Des papiers et un logement pour tous

mis en ligne le 19 septembre 2013
Depuis quelques mois, dans tout le Calvados, des personnes en demande d’asile sont mises à la rue. Cette situation critique, nouvelle pour le département, ne l’est pas ailleurs en France, mais elle se généralise à l’ensemble des départements où les services du 115 et les associations ne peuvent faire face aux demandes croissantes d’hébergement.
Ainsi, dans le Calvados, la préfecture expulse des chambres d’hôtel du jour au lendemain, suivant l’humeur des sbires de la Direction départementale de la cohésion sociale et, bien sûr, sans leur proposer une quelconque solution de relogement. Sous prétexte qu’il n’y a soi-disant plus d’argent, ils continuent leur manège avec en ligne de mire 700 personnes à foutre à la rue au plus vite. Pour dénoncer cela, il existe le Collectif 14 pour le respect du droit des étrangers, qui regroupe tout un tas de signataires allant des syndicats, en passant par des organisations citoyennistes et des partis politiques comme le Parti socialiste et Europe Écologie Les Verts. Leur travail consiste à s’occuper des personnes en situation de précarité et de négocier avec les pouvoirs publics, que ce soit la préfecture, la mairie ou le conseiller social du président de la République, afin de trouver des solutions de logement pérennes ou, au minimum, d’urgence. Leur lutte est légaliste et après avoir été trimballés par les différents acteurs au pouvoir, ils sont arrivés au pied du mur, sans solution satisfaisante et se confrontant à des interlocuteurs de moins en moins enclins à la négociation. Ils ont alors proposé une assemblée générale, qui a été l’occasion pour quelques libertaires de s’y pointer et, dans un contexte de relative inefficacité de la lutte du collectif dans le cadre défini par l’état, d’interroger la question de la légalité et la possibilité d’imposer un rapport de force venant directement d’une assemblée fonctionnant horizontalement dans les prises de décision, sans autorité et sans hiérarchie. Les différences de mode de fonctionnement des organisations et individus constituant cette assemblée ont nécessairement provoqué des difficultés afin de déterminer communément les moyens de lutte à mettre en œuvre, les revendications à défendre, et l’attitude à adopter vis-à-vis des autorités locales et étatiques. Mais l’assemblée est tout de même arrivée à souhaiter l’appropriation par l’usage d’un logement vide, comme il y en a des milliers un peu partout.
Fort de ce nouvel objectif commun, la nouvelle assemblée a pu prendre place dans cette lutte locale. Mais cela n’a pas été sans poser problème puisque l’expertise et la spécialisation, tant décriées par certains anarchistes, se sont retournées contre eux. En effet, ils sont rapidement devenus les petites mains du collectif citoyenniste, spécialistes de l’ouverture de squat, le tout sous l’œil aiguisé de l’attaché parlementaire de Philippe Duron (député-maire de Caen PS et par ailleurs élu député le plus cumulard de France). Mais les petites mains sont « bon jeu » et ont accepté la partie. Un lieu a été ouvert au 202 rue de Bayeux à Caen, le 24 juin 2013, afin que les familles qui continuent progressivement de se retrouver sans solution d’hébergement puissent l’investir. Ce lieu était un ancien centre d’hébergement d’urgence, inoccupé depuis presque un an, appartenant à l’un des bailleurs dits « sociaux ». Ils s’y passent des AG de luttes et de perspectives politiques, distinctes des AG de fonctionnement du lieu, mais toutes se déroulent en français. Ce qui ne va pas sans poser de nouvelles difficultés puisqu’il est nécessaire d’assurer la traduction car la plupart des personnes occupant le lieu sont d’origine étrangère et ne maîtrisent pas le français, tout comme les militants accompagnant ces personnes ne parlent pas leurs langues (mongoles, libanais, etc.). Dans les AG de luttes sont rapportés les différents éléments des commissions (média, actions, repérages) afin de décider ensemble (à la majorité) le déroulement de la lutte. D’autres activités (apprentissage de la langue française, ateliers vélos, cuisine collective, etc.) rassemblent également militants et immigrés. Bien entendu, les huissiers sont rapidement passés pour signifier l’expulsion et une procédure judiciaire est en cours avec un délai d’un an demandé par notre avocat. Le rendu du procès aura lieu le 10 septembre. En attendant, la lutte continue et les militants, ainsi que les familles hébergées, construisent le rapport de force nécessaire au maintien de ce lieu. Des bulletins d’informations, dont le quatrième numéro voit le jour en ce moment, sont distribués à Caen devant la préfecture, le matin ou durant les manifestations qui ont lieu chaque lundi soir à 18 heures au départ de cette même préfecture. Les marchés sont également un lieu de communication vers la population locale. Y sont présents militants, bénévoles d’associations et immigrés sans papiers. Le mot d’ordre est clair : Des papiers pour tous, un logement pour tous.

