Misère de la Sécurité sociale, Sécurité sociale de misère

mis en ligne le 21 janvier 2010
La trêve des confiseurs passée, les mauvaises nouvelles fusent : déremboursement des médicaments pris en charge à 35 %, des soins dentaires, des frais d’opticiens ou des indemnités journalières, etc., mais surtout des affections longue durée, par exemple les maladies cardiovasculaires ou certains types de diabète. À quand le tour des trithérapies pour les séropositifs ? Pendant ce temps-là, les dirigeants des mutuelles et des compagnies d’assurances se frottent les mains devant un pactole qui pourrait représenter 16 milliards d’euros.
Dernièrement, Mathieu Javaux révélait sur le site Internet Basta que depuis une quinzaine d’années, les cabinets de consultants ont poussé comme des champignons dans le milieu des « complémentaires-santé », y compris chez les mutuelles qui s’affichent « militantes ». Leurs honoraires avoisinent les 1 000 euros par jour, en échange de leurs « précieux conseils » en tous genres : transformation des sociétaires ou bénéficiaires de mutuelles en « clients », rentabilisation des actes de santé et cassage de la Sécurité sociale. Ils peuvent également donner leurs avis en cas de plans de licenciements…
Pour rappel historique, la différence entre le régime obligatoire – la Sécurité sociale – et les mutuelles et assurances complémentaires est fondamentale. Le premier offre les mêmes remboursements à tous et les cotisations sont proportionnelles au salaire de l’assuré. En revanche, le régime complémentaire repose sur une multitude de contrats en tous genres établis selon des critères basés sur l’âge, les revenus, tandis que les assureurs demandent en général des renseignements médicaux. À ce jour, les mutuelles sont des organismes à but non lucratif, tandis que les compagnies d’assurances se doivent de rémunérer leurs gourmands actionnaires. Exerçant mon métier dans une revue professionnelle du secteur, j’ai pu en effet constater combien les propositions des compagnies foisonnent sur le marché, afin d’acquérir des parts du marché du régime complémentaire. De plus, le secteur de la mutualité traditionnellement et historiquement plus attaché à la protection sociale a énormément évolué ces dernières années, les grandes mutuelles ont créé des structures communes et d’autres ont transformé habilement leurs statuts, afin de pouvoir faire des bénéfices.

Les experts de mes deux expertises !
Les préoccupations des consultants travaillant pour les assureurs ne tournent pas autour du déficit de la Sécurité sociale, tandis qu’Act-Up Paris révélait qu’en 2009, les exonérations de cotisations de Sécurité sociale se sont élevées à 30,7 milliards d’euros. Les principaux bénéficiaires de ce phénomène sont les entreprises, qui ont bénéficié en 2008 de 28,8 milliards d’euros d’exonérations. Les employeurs sont notamment exonérés de cotisations patronales de Sécurité sociale sur les bas salaires – ces exonérations ont représenté 21,4 milliards en 2008. Ils ont également profité d’allégements sur les heures supplémentaires à hauteur de 2,8 milliards), cette mesure datant d’octobre 2007. Depuis, la liste des exonérations s’allonge de plus en plus au fil des ans : apprentissage, emploi à domicile, contrats aidés, zones franches urbaines, et, parmi les dispositions les plus récentes, rachat de jours RTT et dispositif « zéro charge » pour les entreprises de moins de dix salariés.
Mais les consultants aux tarifs exorbitants se gardent bien de commenter ces chiffres et dispositifs favorables aux patrons. Ils ne s’occupent pas non plus des moyens à mettre en œuvre pour reboucher le trou de la sécu. En revanche, ils cultivent de grandes idées sur comment réduire les dépenses. Rien de plus facile : pour eux, il suffit de s’attaquer aux dépenses. En premier lieu – ce que redoutent le plus les associations de grands malades – sur les « affections de longue durée » (ALD), qui représentent le premier poste des dépenses de la Sécurité sociale, prises en charge à 100 % par le régime obligatoire. Sont concernées les personnes porteuses d’un cancer, les séropositifs, les diabétiques et certaines personnes âgées atteintes de maladies dégénératives. 60 % des remboursements de l’assurance-maladie concernent 15 % des personnes assurées, qui sont en ALD. Selon le rapport de Jalma, un des cabinets de consultants travaillant pour les assureurs, 5 % des assurés en ALD, soit 0,7 % de la population (420 000 personnes), perçoivent en moyenne 70 000 euros de remboursement des régimes obligatoires par an, soit 25 % des prestations de la Sécurité sociale. La présentation de l’ALD uniquement par l’alignement de chiffres relève déjà d’une démarche qui a tendance à mélanger les pathologies, mais plus grave consiste surtout à stigmatiser les personnes qui « coûtent le plus cher » à la sécu.
Or, si les maladies couvertes par l’ALD étaient partiellement déremboursées, cela pourrait représenter un transfert potentiel de plusieurs milliards d’euros vers les organismes complémentaires. Mais, comment faire passer la pilule sans risquer la colère des associations de défense des malades très inquiètes par ces circonvolutions ? Le cabinet Jalma propose donc une première solution qui consisterait en l’instauration d’un ticket modérateur de 10 % en trois ans à partir de 2011. Concrètement, la Sécurité sociale ne rembourserait aux malades en ALD que 95 % puis 90 % au lieu des 100 %. La seconde proposition consisterait à « restreindre l’accès au régime ALD selon les recommandations de la Haute autorité de santé ».
Plusieurs ALD  (maladies cardiovasculaires, affections liées à l’hypertension artérielle – comme le diabète – ou la tuberculose) seraient exclues des remboursements intégraux. De fait, des millions de personnes ne seraient plus prises en charge à 100 % par la Sécu, ce qui provoquerait une hausse sans précédent des cotisations aux complémentaires-santé. Un système qui naturellement serait un arrêt de mort pour les personnes exposées les plus démunies.
Mais les « experts » en arnaque de ce cabinet de consultants proposent également d’autres mesures pour stopper les dépenses, comme la remise en cause du remboursement par la Sécu de ce qu’ils considèrent comme relevant du petit risque : le petit appareillage (bas de contention, matériel orthopédique par exemple), les médicaments à vignette bleue (pris en charge à 35 %), plus les soins dentaires ou les frais d’opticiens, déjà presque intégralement à la charge des complémentaires santé. Au total, 16 milliards d’euros seraient ainsi transférés aux organismes complémentaires chaque année.

