Gotovi so ! Ils sont tous finis !

mis en ligne le 13 novembre 2014
1756SlovenieEn novembre 2012, la population de Slovénie (un pays d’ex-Yougoslavie bordant l’Italie, l’Autriche, Croatie et la Hongrie, membre de l’UE depuis 2004 et dans l’espace Schengen depuis 2007) se leva dans un mouvement de révolte massive, généralisée et décentralisée qui a montré une intense et, en grande partie auto-organisée, résistance à la crise économique et au copinage.
Les soulèvements ont commencé dans la ville industrielle de Maribor contre le maire corrompu et le conseil municipal, initialement suscités par l’introduction d’un système de radars pour surveiller le trafic routier, qui a conduit à 5 000 condamnations dans les premières 36 heures, avec des amendes d’au moins le tiers du salaire mensuel pour des infractions mineures un peu au-dessus de la limite de vitesse. Les soulèvements sont en réalité nés à cause de plus de vingt ans de politique de transition après l’éclatement de la Yougoslavie, avec l’accumulation de capitaux et les privatisations qui ont vu l’accroissement des inégalités et de l’impuissance. Les manifestants ont rapidement incendié les nouvelles caméras, qui étaient un acte visible et réel de la corruption municipale, en ces temps d’austérité et de privatisation, et ont ensuite pris les rues. Les manifestations locales contre la corruption, qui avaient déjà atteint des dizaines de milliers de personnes début décembre 2012, se sont rapidement propagées à partir de Maribor à d’autres villes et villages à travers le pays. Pendant le soulèvement, les réponses étatiques et municipales aux manifestations ont été très dures, avec l’utilisation de la police anti-émeute et les attaques contre les manifestants avec du gaz lacrymogène lancés par hélicoptère. Les manifestations se sont poursuivies jusqu’à mars 2013.
Après les soulèvements, le maire de Maribor, Franc Kangler, le leader de la droite au gouvernement, Janez Jansa, et le chef de l’opposition, Zoran Jankovic, étaient tous officiellement accusés par une Commission pour la prévention de la corruption.
Une caractéristique forte des soulèvements a été la présence des anarchistes, dont la Fédération pour l’anarchisme organisé (FAO), une section de l’Internationale des Fédérations anarchistes. Des membres de l’Anarchist Federation (Grande-Bretagne) ont participé, en 2013, au Salon du livre anarchiste des Balkans, qui s’est tenu dans la capitale slovène, Ljubljana, et ont été inspirés par les activités du Bloc anticapitaliste, qui avait été formé afin de rassembler les efforts libertaires pendant et après le soulèvement.
Organize ! (journal de l’AF) a interrogé un membre de la FAO sur évolution de la situation depuis le soulèvement.

Organize ! : Quand et comment le soulèvement a-t-il pris fin ? Y a-t-il eu des concessions, des changements politiques ?

FAO : C’est difficile à dire. Pour sûr, les réelles opportunités ont pris fin après les trois premières semaines. Nous voulons dire le moment où l’impossible devient possible, lorsque les protestations et les émeutes étaient incontrôlables parce qu’elles se déroulaient simultanément dans de nombreuses villes à travers le pays et il y avait des manifestations dans les petites villes et villages qui n’en avaient jamais vu avant. Lorsque les manifestations sont devenues plus centralisées, elles étaient plus prévisibles, moins dangereuses pour le système et donc elles ont commencé à perdre de la force même s’il y avait de plus en plus de gens dans les rues. Pour beaucoup, le mouvement a pris fin début 2013, lorsque le gouvernement de droite est tombé. Le Bloc anticapitaliste, qui comprenait beaucoup d’anarchistes, a pris fin avec le soulèvement en avril 2013, après une manifestation au cours de laquelle un cinéma de banlieue abandonné a été occupé pendant quelques heures. Certaines structures, comme les assemblées de quartier de Maribor, ont survécu jusqu’à aujourd’hui.

Organize ! : Est-ce que la répression policière/étatique a continué après la fin ? Y a-t-il eu une campagne de soutien ?

FAO : La répression frappe le plus durement à la fin, quand il n’y a plus gens dans les rues. Des centaines de personnes ont été arrêtées, certaines sont déjà condamnées en prison, d’autres toujours en attente de procès. Nous essayons de rester en contact avec tout le monde et il existe plusieurs groupes impliqués dans une campagne soutien, exigeant la libération de tous les prisonniers politiques et la fin immédiate de toutes les procédures juridiques à la suite du soulèvement.

