Afrique du Sud : du côté du bidonville Marikana

mis en ligne le 6 mars 2014
Il y a peu, je suis allé à Marikana. Non pas le Marikana de la grève minière de 2012 au cours de laquelle la police a tué 34 mineurs, mais une installation de shacks, des cabanes en tôles, symboliques des bidonvilles, sur un terrain abandonné. La communauté s’est donné ce nom de Marikana en hommage à leurs frères et sœurs du Nord-Ouest du pays qui ont été tués par la police. Pour comprendre ce qui se passe à Marikana, il faut comprendre le fonctionnement des bidonvilles sud-africains. Les gens qui arrivent de zones rurales pour se rapprocher des villes et espérer avoir du travail s’installent dans des bidonvilles qui sont généralement des terrains appartenant à l’État, sur lesquels il n’y a pas besoin de permission pour s’installer. Lorsqu’on trouve un emplacement inhabité, on s’y installe avec sa famille, construisant un shack à l’aide de ce qu’on trouve à portée de main, en attendant qu’un jour, peut-être, le gouvernement nous reloge dans une habitation en dur.
Les habitants de Marikana font partie de ces gens. Ils se sont installés en lisière du bidonville, et ont construit des shacks sur un terrain qui ne peut être cultivé et qui est en très mauvais état, mais qui est privé. C’est pourquoi le 7 janvier, tôt le matin, des policiers sont arrivés, envoyés par l’Anti Land Invasion Unit, qui appartient à la mairie de Cape Town et qui a pour but d’éviter l’occupation « illégale » de terres, sans pour autant donner de possibilités de relogement aux occupants. Les policiers leur ont demandé de sortir de leurs shacks avec des affaires personnelles et sont revenus une heure plus tard pour détruire les habitations. Heureusement, 54 maisons ont été défendues contre ces destructions massives. Mais, maintenant, nombre d’entre eux n’ont plus d’habitations et ils se tassent à plusieurs familles dans ces petites cabanes de tôle. Je suis allé à leur rencontre avec le collectif Tokolos Stencil Collective. Tokolos est le nom d’une créature légendaire sud-africaine qui, la nuit, terrorise les enfants qui n’obéissent pas à leurs parents. Ici, il ne s’agit pas de terroriser les enfants, mais le gouvernement, d’émerger de l’obscurité pour rappeler au peuple qu’on peut lutter pour la justice et pour la liberté, contre le gouvernement des riches qui relèguent les pauvres dans des bidonvilles insalubres loin de leur vue. Plusieurs personnes de Tokolos aident les familles expulsées, au niveau juridique notamment, puisqu’ils comparaissent le 19 février devant la justice. Par chance, la ville de Cape Town a pris des photos de son intervention qui pourraient jouer en la faveur des habitants, montrant que les shacks étaient bien occupés et témoignant des agissements de la police.
Pendant que j’étais à Marikana et qu’on discutait avec les habitants, un couple de personnes âgées est arrivé, de retour d’Eastern Cape où il était parti voir de la famille pendant quelques semaines. Ils ont découvert leur maison détruite, et c’était très émouvant de voir ce vieux couple au milieu des détritus qui formaient leur maison il y a un mois seulement, et la solidarité des autres habitants qui les ont immédiatement accueillis chez eux. Avec le collectif, nous sommes aussi allés faire des pochoirs dans les bidonvilles voisins pour rappeler aux habitants la révolte de Marikana, et ce qui se passe en ce moment même dans ce Marikana local. On s’est arrêté dans un autre bidonville où les toilettes installées par le gouvernement en bordure de bidonville, d’une puanteur et d’une insalubrité horrible (pas de chasses d’eau, elles sont vidées une ou deux fois par an, etc. ; sans parler des énormes rats qui y courent) ont été utilisées comme murs de graffitis pour rappeler l’injustice de ces traitements réservés aux plus pauvres. « This city works for rich », peut-on maintenant y lire. Les habitations proches de ces toilettes sont situées sous une ligne à très haute tension. On est alors enveloppé dans une atmosphère très désagréable où la puanteur cohabite avec le son horrible et entêtant de la ligne. Alors que j’interpellais un jeune qui vit ici, militant EFF (le parti anticapitaliste marxiste-léniniste de Julius Malema), à propos de la cohabitation avec les lignes THT, il m’a expliqué que le gouvernement interdit officiellement de s’installer dessous, mais qu’ils n’ont pas d’autres endroits où aller. De fait, ici, on ne les chasse pas, ils se bousillent la santé, mais ils ne portent atteinte à aucune propriété privée, contrairement à Marikana. Ce militant me racontait que le pire, c’est quand il pleut. Qu’on ne peut pas ouvrir de parapluie, sinon, c’est l’électrocution assurée. Et, de fait, il y a déjà eu des incendies causés par ces lignes électriques. Mais bon, ce n’est pas vraiment dans l’intérêt du gouvernement de travailler pour les pauvres.
Le 19 février, c’est tout un bidonville qui s’est mis en route pour Cape Town, et qui a manifesté jusqu’au tribunal. Ils rappellent, en ces temps de campagne électorale, que l’état, quel que soit le gouvernement, travaille pour les riches et qu’il n’y a que par la lutte que nous pourrons changer les choses !
Le tribunal a commencé à travailler sur cette affaire, passant une semaine à discuter de ce qu’est une « maison », et donc si ce sont bien des maisons qui ont été détruites. Le jugement final sera le 10 mars. Affaire à suivre, donc !

Nomathemba