Un besoin de clarté politique dans ce type de lutte complexe
Cette situation locale n’a rien de spécial et existe sous des formes similaires un peu partout. L’enjeu est d’en tirer des constructions sociales émancipatrices et de ne pas s’embourber dans des logiques compromettantes (compromis à tout prix, logique de gestionnaire, stratégie partisane). S’il est possible pour beaucoup d’anarchistes de travailler avec des trotskistes ou des droit-de-l’hommistes dans ce genre de situation complexe, attaquant ainsi ensemble l’inhumanité d’un gouvernement et la logique capitaliste qui lui dicte certaines de ses positions abjectes, il semble évident que cela ne l’est absolument pas avec des encartés dans les partis au pouvoir. Ces derniers sont bien évidemment le PS et EELV, mais aussi les militants du Front de Gauche qui chapeautent ici ou là des municipalités ou des conseils départementaux ou régionaux. Cela n’est pas simple à faire comprendre aux citoyennistes qui, dépolitisant au maximum la lutte, œuvrent à un œcuménisme qui ramène allègrement des religieux (pas nouveau dans ces luttes où règne encore le misérabilisme le plus charitable qui soit) et nous conduise à l’interrogation suivante : que se passera-t-il quand ce seront des militants d’extrême droite qui viendront soutenir ces combats pour des raisons obscures et confuses (immigration choisie, argumentation et aide pour un retour au pays d’origine via des concepts ethnonaturalistes, par exemple) ?
Pourtant les arguments permettant de virer à coups de pied au cul les défenseurs des partis suscités, et notamment ceux du PS, ne manquent pas. La politique migratoire défendue par ce dernier est du même acabit que celle des gouvernements de droite dure. De la création des centre de rétention administrative en 1981, en passant par les zapi (zones d’attente pour personnes en instance) 1, la gôche a activement contribué à faire la misère aux étrangers qui cherchaient un peu plus de liberté et un peu plus de confort en s’exilant. En renforçant la bureaucratie pour administrer, et donc contrôler au mieux, « les flux migratoires », le PS se situe de fait dans un registre anti-immigré. En ayant pris soin d’inventer des phrases publicitaires, dénuées de sens politique, telle que « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde 2 », il draine des pensées puantes qui reviennent de manière réflexe dans la bouche de tous les dirigeants et dans la tronche des ignorants. Quant à ses pratiques, il suffit de constater les rafles ordonnées encore tout récemment par le ministère de l’Intérieur. Celle du 6 juin à Barbès entraînera l’arrestation de 80 personnes dont 33 seront conduites en centre de rétention administratif 3.

L’État comme outil xénophobe et liberticide
Selon nous, cette lutte ne se limite pas à une simple question d’hébergement d’urgence. Ce sont bien les logiques étatiques et capitalistes qui induisent ces conditions de vie et qu’il faut dénoncer et abattre. Nous ne sommes pas attachés aux questions de droit (droit inconditionnel à ceci, à cela) même si cela peut, dans certains cas, être un préalable pour accentuer le combat politique. Nous sommes pour la destruction d’un système économique et politique qui est en partie possible et viable à cause de l’État. Car pour asseoir son autorité, permettre la libre circulation des marchandises et accumuler un capital, il est indispensable de faire appel à une armée et une nation. Déployer l’un pour mieux protéger l’autre et vous obtenez toute l’horreur colonialiste qui impose un mode de vie uniforme et contraint. Les frontières, qui sont des purs produits humains, n’existent que parce que les États le veulent et le décident entre eux, par la mise en place du Frontex 4 en Europe par exemple. Le business s’étend tellement que sur les mers et océans la traque du moindre migrant est devenue systématique. Mais ce n’est pas une course à la richesse pour tous dans un monde fini, ni la question de la répartition des moyens de consommer frénétiquement qui apporteront une once de solution. C’est bien leurs éradications avec un changement de valeur favorisant la terre et la solidarité comme besoins premiers.

Jean-Sébastien
Groupe Sanguin de la Fédération anarchiste








1. Le placement en zone d’attente est une mesure privative de liberté prise par le chef de service de la police nationale ou des douanes chargé du contrôle aux frontières. En droit français, il s’agit là du seul cas (avec le maintien en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière) où des personnes peuvent être privées de liberté pendant une certaine durée sur décision administrative et sans intervention d’une quelconque autorité judiciaire. Or dans le cas des demandeurs d’asile, le placement en zone d’attente n’a pour finalité que de permettre à la police aux frontières (PAF) de procéder aux refoulements. Dans le cas où la provenance d’un vol aérien serait inconnue de la PAF opérant en zone d’attente, celle-ci a alors recours au Stic (Système de traitement des infractions constatées, fichier du ministère de l’Intérieur regroupant les informations concernant les auteurs d’infractions interpellés par les services de la police nationale), fichier international commun aux polices de presque tous les pays du monde et/ou aux fichiers des compagnies aériennes.
2. Phrase de Michel Rocard, alors qu’il exerçait la fonction de Premier ministre.
3. Les centres de rétention administrative (CRA) sont utilisés pour retenir les étrangers auxquels l’administration ne reconnaît pas le droit de séjourner sur le territoire français et pour lesquels elle a décidé de procéder à l’éloignement forcé.
4. Sigle valant pour « Frontières extérieures ». Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne