Entre rétention et exploitation... les sans-papiers en prennent plein la tronche

mis en ligne le 21 janvier 2010
Environ 2 000 soutiens et sans-papiers ont défilé samedi 9 janvier malgré le froid. À noter la présence des travailleurs sans-papiers du nettoyage CNT et d’un cortège conséquent de militants de la Fédération anarchiste en queue de manif, avec des sans-papiers qui tenaient la banderole « Ni États, ni frontières : liberté de circuler ! » La manifestation a remporté un vif succès en traversant les quartiers populaires du nord de Paris, mais tandis que les sans-papiers voulaient rejoindre l’Élysée (rien que ça !), un imposant dispositif policier barrait son accès à partir de la Madeleine provoquant la dispersion des manifestants.
Cette manifestation avait notamment pour objet de rappeler la condition des travailleurs sans-papiers au sein de la nouvelle politique de « gestion des flux migratoires » selon les critères de « l’immigration choisie », qui en fait consiste à s’adapter aux besoins en main-d’œuvre des pays d’Europe. Cette nouvelle manne de travailleurs sans statuts permettant aux patrons des pays riches d’accroître leurs profits sans aucune contrainte légale. Les secteurs comme le BTP, la restauration, le nettoyage et les travaux saisonniers demandent une main-d’œuvre flexible, adaptable aux besoins immédiats de la production.
Dans ce schéma, les travailleurs sans-papiers ne bénéficient donc d’aucun droit lié à leur statut, par exemple en cas d’accident, la menace permanente de l’arrestation et de l’expulsion plane en permanence sur eux. Un contexte qui renforce la tendance des patrons à les sous-payer, voire à ne pas les payer du tout (ce qui malheureusement n’est pas rare). De plus, ce nivellement par le bas des salaires et des conditions de travail permet au patronat de renforcer l’exploitation de tous.
Les grèves à répétition des sans-papiers montrent à quel point les patrons français et l’État ont besoin de cette main-d’œuvre, mais aussi comment, en s’organisant collectivement, les sans-papiers peuvent parfois leur tenir tête et obtenir des régularisations.
Mais la France n’est pas une exception, comme en a été le témoin la petite ville de Rosarno, en Calabre (Italie), qui a été la semaine dernière, le théâtre de violentes manifestations d’immigrés (en majorité des travailleurs saisonniers souvent en situation irrégulière) qui protestaient contre des agressions dont certains d’entre eux avaient été la cible. Ces manifestations ont été marquées par des heurts avec la police, mais plus grave, le lendemain, une véritable « chasse aux immigrés » était organisée. Soixante-sept personnes ont été blessées dans les affrontements.
Pour rappel, dans cette partie de la Calabre, spécialisée dans la récolte saisonnière des agrumes et des olives, 4 000 immigrés d’origine africaine triment chaque année dans les champs contrôlés par la mafia locale. Moyennant une vingtaine d’euros par jour, ces damnés de la terre qui ont fui la misère africaine travaillent quinze heures d’affilée, dorment avec les rats dans des baraques insalubres, sans eau, sans gaz ni électricité. La mafia prélève cinq euros par jour sur chaque salaire de misère, plus les frais d’hébergement. « Nous sommes des hommes, pas des bêtes », ont d’ailleurs hurlé les manifestants en incendiant les voitures durant le week-end.
Après deux jours de guérilla urbaine, la révolte de Rosarno a été matée par d’impressionnantes forces de police, comme si cela allait arranger les choses… Les renforts expédiés sur le terrain ont déplacé quelque 700 immigrés. Certains sont partis à pied, en train, en autobus pour fuir cette région qui ne veut plus d’eux. D’autres sont cachés dans les campagnes et attendent que la chasse à l’homme finisse. Mais cet épisode à la fois raciste et mafieux montre quelles dérives peuvent amener l’exploitation des travailleurs sans-papiers.
Enfin, la manifestation parisienne était l’occasion de rappeler que les 25, 26 et 27 janvier 2010, dix personnes vont être jugées pour la révolte qui a eu lieu au centre de rétention administrative de Vincennes et s’est soldé par un incendie. Les centres de rétention sont une des étapes entre l’arrestation et l’expulsion. Ils servent à enfermer les étrangers, le temps de rassembler les conditions nécessaires aux expulsions, c’est-à-dire, un passeport ou un laissez-passer délivré par un consulat et une place dans un avion ou un bateau.
Pour rappel, le 21 juin 2008, Salem Souli, retenu dans le centre de Vincennes est décédé dans sa chambre après avoir en vain réclamé des soins médicaux. Le lendemain, une marche organisée par les retenus en sa mémoire a été violemment réprimée, provocant une révolte collective, tandis que le feu était mis au centre de rétention. Entre juin 2008 et juin 2009 suivant l’incendie, une dizaine d’anciens retenus ont été arrêtés et incarcérés (pour la plupart pendant près d’un an) en détention préventive. Ils sont aujourd’hui inculpés de dégradation, destruction des bâtiments du centre de rétention de Vincennes et de violence à agent des forces de police.
Or, les centres de rétention, comme tous les camps pour migrants, sont des segments de frontières assassines de l’Europe de Schengen. Ce sont des lieux où les sans-droits et sans-papiers attendent, enfermés, parfois indéfiniment et sans jugement, où parfois l’on meurt faute de soin, où l’on se donne la mort plutôt que d’être expulsé ! Il faut donc en finir avec les frontières. Pour toutes ces raisons et parce qu’il n’y a pas de « bonne » gestion des flux migratoires, parce que chacun doit pouvoir décider où il veut vivre, la Fédération anarchiste est solidaire des inculpés de la révolte de l’incendie du centre de rétention de Vincennes. Nous réclamons la relaxe de tous les inculpés, la liberté de circulation et d’installation, la fermeture des centres de rétention et enfin : plus de papiers du tout !

Petr Pasek