Les droits, ça se conquiert et ça se défend

mis en ligne le 27 mars 2014
Pour obtenir un droit, il faut revendiquer et lutter. Encore n’est-il jamais acquis définitivement. Pour le conserver, la vigilance est nécessaire et, pour l’améliorer, d’autres combats sont à mener. L’issue dépend toujours du rapport de force du moment, que ce soit dans le domaine social ou sociétal. On en a un parfait exemple en Espagne avec le projet de réforme de la loi sur l’IVG, que le ministre de la Justice, Gallardón, membre du Parti populaire (droite), a concocté 1. Projet qui vise explicitement à supprimer le droit des femmes à avorter. Rien d’étonnant venant de la part d’un politicien qui est un parfait relais de l’Église catholique et un digne représentant des secteurs les plus réactionnaires de la droite. Il a d’ailleurs été parfaitement clair : « Il n’y a aucun traité international qui reconnaisse l’avortement comme étant un droit. » Et d’ajouter qu’avec son projet de loi anti-IVG il est « persuadé que cette initiative aura des prolongements dans d’autres nations d’Europe ». Et, de fait, on peut voir, dans d’autres pays, des organisations ou partis d’extrême droite, ou simplement de droite (modérée ?) vouloir imposer un retour en arrière sur nombre d’acquis, notamment le droit des femmes à disposer de leur corps. Nous avons pu, nous aussi, le constater en France, par exemple avec les hauts perchés de Civitas et consorts, se rassemblant pour protester devant certains établissements hospitaliers où se pratiquent les IVG, se mobilisant dans les Manifs pour tous, dans le dessein de retourner vers des temps anciens dont ils ont la nostalgie. Ça s’appelle la réaction.

La résistance s’organise
De l’autre côté des Pyrénées, le gouvernement – lui aussi réactionnaire – de Mariano Rajoy est sur le point de renvoyer les Espagnols quarante ans en arrière : le projet de loi de Gallardón sera présenté aux Cortès en juin, et devrait être adopté sans difficulté, le Parti populaire ayant la majorité absolue dans ce Parlement. À moins que… manifestations et rassemblements qui se succèdent ne fassent reculer les tenants du pouvoir. Le 8 mars dernier, les défilés pour la Journée de luttes pour les droits des femmes a, évidemment, encore plus rassemblé que d’habitude. Avec toute la galaxie féministe, on a pu voir syndicats et organisations d’opposition mobilisés contre ce projet gouvernemental. À Barcelone et à Saragosse, en plus de réclamer le maintien de l’avortement libre et gratuit, l’accent a été mis sur les conditions sociales : pour l’égalité au travail, que ce soit au niveau des responsabilités ou des salaires. Et de souligner que la loi prévue sera une loi de classe : les femmes des milieux aisés n’auront, en cas de besoin, aucun problème financier pour avorter ; les autres (travailleuses, chômeuses, précaires…) se verront de fait interdire cette possibilité – retour aux aiguilles à tricoter et autres cintres. Le ressentiment monte d’autant plus contre le pouvoir que c’est ce gouvernement-là qui a offert une amnistie fiscale à tous les riches fraudeurs, dans le même temps qu’il s’attaque aux acquis sociaux. C’est ce gouvernement-là qui exonère l’Église catholique de TVA et d’IBI 2, alors qu’elle possède toujours un patrimoine de milliers d’immeubles et de terrains.
Côté « officiel », on voit aussi, depuis deux semaines, quatre communautés autonomes contester le gouvernement central de Madrid et réclamer le retrait de la loi anti-IVG : il s’agit de l’Andalousie, des Canaries, des Asturies et de la Catalogne. L’Assemblée de l’organisation médicale collégiale s’en mêle et déclare, quant à elle, que « la femme désirant avorter ne doit pas être considérée ni définie comme malade mentale » (encore heureux). L’Association des cliniques agréées pour pratiquer des IVG (Acai) critique également le rôle que le projet de loi prévoit d’attribuer au médecin et conclut que « la décision d’avorter doit revenir à la femme et à elle seule ».

Lettre ouverte
Trois médecins, Javier Esparza, Pilar Martínez Ten et Alberto Galindo, ont publié une lettre ouverte adressée aux députés. Lettre intitulée Personne n’a le droit d’imposer la souffrance et qui a eu un certain retentissement : « S’il vous plaît, Messieurs les députés, pourquoi ne pas légiférer sur l’amélioration de la santé en Espagne, en renforçant les services de diagnostic prénatal et de médecine fœtale déjà existants ? Pourquoi ne pas laisser aux femmes enceintes le choix de cette terrible décision [avorter] plutôt qu’à l’État ? Refusez les pressions des ministres, du gouvernement, du parti, ainsi que celles des organisations religieuses qui prétendent imposer à tout prix leurs critères moyenâgeux. »
L’échéance approche. Dans trois mois, cette « réforme » sera présentée en première lecture aux Cortès. Les Espagnoles sont déterminées à sauvegarder leur droit à choisir si, en cas de grossesse, elles veulent avorter ou enfanter. Nous sommes évidemment solidaires de leur combat. À nous d’organiser notre soutien de manière concrète.

Rosine Pélagie
Groupe Salvador-Seguí de la Fédération anarchiste





1. Voir, notamment, Le Monde libertaire n° 1727 et n° 1731.
2. IBI : impôt sur biens immobiliers.