La biologie de l’évolution pour tous

mis en ligne le 4 février 2010
L’année Darwin (2009) est certes derrière nous, mais le sujet étant inépuisable dans ses évolutions comme dans ses implications scientifique, philosophique et politique, trouver un bon livre d’initiation à la biologie de l’évolution reste fort utile. Le Monde libertaire (n° 1572, du 12 au 18 novembre 2009) nous ayant avertis de la récente parution d’un gros livre panoramique sur le darwinisme contemporain (Les Mondes darwiniens), il faut maintenant évoquer le très épatant Guide critique de l’évolution, dirigé par Guillaume Lecointre, bien connu des auditeurs de Radio libertaire, notamment en sa double qualité de pourfendeur des créationnistes, spiritualistes, « agenouillistes » actuels et de vulgarisateur de la biologie.
La biologie de l’évolution (on préférera ce terme à celui d’évolutionnisme) est un vaste domaine qui a connu de nombreuses et amples modifications conceptuelles durant ces dernières décennies. De simplifications outrancières en caricatures ineptes, cette science, ou plutôt cet ensemble des disciplines, connaît fréquemment des épisodes de discrédit ou d’incompréhension. Force est d’admettre que l’évolution est un processus difficile à comprendre et que la théorie darwinienne va souvent à l’encontre de nos intuitions courantes concernant le monde vivant. Pire, il n’est pas rare que des biologistes eux-mêmes s’enlisent dans des propos mal assumés ou mal adaptés à la finesse des explications requises pour la pleine exposition des mécanismes évolutifs. C’est pourquoi ce guide se veut, notamment, critique de ces divers discours : ceux qui sont scientifiquement indigents – les nombreuses formes de créationnisme et d’une manière générale, l’antidarwinisme latent ou patent qui ne cesse d’inventer de nouvelles impostures intellectuelles – et ceux qui pensent exposer ce qu’est la théorie de l’évolution contemporaine, mais qui, en fait, ne font que ressasser des idées à bout de souffle.
Pour prendre un exemple récent du premier cas de figure – l’antidarwinisme obtus de pseudo-savants en mal de divinité –, évoquons l’un des principaux propagandistes de ce mouvement en France, Jean Staune, secrétaire général de l’UIP (une association vouée « à casser du darwiniste »). Prenant prétexte de l’énorme succès du film Avatar pour passer un article dans Le Monde en ligne – qui s’est empressé de le publier alors que l’article est idiot et mensonger –, Staune débite ses sornettes avec emphase mais avec un ton et une rhétorique suaves qui peuvent séduire.
Le Guide critique de l’évolution donne les clefs du décryptage de ce genre d’escroquerie intellectuelle.
Un exemple du second type de discours est celui-ci, qui résume une faute logique assez courante, que l’on retrouve même sous la plume d’auteurs respectables. Il s’agit des reliquats de pensée essentialiste qui encombrent notre langage. Ainsi, nous disons volontiers que « le chat a des poils parce qu’il est un mammifère », comme si rien n’était, puisqu’on nous apprend que ce qui caractérise les mammifères, c’est justement de porter des poils (et d’autres attributs comme la lactation). Cette assertion incite à croire qu’il existe, dans le ciel des Idées, une « boîte » appelée « Mammifères » dans laquelle on range les chats. Or, les chats existent en tant qu’individus réels, pas les mammifères (« mammifères » est un concept). Il faut donc dire que « le chat est un mammifère parce qu’il a des poils ». Ce renversement de perspective est fondamental, et ce Guide explique cela très clairement, ainsi que les raisons pour lesquelles il faut, scientifiquement parlant, abandonner une « conception anthropocentrée du monde » où l’humain est le sommet de l’évolution, comme autrefois il était le roi de la création. Plus largement, ce livre est aussi un guide pour apprécier le rôle moteur du « matérialisme méthodologique » en sciences (voir notamment le chapitre II au titre éloquent : « Comprendre l’évolution, c’est aussi comprendre la philosophie des sciences »).
Il faut un réel talent de pédagogue, associé à la maîtrise des aspects théoriques du domaine et d’un considérable corpus de données expérimentales et observationnelles, pour rendre compte des subtilités et de la puissance de la théorie darwinienne de l’évolution. G. Lecointre et ses collègues (C. Fortin, G. Guillot, M.-L. Le Louarn-Bonnet) sont des spécialistes reconnus de ces questions, mais sont aussi des enseignants habitués à s’adresser à des élèves de tous âges et de tous niveaux, ainsi que des citoyens concernés par la diffusion des connaissances. De surcroît, ce livre d’un très grand format est abondamment illustré (par A. Bénéteau, T. Haessig, D. Visset) et cette iconographie apporte une aide remarquable à la saisie des structures et des mécanismes en jeu dans les processus évolutifs.
Pour finir, un conseil d’ami, trois livres à avoir dans sa bibliothèque, pour qui s’intéresse à ces sujets : ce Guide, Les Mondes darwiniens et L’Entraide, un facteur de l’évolution de Kropotkine.