Café noir

mis en ligne le 1 avril 2010
Un des films des plus excitants de cette année, découvert à la Mostra de Venise, sort enfin sur nos écrans, comme on dit. Mais ce ne sont pas nos écrans, et le pouvoir du choix et du nombre des salles, nous ne l’avons pas. Donc, on écrit le mieux qu’on peut pour attirer l’attention de toutes et de tous sur ce film énigme. White Material est une œuvre à la fois anticolonialiste et sévère, et un feu d’artifice brillant de tous les enchantements africains, honnis par certains : le bruit, l’odeur, le bruissement des feuilles, la magnificence de la nature, la lumière du couchant et le désir des corps dans la chaleur moite… Réalisé presque à froid, comme on dit pour l’huile, première (et meilleure) pression à froid, c’est une première collaboration entre Claire Denis, cinéaste blanche née en Afrique et Marie N’Diaye *, écrivaine noire née en France et qui n’était jamais allée là-bas. Le scénario est issu d’un échange de lettres, d’un voyage en commun en Afrique, de la visite de plantations de café, de la découverte de la moto comme moyen de locomotion en brousse et de l’amour de ces deux femmes pour un personnage de femme incroyable qu’elles voulaient rendre très antipathique. Ainsi, Isabelle Huppert passe quasiment sans transition de sa lutte contre les terres inondables que lui a vendues la véreuse administration coloniale (voir le film de Rithy Panh d’après le livre de Duras, Barrage contre le Pacifique) à la caricature de la femme colon de la plus intransigeante espèce, avec tous les défauts possibles, obsessionnelle de ses biens, passionnée pour son exploitation, mais qui vit assez librement, et non corrompue comme le sera son mari, comme l’a toujours été son beau-père, comme elle ne veut pas que soit son fils ; elle est, comme le prétendent certains dictateurs qui aiment leur peuple, sévère mais juste. En tout cas, elle n’est pas raciste. Mais, mangée de l’intérieur par des obsessions qui ont perdu leur raison d’être depuis longtemps, elle veut récolter quand c’est le moment, elle veut avoir des ouvriers quand elle en a besoin et elle se fout du reste. Qu’on assassine à côté, qu’on ne va pas lui acheter son café, que la région est infestée de rebelles et d’enfants soldats…
C’est sur cette question des enfants soldats que les deux femmes auteurs de ce film mobilisent leur compassion et leur regard aimant : « Prenez garde », dit en somme leur radio de brousse improvisée, s’inspirant et caricaturant l’autre radio des mille collines qui incitait à la haine raciale…
Un film-brûlot anticolonialiste à ne pas manquer !

*. Prix Goncourt pour Trois femmes puissantes, Gallimard, 2009.