Grèves dans les transports urbains

mis en ligne le 25 mai 2006

(des conflits peuvent en cacher un autre)

Depuis quelques temps, il ne se passe pas un jour sans que l'on nous annonce une grève de chauffeurs de bus. À chaque fois, le scénario est immuable : à la suite d'agressions verbales et/ou physiques, de dépradations ou d'attaques contre des bus, les conducteurs se mettent en grève contre l'insécurité et réclament des mesures de protection...

La réponse apportée est invariablement la même : plus de flics, plus de contrôles, plus de patrouilles, comme si la seule solution à ce «type de délinquance» était encore et toujours plus de répression ! On ne va pas jeter la pierre (il apparaîtrait qu'ils en reçoivent assez !) à ces pauvres chauffeurs, c'est vrai qu'ils font un métier difficile, surtout sur certains trajets, que c'est certainement épuisant nerveusement, que leurs conditions de travail (horaires etc.) sont exécrables, mais on a néanmoins envie de leur rappeler que les CRS qui leur ouvrent aujourd'hui le chemin au milieu de la «racaille» sont ceux-là mêmes qui interviendront contre leurs piquets de grève demain quand ils seront en conflit avec leurs patrons !

De toute autre nature est le conflit qui opposent les traminots de Rouen à leur direction, et ça les médias se gardent bien d'en parler, des revendications sociales, c'est pas vendeur coco, fais plutôt un bon gros plan sur ce bus dégradé, un long travelling sur les vitres brisées, voilà qui va faire frémir ! Et pourtant, pendant 15 jours, les conducteurs de la TCAR (Transports en commun de l'agglomération rouennaise) ont été en grève reconductible, et ce à plus de 75% ! Que réclamaient-ils ? Tout comme les routiers, le respect des accords signés l'année dernière.

Historique du conflit

Dans la lancée du mouvement des routiers de l'automne 1996, les chauffeurs de la TCAR, à l'initiative de la CGT (hégémonique dans la boîte), cessent le travail fin novembre 96 pour obtenir un réaménagement de leur temps de travail, une nouvelle classification, de meilleures rémunérations, la retraite à 55 ans.

Le conflit durera 17 jours, et le 18 décembre 96, la direction, la C.G.T. et un représentant de l'État signent un protocole d'accord sur la réduction du temps de travail à 34 heures et la création de 80 emplois, accord applicable en septembre 97. Comme lors du conflit des routiers, pour sortir de la crise, les partenaires sociaux ont botté en touche sur l'air de «remettons à plus tard ce qu'on ne veut pas donner tout de suite». Dans le cadre de la loi Robien, l'État devait assurer le financement de cinq mesures.

Un jeu de dupes

Or, il s'avéra vite que l'accord n'entrait pas dans le champ d'application de la loi Robien (et on a du mal à croire que personne ne le savait), l'État acceptant néanmoins de verser quelques subventions mais le compte n'y était toujours pas. Dans les mois qui ont suivi, la CGT maintenait la pression à coup de préavis de grève au dernier moment, ce qui pouvait plutôt passer pour du «retenez-moi ou je fais un malheur». Du côté des pouvoirs publics, le District de l'agglomération rouennaise, grand bailleur de subventions à la TCAR (concession du service public de transport), au nom de la défense des intérêts des contribuables, refusait de remettre au pot.

Curieux, quand il faut satisfaire des revendications ou des besoins sociaux, ce souci de préserver les deniers publics, on aimerait qu'il en soit autant quand il s'agit d'opérations de prestige ou de communication (dans ce dernier cas, voir la dépense en bouteilles de champagne...) Les choses n'avançant pas, il a bien fallu en découdre...

La grève

Le jeudi 13 novembre, la grève, massivement suivie, débute. La direction propose, en attendant l'application de la loi Aubry, une prime.

La grève s'installant dans la durée, elle promet la semaine de 35 heures et l'embauche de 30 personnes pour aller à terme vers la création de 55 postes. Refus de la CGT qui porte l'affaire devant les tribunaux (plainte pour non application des accords). Le juge se déclare incompétent et déboute la CGT. Il faudra bien se poser de sérieuses questions sur l'irruption de la Justice dans les luttes sociales, surtout quand ce sont les organisations de travailleurs qui viennent la chercher, quand c'est le patronat, c'est dans la logique des choses...

La TCAR réplique en contestant devant le tribunal le dernier préavis de grève. Que croyez-vous qu'il advint ?

Le 27 novembre, le juge, constatant que chacun campe sur ses positions, nomme un médiateur, à charge pour lui d'essayer de résoudre le conflit pour la mi-décembre, à la grande satisfaction de la CGT, qui suspend immédiatement la grève pour 15 jours, alors que les grévistes étaient prêts à continuer, ce qui réjouit fort la direction...

Tout ça pour ça ! La suite dans un prochain numéro...