla chez elle, qui avance masquée sous ses tatouages et son maquillage. « Tu collabores et tu subvertis, tu reproduis et tu pourris de l’intérieur le monde qui t’a faite, tu es un vers dans la poutre qui te nourrit ».
Maniant avec brio l’autodérision et l’humour, avec distance et lucidité, Wendy Delorme remarque que : « On n’a rien inventé, mais ils ne cessent d’oublier. Alors on répète. Les mots du sexe et ceux de la révolution ».
Parce que le combat féministe est toujours à poursuivre. Parce que les révolutionnaires ne doivent jamais se contenter des slogans scandés par leurs aînés. Parce que chaque point de vue particulier est en soi subversif… Lisez ce témoignage « écrit d’un point de vue “particulier”, d’un point de vue de fille énervée, qui s’insurge contre “la condition féminine” », écrit « de [sa] place de femme, avec [ses] tripes de femme, pas parfaite, pas pure, même pas politiquement correcte ». Et parce qu’il est rare de trouver une pratique de la sexualité si libre, si libertaire et si jouissive (« Il y en a qui sont sauvés par la Bible, moi c’est par les orgasmes ») : que votre lecture aussi soit jubilatoire.