Organize ! : Pouvez-vous nommer les organisations et des groupes impliqués dans le soulèvement ? Quels sont les organisations ou groupes qui existent encore après le soulèvement ? Que font-ils maintenant ? Est-ce qu’ils ont continué à discuter avec la FAO ?

FAO : Le soulèvement était égalitaire, décentralisé et spontané. En ce sens, il n’y avait pas de partis politiques ou de syndicats impliqués, pas même (surtout) les ONG. Les gens se retrouvaient dans les rues et de nouveaux groupes apparaissaient chaque jour. Certains sont encore actifs, d’autres pas. Nous avons essayé de profiter de l’occasion pour établir des liens avec le plus grand nombre possible, de trouver des moyens de coopérer jusqu’à ce jour. Le Bloc anticapitaliste est l’une de ces structures qui ont survécu et organisent encore des choses. Certains de ceux qui n’étaient pas aussi progressistes ont tourné leur énergie vers l’organisation de partis politiques (comme Syriza en Grèce). C’est regrettable, bien sûr, mais aussi attendu puisque les gens trouvent qu’il est plus facile de placer leur confiance dans la main de (nouvelles) organisations politiques, qui finiront par les décevoir encore une fois, que dans l’auto-organisation.

Organize ! : Pensez-vous que l’attitude des gens a changé par rapport à l’anarchisme depuis le soulèvement ?

FAO : C’est toujours difficile à dire. Ce que nous savons c’est que lors du soulèvement, les gens étaient prêts à nous parler. Nos tactiques, nos idées, nos stratégies et nos méthodes, slogans, bannières, etc., étaient largement adoptés, ce qui a certainement contribué à la construction d’une culture de résistance. Savoir si nous avons réussi à transférer cette expérience collective dans les prochaines phases de la lutte ne pourra être vérifié que dans le temps.

Organize ! : Quelle est la situation actuelle par rapport aux politiques corrompues ? Y a-t-il une réponse social-démocrate ?

FAO : De nouvelles élections ont porté au pouvoir de nouveaux partis et de nouveaux visages. La gauche officielle les a inventés pour que les choses restent comme elles sont. Même si ces partis n’étaient pas prévus – il ne faut pas tomber dans la théorie du complot ! –, ils sont le résultat logique d’une classe dirigeante qui se bat pour ses privilèges. Ils promettent la règle de la loi, mais bien sûr ces lois sont des lois qui maintiennent les privilégiés, privilégiés et le pauvre, pauvre.

Organize ! : Quelle est la situation économique en Slovénie ?

FAO : De plus en plus de chômage, plus de personnes dans des emplois précaires, une mauvaise ambiance, pas d’espoir dans l’avenir, la division entre pauvres et riches est de plus en plus importante… Bien que le soulèvement n’a pas changé la situation, il est important que nous apprenions ce que nous aurions pu faire mieux afin de nous préparer pour l’avenir.

Organize ! : Y a-t-il eu d’autres (plus petites) actions de personnes depuis la fin de l’insurrection ?

FAO : Il y a eu plusieurs grèves, manifestations, actions directes, débats, etc. L’atmosphère bouillonne et les gens se battent au niveau de la vie de tous les jours pour la rendre meilleure.

Organize ! : Quelles sont les choses les plus positives à l’issue de l’insurrection ? Les choses négatives ?

FAO : C’était la plus grande aventure de nos vies (à ce jour). Néanmoins, nous ne le fétichisons pas. Des événements d’une telle ampleur nous rendent humbles dans le sens où nous savons maintenant, encore mieux, que même de si grands bouleversements ne sont qu’une étape dans une longue lutte contre le capitalisme et toutes les formes de domination. Nous essayons de changer la peur, la dépression et la déception en force, nos erreurs doivent être des leçons pour l’avenir et nous donner le courage d’aller plus loin dans nos victoires. La meilleure chose qui est sortie de ce soulèvement ce sont les nouveaux réseaux, les nouvelles leçons et les expériences, le sentiment que le changement est possible et le goût d’un moment révolutionnaire qui vous donne la force de continuer.

Organize ! : Il y aura des discussions sur le soulèvement au Salon du livre des Balkans ?

FAO : Les camarades de la FAO ont uni leurs forces avec le collectif anarchiste américain Crimethinc dans le cadre de leur enquête en cours et de leur tournée « After the crest ». Les camarades de la Slovénie et des États-Unis vont donc présenter un exposé au Salon du livre qui traite de la question des cycles de vie des mouvements, visant au partage, entre autres choses, des expériences que nous avons eu lors de notre soulèvement pour que chacun d’entre nous soit mieux préparé pour le prochain.

Propos recueillis par Organize !