Merci aux flibustiers

mis en ligne le 26 mars 2010
C’est à la Grande Révolution que revient l’honneur d’avoir commencé la démolition de cet échafaudage de lois qui nous a été légué par la féodalité et la royauté. Mais, après avoir supprimé quelques parties du vieil édifice, la Révolution remit le pouvoir de légiférer entre les mains de la bourgeoisie qui, à son tour, commença à élever tout un nouvel échafaudage de lois destinées à perpétuer sa domination sur le peuple. Dans ses Parlements, elle légifère à perte de vue, et des montagnes de paperasses s’accumulent avec une rapidité effroyable. Mais que sont au fond toutes ces lois ? La plus grande partie n’a qu’un but : celui de protéger la propriété individuelle.
Quiconque a gardé au cœur le moindre souffle du libéralisme de nos pères, quiconque voit dans la République autre chose que le marchepied à de sordides ambitions, a compris que le seul moyen de préserver le modeste dépôt de nos libertés acquises, le patrimoine si peu ample de nos franchises héréditaires, c’est de poursuivre sans relâche l’œuvre de justice sociale de la Révolution. À cette heure, on ne peut plus être un libéral sincère, consciencieux, qu’à la condition de faire publiquement et irrévocablement adhésion au parti de la Révolution. Cela, pour deux raisons : parce que tout se tient dans une société et que la liberté n’est qu’une forme vide et un vain mot, un trompe-l’œil hypocrite, tant qu’on ne lui donne pas, sous forme d’institutions, les conditions sociales de sa réalisation individuelle ; puis ensuite, parce que le peuple seul a gardé quelque foi, quelque idéal, quelque générosité, quelque souci désintéressé de la justice et que le peuple, par définition, nécessairement, est révolutionnaire et socialiste.
Ce sont là des constatations banales ! Et, cependant, il est nécessaire d’y insister, de glorifier l’effort, parce qu’un enseignement déprimant a saturé la génération qui passe, l’a imprégnée de formules débilitantes. L’inutilité de l’effort a été érigée en théorie et on a prêché que toute réalisation révolutionnaire découlerait du jeu fatal des événements : la catastrophe, annonçait-on, se produirait automatiquement, lorsque, par un processus fatidique, les institutions capitalistes seraient parvenues à leur maximum de tension. Alors, d’elles-mêmes, elles éclateraient ! L’effort de l’homme dans le plan économique était proclamé superflu, son action contre le milieu compressif dont il pâtit était affirmée inopérante. On ne lui laissait qu’un espoir : infiltrer des siens dans les Parlements bourgeois et attendre l’inévitable déclenchement catastrophique.
Ce qui vient d’être dit est frappant. Cela a été écrit il y a presque trois siècles. La première phrase a été écrite par Kropotkine, la deuxième est de Francis de Préssensé, la troisième est d’Émile Pouget. Elles sont extraites de trois petits livres parus ces derniers temps à Marseille aux éditions Le Flibustier. Le premier rassemble différents textes du prince russe parus dans Le Révolté en 1882 ou dans Les Temps nouveaux au début du siècle suivant. Le deuxième porte comme titre Les Lois scélérates de 1893-1894. Il rassemble trois textes, l’un de Préssensé déjà cité, l’autre d’un anonyme, juriste de son état et le dernier de Pouget dont les écrits bien connus, L’Action directe et Le Sabotage forment le contenu du troisième livre.
Je ne reviendrais pas sur L’État et son rôle historique de Kropotkine. D’autres l’ont fait bien mieux que moi. Je m’arrêterai juste sur le dernier texte de cet opuscule intitulé Les Droits politiques pour remarquer que contrairement à son époque ces droits ne sont plus contestés, ils sont effectifs ; nous pouvons parler, écrire, éditer, nous réunir sans trop de problèmes. Nous savons pourtant que leur exercice ne change pas grand-chose à la réalité. Nous savons aussi que si nous ne les exerçons pas ils disparaîtront. Ces lois qui, à la fin du XIXe siècle, sont votées par des possédants effrayés par quelques bombinettes plus ou moins meurtrières (possédants qui n’hésiteront pas un seul instant à fournir à la guerre qui vient des cadavres à foison), ces lois, qui méritèrent à leur époque l’adjectif de scélérates, sont de retour. Actuellement, les immigrés font peur. Ils forment le nouveau prolétariat, entité étrange, menaçante, indéfinie. Pouget, expliquant clairement ce qu’est le sabotage de l’outil de production, doit leur sembler bien étrange, préoccupés qu’ils sont par la recherche d’un travail.
Par contre, la pratique de l’action directe, leur est quelque chose d’évident, de naturel. En témoignent les différentes grèves et manifestations de sans-papiers. Il faut lire Pouget aujourd’hui, particulièrement ce texte intitulé L’Action directe, il est d’une actualité brûlante.
Merci aux flibustiers d’avoir publié ces trois ouvrages.