Indigestion d’austérité chez les Ibères

mis en ligne le 20 mars 2013
1700EspagneLe samedi 2 mars, à Lisbonne et dans une quarantaine de villes du Portugal, des centaines de manifestants ont défilé dans les rues pour protester contre leur gouvernement et sa politique d’austérité. Partout, ils étaient des centaines de milliers à entonner Grandola Vila Morena, ce chant qui, diffusé à la radio le 25 avril 1974, avait été le signal du déclenchement de ce qu’on appellera par la suite la Révolution des œillets.
Les temps ont changé, les gouvernements aussi, mais l’exploitation et la misère sont toujours là. Ici comme ailleurs, la crise (toujours elle !) provoque les mêmes dégâts : licenciements, chômage accru (il dépasse maintenant les 17 %), etc. Les remèdes prescrits par la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) sont les mêmes que pour la Grèce et l’Irlande : ajustements budgétaires découlant du « sauvetage » du pays par l’Union européenne. Par ajustements budgétaires, il faut évidemment comprendre coupes budgétaires dans les services publics et privatisations à outrance. Syndicats (mais pas tous), associations, collectifs, étudiants, retraités… Tous se sont retrouvés dans la rue pour crier : « Que se lixe la troïka ! » (« Que la troïka aille se faire foutre ! ») – et tant pis pour le politiquement correct !
À noter que, là-bas aussi, une « réforme » de la législation du travail a été signée entre le patronat et l’Union générale des travailleurs portugais (UGTP, d’obédience socialiste), mais rejetée par la CGT portugaise. Cette nouvelle législation prévoit, entre autres, la réduction des congés payés à vingt-deux jours ouvrables, la diminution du tarif des heures supplémentaires ainsi que la baisse des indemnités de licenciement : de trente jours par années travaillées, elles tombent à huit/douze jours. Il est loin le temps où le mot « réforme » avait une connotation progressiste ; désormais, à chaque fois qu’il est prononcé, c’est au détriment du bien-être des travailleurs.
Au Portugal, où le seuil de pauvreté est estimé à 434 euros, le salaire minimum perçu par 400 000 travailleurs (sur environ 6 millions d’actifs) n’est, lui, que de 432 euros nets (après retenues pour la caisse de la Sécurité sociale). Le constat d’Armenio Carlos, secrétaire général de la CGT portugaise, semble donc juste : « Ce gouvernement qui n’a pas de légitimité politique, morale ou éthique ne tient plus que par un fil. » Donc, affaire à suivre.
Et chez le voisin espagnol ? La situation n’y est guère meilleure pour les travailleurs. Les mêmes mesures d’austérité précarisent de plus en plus une population jamais consultée sur les décisions prises à Bruxelles par des institutions non démocratiques (suivant même la définition bourgeoise du mot « démocratie »). Les camarades anarcho-syndicalistes de la CGT espagnole appellent donc, tout naturellement, à une mobilisation contre l’Europe des marchés, responsable de la précarisation, et lance un manifeste pour « une Europe des personnes contre l’Union européenne des marchés ». Ils sont pour une Europe dans laquelle on défend les droits de toutes et tous contre les intérêts des marchés. Contre le fait qu’à Bruxelles 15 000 lobbyistes grenouillent auprès des députés, et que les représentants des banques occupent des hautes charges dans les gouvernements et au sommet des organismes tels le FMI ou la BCE par exemple. La CGT espagnole exige également l’abrogation de tous les traités et pactes de l’Union européenne, puisqu’en tant que centrale anarcho-syndicaliste elle se déclare pour la construction d’une Europe des personnes et des peuples qui privilégie les droits et les intérêts des citoyens face aux élites économiques. Elle exige également une Europe démocratique dont les objectifs soient l’égalité, la liberté, la justice, la solidarité, l’entraide, soit autant de valeurs en opposition à cette Union européenne qui ne sert qu’à veiller aux intérêts du capital, aux dépens des droits et libertés des citoyens.
Les actions en préparation sont la continuation de toutes celles qui ont lieu depuis des mois, consistant à réclamer l’arrêt des privatisations et l’abrogation des lois qui les autorisent, car la gestion privée se révèle plus coûteuse et de plus mauvaise qualité que la gestion publique, le seul « avantage » des privatisations étant d’augmenter les profits des grandes entreprises. Au catalogue des revendications s’ajoutent, comme chez les voisins portugais, l’annulation de la réforme du Code du travail, l’augmentation du salaire minimum interprofessionnel (et, parallèlement, la limitation des hauts revenus des dirigeants). Sans oublier, bien sûr (problème plus qu’aigu en Espagne), la régulation du marché immobilier, l’arrêt des expulsions, la reconversion des logements vides en logements sociaux. Les mêmes droits et libertés sont revendiqués pour les immigrés, la régularisation de tous les sans-papiers, ainsi que la fermeture des centres de rétention (oui, là-bas aussi il y en a).
Ce catalogue revendicatif syndicaliste et anarchiste ne serait pas complet sans ce point exigeant la démilitarisation de l’État et de la société : arrêt des programmes d’achat d’armement et des missions militaires à l’étranger, ainsi qu’abandon des achats et de l’utilisation d’armes antiémeute, afin de mettre un terme à la répression policière contre les citoyens qui ne font que manifester leur indignation devant toutes les mesures antisociales dont ils sont victimes.
C’est dans cette perspective que la CGT espagnole lance un appel pour que la lutte pour les droits et libertés des personnes et des peuples soit une lutte clairement antifasciste, car face à la dictature financière que la population subit, on voit se présenter comme alternative des fascismes politiques qui, en ces temps de crise, s’enracinent dans toute l’Europe, à travers des discours populistes qui cachent de vieilles formes d’oppression. Rendez-vous était donc pris à l’occasion du sommet européen à Bruxelles, les 14 et 15 mars, pour développer manifestations et actions dont le point d’orgue pour l’Espagne devait être un rassemblement géant Puerta del Sol, à Madrid.