Notre force est infinie

mis en ligne le 19 juin 2013
1711RiriL’Afrique est d’actualité ces derniers temps. Quand elle fait les grands titres, c’est le plus souvent pour des raisons négatives, faim, famine, guerre, génocide... Comme dans toute société humaine, il y a des salauds, des héros et des gens normaux. Dans les conflits armés, il y a essentiellement des hommes, ce qui a pour conséquence que du côté des victimes il y a des femmes, en grand nombre, victimes qu’elles sont de tas de façons, dont le viol systématique n’est pas la moindre. Que se passe-t-il quand ces victimes en ont ras le bol de l’être, autant dans leur corps que dans leurs enfants qui souvent se révèlent en être les auteurs, puisque chacun d’entre eux est né d’une femme ? Que se passe-t-il quand ces femmes disent non ? Comment disent-elles non ? En prenant un fusil ?

Les seins nus
Bien avant les Femen, des femmes africaines utilisèrent leur nudité comme arme politique contre l’injustice. Il ne s’agit pas ici de porter un regard critique sur l’action de ces féministes en Tunisie. Les bonnes âmes sont prêtes à défendre des lanceurs de pavé ou de cocktails Molotov, mais quand il s’agit d’une paire de seins, on voit refleurir les rappels au respect des traditions culturelles du pays en question. En Afrique dite « noire » c’est un mode d’action des femmes depuis belle lurette. Passé inaperçu dans nos pays « blancs » puisqu’au fond il s’agite de « négresses ». Au Kenya, en février 2001, plus de trois cents femmes nues chassèrent des chercheurs scientifiques venus étendre une réserve naturelle au détriment de leurs terres traditionnelles.
En Gambie, en septembre 2001, une trentaine de femmes occupèrent les rues de Brikama, une grande ville du pays, pour protester contre un rituel électoral, le sacrifice d’un chien.
En Ouganda, en avril 2012, six militantes se déshabillèrent et défilèrent dans les rues de la capitale, Kampala, pour protester contre l’agression sexuelle subie par l’une d’elles. Elles demandaient que la police arrête le flic qui avait pincé le sein de leur leader, responsable d’une association de femmes pour le changement démocratique.
Le 28 août 2012, un autre pas avait été franchi au Togo. Au cours d’un défilé contre le gouvernement, des manifestantes avaient descendu leurs pantalons face aux forces de police.
Au Nigeria, en décembre 2012, des femmes Ibos se déshabillèrent presque complètement pour protester contre l’invasion de leur communauté par des voyous. Ces femmes défilèrent dans les rues en chantant. Elles accusaient des spéculateurs fonciers de payer ces petites frappes afin de mettre la main sur une bonne part des terres communautaires. Là, comme partout en Afrique, la nudité des femmes est ressentie comme une menace par les hommes.

Au Libéria
Je viens de finir de lire un livre qui m’a beaucoup remué. Il porte le titre de cet article. Il s’agit des mémoires d’une femme, Leymah Gbowee, recueillies par une journaliste. Avant même de recevoir en 2011 le prix Nobel de la paix avec deux autres femmes leaders, une du Libéria et une du Yémen, Leymah Gbowee est une mère de famille nombreuse, composée de ses enfants et de ceux qu’elle a recueillis et adoptés, tout au long de la guerre civile qui déchira le Liberia de 1989 à 2003. Ce n’est pas une intellectuelle ni une bourgeoise, c’est une survivante. L’horreur des guerres qu’elle a traversées dans ce pays est indescriptible. La litanie des crimes qui traversent ce livre est sans fin. Prises en tenailles entre deux ou trois bandes d’hommes et d’enfants en armes, dont l’opposition se résumait en fait à un concours d’atrocités, les femmes de ce pays-là se révoltèrent, sans prendre d’armes, et firent reculer ces troupes de meurtriers. Parce qu’elles n’en pouvaient plus, elles trouvèrent en elles-mêmes, dans leurs profondeurs, les ressources de se relever. Voici les paroles d’une de leurs chansons qui décrit leur enfer :
« – Nous sommes fatiguées de la guerre
– Nous sommes fatiguées de toujours courir
– Nous sommes fatiguées de mendier pour de la farine
– Nous sommes fatiguées de voir nos enfants violés
– Nous nous relevons maintenant, pour assurer la sécurité de nos enfants
– Parce que nous croyons, gardiennes de cette société, que demain nos enfants nous demanderont : “Maman, quel rôle as-tu joué dans cette crise ?” »
Leymah Gbowee fut une de leurs principales animatrices. C’est en rassemblant petit à petit les femmes qui avaient survécu, qu’elle et ses amies parvinrent à obliger les ruffians militarisés à négocier entre eux la fin des combats. Lors de la négociation définitive, le lieu fut encerclé par les femmes. Lassées de voir les palabres tirer en longueur, Leymah Gbowee fut envoyée pour débloquer la situation. Devant l’obstination de ces hommes, elle menaça de se mettre nue. Effrayés par cette menace de malédiction, ils signèrent la paix.
Depuis, partout en Afrique noire, des femmes manifestent la plupart du temps revêtues de vêtements blancs comme les manifestantes libériennes et parfois seins nus, quand la pression est trop forte. Tout cela dans le silence des Blancs, dans notre silence.