Programme éducatif : de qui s'inspire le FN ?

mis en ligne le 17 avril 2014
1739ecoleC’est bien parce que la mise sous tutelle idéologique du système éducatif est l’un des éléments clés de la stratégie du FN que la première mesure proclamée par les mairies passées aux mains de l’extrême droite concerne le scolaire. C’est aussi pour cette même raison que notre engagement pédagogique et notre critique de l’école constituent une composante du combat antiréactionnaire. L’annonce, par Marine Le Pen, de la fin des menus de substitution au porc est en effet la première application de son programme « éducatif » tel qu’il est défini dans la plate-forme du parti et repris dans une brochure du collectif « Racine » qui se veut un guide des nouvelles pratiques municipales en matière d’éducation.
C’est pour nous l’occasion d’une première analyse du programme du FN en matière d’éducation. Mais, avant de rentrer dans le détail de ce programme, ce billet sera consacré avant tout à ce qui l’a inspiré et au projet social qui le porte.
L’esprit et les propositions de ce projet s’inscrivent assurément dans une longue histoire, celle des rapports entre l’extrême droite et l’école, sur laquelle nous reviendrons dans un prochain billet. Sa « réac-tualisation », si l’on peut dire, tant les idées défendues ici, sont systématiquement inspirées par un retour au passé, doit beaucoup aux thèses propagées depuis une trentaine d’années par toute une littérature réactionnaire sur l’école qui s’est autoproclamée « républicaine ». C’est déjà à cette prose que se référait Jean-Marie Le Pen dans son discours de Dijon sur l’école (26 novembre 2006) lors de la campagne présidentielle de 2007, introduisant sa diatribe par la litanie des titres des ouvrages des Brighelli, Le Bris, Capel et autres Polony. Sur son blog, Claude Lelièvre démontre que dans ce domaine, avec Marine Le Pen, il n’y a pas rupture mais bien continuité (« Le Pen et l’école, Marine après Jean-Marie, du nouveau ? », 3 octobre 2011). La matrice reste la même, comme en témoigne le titre retenu pour chacun des deux textes programmatiques : Pour une école de la maîtrise des savoirs, pour une école laïque et républicaine (brochure Racine) et Refonder l’école de la République (projet du Front national).
Le programme officiel du parti sur l’école est l’un des piliers du projet, classé dans la rubrique « Avenir de la nation » (et non pas de la « République », il s’agit bien ici de redresser « l’école de la nation »). Quant à parler ici « d’avenir », on découvrira vite que nous avons affaire à une politique de régression, dictée par une mythification du passé.
Le programme s’ouvre par une analyse tout droit sortie des pamphlets républicains, où se succèdent une série de lieux communs et de clichés à contre-courant du vécu dans les établissements scolaires ou des études sur l’école, piochant ici une citation de Platon, là une comparaison des résultats à une dictée : « Inutile de le nier : le niveau des élèves baisse d’année en année », « Laxisme face aux violences scolaires en progression continue, dispersion des apprentissages au détriment du français et du calcul, mise à l’arrière-plan de l’histoire de France, pour des raisons essentiellement idéologiques », « Depuis une quinzaine d’années, l’insécurité à l’école n’a cessé de progresser, de l’ordre de 10 % par an d’après les chiffres officiels. Or la transmission du savoir ne peut s’effectuer ni dans le chaos ni dans l’anarchie ». Voilà ce qui permettait à Jean-Paul Brighelli de déclarer dans Le Point (4 octobre 2013) que « les constats du FN, repris par le collectif Racine (officine d’enseignants soutenant Marine Le Pen), sont à peu près tous corrects » dans une sorte d’autocélébration et d’hommage au « copier-coller ».