95 % des Français favorables au 100 %
Cependant, à ce niveau de la réflexion, il est important de souligner qu’aujourd’hui en France, 7 % de la population n’est pas couverte en complémentaire santé (ni en CMU complémentaire). De plus, au grand dam des « experts », les Français, quand ils sont interrogés, sont encore très attachés aux principes de la solidarité et de la mutualisation tels qu’exprimés dans les principes de la Sécurité sociale. 95 % des sondés considèrent que la prise en charge à 100 % des ALD est justifiée, contre 4 % qui estiment le contraire.
Alors, pour ne pas trop aller à contre-courant, nos experts de nos deux expertises ressortent comme un trophée leur cher bouclier sanitaire, qui consisterait à maintenir le 100 % pour les personnes dont les revenus seraient inférieurs à un certain plafond, sans aucune information plus précise sur son montant. Et les personnes dépassant le plafond verraient alors leur ALD en partie transférée vers les complémentaires. À la fin de son rapport, le cabinet Jalma énumère les personnalités du secteur de la mutualité qui ont soutenu ces propositions. On y retrouve curieusement l’actuel et le futur président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) qui couvre 37 millions de Français. Daniel Havis, PDG de la Matmut (surnommé dans le milieu l’homme aux huit Porsche), mais également Guillaume Sarkozy, directeur général du groupe Malakoff Médéric et frère de l’omniprésident, et encore Guy Vallancien, chef du département d’urologie à l’Institut mutualiste Montsouris, médecin traitant de la Mutualité française et auteur d’un livre au titre rêvé par tout bon ultralibéral : La Santé n’est pas un droit !

Couilles en or et lames en acier !
Le danger est non seulement de risquer que de plus en plus de personnes affectées par les maladies graves négligent leurs traitements et leur suivi préventif faute de revenus suffisants, mais également pour les personnes les plus favorisées de voir leurs cotisations de mutuelles doubler, il n’est pas exclu de voir apparaître à terme un ticket modérateur pour les malades les plus fragiles. Mais comment résister sinon en descendant massivement dans la rue pour sauver l’esprit de mutualisation et de solidarité ?
Et quand on tourne les yeux sur l’autre rive de l’Atlantique, on peut voir comme les grands labos et les grands lobbies de la santé se sont déchaînés au moment où Barak Obama tentait de revenir au principe d’une couverture santé presque universelle, devant l’hécatombe d’une santé laissée à la seule gestion des organismes privés et les ravages causés par le nombre croissant de personnes sans couvertures sanitaires et sociales. Mais quand il y a de la thune à se faire ! Alors comme le disait haut et fort la une du numéro spécial du Monde libertaire de cet hiver : « Tant qu’il y aura des couilles en or, il y aura des lames en acier. » À votre santé !