Daesh ou la construction d’un nouveau mythe

mis en ligne le 15 janvier 2015
1761DaeshEt si l’État islamique (Islamic State of Syria and Irak) était autre chose que ce que l’on nous présente à longueur de temps dans les médias, ni moins terrible, ni moins sanglant, juste autre chose avec laquelle nous allons être obligés de vivre encore longtemps ? Daesh n’est pas un accident de l’histoire, mais le fruit de cette histoire. Aussi horrible, aussi meurtrier, aussi sanglant que tout ce qui s’est passé dans cette région du monde depuis cinquante ans. Il utilise les mêmes armes, les mêmes moyens que lors de la guerre Iran-Irak, que Saddam Hussein à Halabja, que la liquidation du camp de Sabra et Chatila au Liban sous le regard « neutre » de l’armée israélienne, etc.

Le califat, hier et aujourd’hui
À l’origine, le calife était un successeur du prophète Mohammed. Ce titre incarne dans l’imaginaire musulman l’âge d’or de l’islam conquérant et créateur. Sous le pouvoir ottoman vint le sommeil. Un calife rassemble en sa main les pouvoirs spirituels et temporels. Tout musulman lui doit obéissance. Abou Bakr al-Baghdadi s’est proclamé calife en juin 2014 de cet État islamique en Irak et en Syrie, plus souvent nommé Daesh.
Ce Daesh est l’héritier et le successeur des régimes qui l’ont précédé dans cette région du monde. C’est en cela qu’il menace et séduit. Il m’a paru pertinent de reproduire à ce sujet une analyse trouvée en ligne (http://dndf.org). « L’État islamique n’est pas un retour archaïque, fruit de rapports sociaux en décomposition, mais une entité politique en adéquation avec l’époque et le milieu qui l’ont produite : c’est l’État dénationalisé en personne […] en tout point digne de succéder à la "nation arabe" » comme acteur social et géopolitique. Le rêve nationaliste arabe a vécu. Après avoir été incarné un temps par Nasser et sa République arabe unie, il a disparu. L’idée va être brandie de nouveau, plus tard par Kadhafi avec le succès que l’on sait. Aujourd’hui, le Califat renoue avec cette espérance, mais hors diplomatie. Il renoue avec le mythe de la conquête arabe. Il offre l’espoir et la possibilité de se battre pour un monde meilleur à une jeunesse désemparée. Il emprunte ses moyens, ses façons d’agir aux régimes qui l’ont précédé. La violence et l’horreur des combats et des répressions internes et externes dans et entre les États de cette région du monde semblent bien avoir été oubliées par notre Occident replié sur ses certitudes.

Quel avenir pour l’Etat islamique ?
Il aura fallu les exécutions spectacularisées de quelques Américains survenues après l’effroyable annihilation des communautés yézidies, héritières du zoroastrisme, pour que les USA se décident à intervenir directement tant en Syrie qu’en Irak. Tous les commentateurs s’unissent pour dire que si ces bombardements arrêtent l’expansion islamique, sans intervention au sol, Daesh ne reculera pas. De cela, il n’est pas question. Les interventions en Irak contre Saddam Hussein des Bush père et fils ont débouché sur une catastrophe tant humaine que financière, tant d’un côté que de l’autre. Les derniers chiffres indiquent que plus de 2 000 milliards de dollars ont été dépensés en vain. Il y aurait eu près d’un million de morts du côté irakien, 2 000 Américains y sont morts et plus de 320 000 furent blessés.
En adaptant sa stratégie, Daesh a encore de beaux jours devant lui. En face, les forces kurdes vont pouvoir au mieux repousser quelques offensives et sécuriser leurs territoires. L’armée irakienne n’existe plus que sur le papier. En Syrie, l’État d’Assad est bien trop occupé à se battre sur le front intérieur pour faire face. La propagande islamiste va pouvoir utiliser les bombardements américains pour montrer que le combat de Daesh est aussi contre le capital international, contre la modernité, etc. Au Moyen-Orient les frontières, héritées du démembrement de l’Empire ottoman, n’ont plus aucun sens. Le nouvel état comme bien d’autres avant lui est en train de se forger les siennes. La seule question est de savoir combien de temps il faudra à la communauté internationale pour les reconnaître. Si d’aventure il disparaissait du fait de contradictions internes, Daesh laisserait la place à une formidable chanson de geste pleine de bruit et de fureur. Imbibé de sang et de violence, il aurait montré à la face du monde qu’un autre avenir était possible pour tous ceux qui se sentent rejetés du fait de leur religion.