Quant aux mesures préconisées par le programme du FN, on y retrouve les mêmes cibles que dans la prose des « républicains » : « L’école n’est pas “un lieu de vie ” où l’enfant construirait son savoir par lui-même. Depuis 1968, les méthodes pédagogistes ont peu à peu démantelé l’école de la République, bloquant l’ascenseur social et faisant de nos enfants des cobayes livrés à toutes les expériences plus catastrophiques les unes que les autres. Au centre de l’école, doit se trouver la transmission des connaissances, acquises difficilement par l’humanité au cours des siècles. Le maître sait, et n’a pas à être tutoyé par l’élève, qui lui doit respect et obéissance pour apprendre grâce à son effort évalué par la notation. Si félicitations et encouragements sont nécessaires, les sanctions sont tout aussi inévitables. »
C’est dans cette logique que s’égrène une succession de propositions et de slogans qui célèbrent l’ordre, la discipline, l’obéissance mais aussi l’appauvrissement des savoirs étudiés et des méthodes : « La valeur centrale de discipline », « Se centrer sur les savoirs fondamentaux », « Méthodes d’enseignement : la fin de l’aventure pédagogiste ». S’y lit surtout la nostalgie d’une école de la tradition (avec ses cartes de géographie, ses dates de l’histoire de France, ses leçons de calcul, ses dictées, etc.) qui cherche absolument à nous faire croire que l’école est devenu un « centre aéré », où plus rien ne s’apprend. Derrière le « retour à l’ordre », c’est la « tolérance zéro » – en bon français « l’intolérance », concept pour lequel le FN dispose en effet d’une longue expérience –, le primat du répressif sur l’éducatif, sans qu’on sache très bien en quoi la restauration des écoles-casernes conduirait à l’avènement d’individus libres et autonomes. « La véritable sélection, j’ose le dire, est source de l’égalité véritable. Il nous faudra refaire de l’école le lieu privilégié de la transmission du savoir minimum sans lequel, dans notre société, nul ne peut survivre, s’insérer, s’élever dans l’échelle sociale » (Jean-Marie Le Pen) : derrière le « retour aux fondamentaux », c’est le rétrécissement de l’horizon culturel et la mise sous tutelle des apprentissages au profit d’une orientation idéologique nationaliste, comme en témoigne l’accent porté sur une « certaine » histoire de France. C’est aussi, au nom de l’inégalité des capacités, la volonté de renforcer le rôle de l’école comme outil de reproduction et de légitimation des hiérarchies – auquel il est sans cesse fait référence – en instaurant au plus tôt des orientations au profit des élites et au détriment de l’immense majorité. Derrière la laïcité, une politique d’épuration culturelle et de stigmatisation de certaines catégories d’élèves, non pas pour des raisons pédagogiques (en quoi les menus des cantines sont responsables de l’état du système éducatif ?) mais là encore pour des motifs idéologiques. Derrière la nostalgie des méthodes traditionnelles, de l’élevage « à la dure », c’est le formatage d’une population qu’il s’agit de dresser, de modeler et non d’éduquer ou d’accompagner dans son appropriation des savoirs.
Distiller le soupçon sur tout ce qui tend à l’égalité sociale, ériger les hiérarchies, les divisions – l’hystérie accompagnant la dénonciation des programmes antisexistes en témoigne – en principes naturels : c’est bien là le cœur du programme. Car s’attaquer à l’égalité, à l’accès de tous au savoir, à l’émancipation nécessite de brouiller les repères, de falsifier le réel – autant celui d’aujourd’hui que celui d’hier, au nom d’un « bon sens » savamment fabriqué (la fameuse « Fabrique du crétin » ?).
Surfant sur la nostalgie de l’école de la sélection et de l’élitisme, qui était avant tout une école de la ségrégation sociale, le FN bénéficie d’un terrain qui a été bien préparé par toute une littérature réactionnaire. C’est à cette logique et à ce projet social de ségrégation qu’il faut s’attaquer. Toutes les critiques de l’école ne se valent pas et elles ne prennent de sens que dans la perspective politique dans laquelle elles s’inscrivent. Les échecs de l’école d’aujourd’hui n’amnistient pas ceux de l’école d’hier.
Déconstruire ces mythifications et ce culte du passé, poursuivre la critique de l’institution actuelle, avancer des pistes pour des méthodes et des pratiques s’inscrivant dans une perspective d’émancipation et non de soumission et de reproduction sociale, tels sont les enjeux qui doivent aussi nous mobiliser au quotidien.


Grégory Chambat




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