Sketch 171

mis en ligne le 4 mars 2010
– Je suis en colère.
– Ca se voit !
– On m’a enfoncé nuitamment ma portière de voiture !
– Banal dans la capitale, avec les buveurs du samedi soir et les livraisons par des précaires qui ont tout juste le permis de conduire, et surtout le temps de livrer : l’autre soir, l’un était si mal garé qu’il bloquait les autobus ! Votre assurance paiera.
– C’est ce que je croyais… Assurée tous risques pendant douze ans sans accident ! Les risques n’étaient pas là où je le croyais…
– Comment ça ?
– On m’a fortement conseillé d’envoyer ma voiture à la casse contre remboursement, ce qui est tout de même mieux que pour les humains et surtout les humaines…
– Combien ?
– Moins que le montant des travaux ; j’ai demandé un bonus.
– Vous ne l’aviez pas déjà ?
– Pas vu la couleur ; on m’a ouvert un dossier par téléphone et je suis partie au garage, qui a envoyé à l’expert les photos d’un sinistre… qui n’était pas le mien ! Bravo Internet !
– Vous aviez donc décidé de faire réparer ?
– Oui, une histoire d’amour cette voiture, d’amours successives, la dernière en date avec un ingénieur passionné de moteurs qui me l’a remise à neuf. Elle a passé le contrôle technique comme une fleur !
– Laissez-moi deviner : vous êtes furax d’avoir dû payer une partie des réparations ?
– Exact. J’ai tout de même bénéficié d’une réduction de moitié d’un garage à l’autre, à cinq cents mètres, dans la même rue !
– La fameuse concurrence libre et faussée que vous attaquiez dans le Traité au moment du référendum, voilà que vous en êtes bénéficiaire !
– Une chance, mais c’était compter sans l’expert qui devait suivre les travaux, il s’en est abstenu sur un prétexte du jour au lendemain… Tout a failli capoter : c’est moi qui ai dû expliquer la loi au garagiste !
– Vous avez sauvé votre voiture !
– Oui, après un parcours du combattant incroyable qui a failli me coûter la santé : je sautais obstacle après obstacle et d’un jour à l’autre, parfois heure par heure, devais ôter les bâtons que les uns et les autres, s’escamotant au fur et à mesure – un vrai comité invisible – me mettaient dans les roues : au total moi qui suis la victime d’un chauffard ou d’un malveillant, symboliquement agressée – je dirais presque violée –, me voici devenue délinquante potentielle, privée du droit le plus sacré dans cette société, celui de propriété, puisque je ne peux plus ni vendre ni céder mon véhicule !
– Mais vous êtes coupable, comme ceux de Tarnac, une terroriste en puissance !
– Coupable de quoi ?
– D’aller à contre-courant de la consommation, de l’achat du neuf, de ne pas soutenir l’industrie automobile aux côtés de notre président !
– Mais je sers la cause du développement durable, de l’écologie puisqu’après celle-ci je ne rachèterai pas de voiture !
– Savez-vous quelle est votre plus grande faute ? Vous osez tenir tête à plus puissant que vous !
– C’est ce que j’ai toujours fait et voyez-vous, je suis encore debout !