L’amour libre et le désir

mis en ligne le 3 juillet 2014
Le mariage, l’amour, le désir sont trois choses distinctes.
Le mariage, c’est la chaîne qui retient l’homme et la femme prisonniers l’un de l’autre.
L’amour, c’est la communion intégrale des deux.
Le désir, c’est le caprice de deux sensualités. Je laisse le mariage, dont je suis l’adversaire, pour en revenir à la question de l’amour libre.
J’ai dit que l’amour doit absolument être libre, aussi bien pour la femme que pour l’homme ; et j’ajoute encore : l’amour ne peut véritablement exister qu’à la condition d’être libre. Sans la liberté absolue, l’amour devient de la prostitution, de quelque nom qu’on le revêtisse.
Le fait de vendre son corps un prix plus ou moins élevé, à une nombreuse clientèle, ne constitue pas seulement la prostitution. La prostitution n’est pas seulement l’apanage de la femme, l’homme aussi se prostitue. Il se prostitue quand, dans le but d’un intérêt quelconque, il donne des caresses sans en éprouver le désir.
Non seulement le mariage légal est une prostitution lorsqu’il est une spéculation de l’un des deux époux sur l’autre, mais il est toujours une prostitution, puisque la vierge ignore ce qu’elle fait en se mariant.
Quant au devoir conjugal, ce n’est ni plus ni moins encore que de la prostitution.
Prostitution la soumission au mari ; prostitution la résignation et la passivité.
Prostitution encore que l’union libre quand elle passe de l’amour à l’habitude.
Prostitution, enfin, tout ce qui rapproche les sexes en dehors du désir et de l’amour.
Une des raisons pour lesquelles l’amour doit être absolument libre, c’est précisément cette similitude de l’amour et du désir dont je parlais tout à l’heure, en demandant qu’on ne fasse pas de confusion entre les deux termes.
Rationnellement, deux êtres peuvent-ils contracter un engagement quelconque alors qu’il leur est impossible de savoir s’ils pourront le tenir ? A-t-on le droit de lier deux éléments quand on ignore quelle affinité existe entre eux ? Dans le mariage légal il y a toujours une dupe : la femme, et quelquefois un désappointé : le mari, qui ne trouve pas en l’épouse celle qu’il avait cru deviner. Pourtant les voilà attachés l’un à l’autre.
Et même, le mariage peut avoir eu pour base l’amour réciproque, et n’en pas moins devenir au bout de très peu de temps un fardeau pour les deux conjoints. C’est que cet amour n’était seulement qu’un désir que la possession a éteint ; et si les deux époux s’étaient donnés librement avant la légalisation, l’expérience leur ayant prouvé qu’ils n’étaient pas faits pour la vie commune, il est fort probable que cette légalisation n’aurait pas eu lieu. Cela est une preuve en faveur de la nécessité de l’amour libre.
D’un désir l’amour peut naître, mais il n’est jamais possible de l’affirmer. Quand l’amour arrive aux sens après avoir passé par le cœur et le cerveau, il a beaucoup plus de chances de durée ; mais lorsqu’il a pour base le désir sexuel seulement, il risque fort de s’éteindre vite, si pendant son existence il n’a pu gagner le cerveau et le cœur.
Enfin – puisque je fais une étude analytique, je dois aller jusqu’au fond de la vérité – je dirai que le désir sexuel seul peut unir fort longtemps deux êtres sans jamais faire naître l’amour complet.
Un homme et une femme peuvent avoir des relations intimes, sans jamais être rapprochés par autre chose que ce désir sexuel. Leurs sentiments et leurs pensées peuvent être en parfait désaccord, alors que leurs chairs vibrent à l’unisson.
Et cela – je tiens bien à le faire observer – ne peut en aucune façon être comparé à la prostitution, puisque le sentiment qui rapproche ces deux individus – quoique exclusivement sensuel – est sincère de part et d’autre. Il ne peut y avoir de prostitution que là où il y a vente, contrainte, ignorance ou passivité. Là n’est pas le cas, puisque les deux amants sont attirés l’un vers l’autre par une même sensation, et qu’ils trouvent plaisir et satisfaction dans la liaison librement acceptée de part et d’autre.
Mais la véracité de ce que je viens d’exposer amène la condamnation de la monogamie. En effet, de la diversité des sentiments naît la diversité des désirs, et si l’on admet cette diversité comme loi essentiellement naturelle, on ne peut plus soutenir la loi monogamique. La monogamie c’est encore un genre de prostitution : prostitution de l’homme à la femme et de la femme à l’homme.
Il ne peut donc exister sur cette question de la vie sexuelle des individus qu’une seule loi et qu’une seule morale pour les deux sexes : la liberté absolue de l’amour.

Madeleine Vernet