Le viol : une arme contre les pauvres en Inde

mis en ligne le 16 janvier 2013
1693CouillesLes médias en ont parlé jusqu’à plus soif. C’était l’occasion géniale de détourner l’attention, de montrer que, chez les sauvages, c’était pire que chez nous, les civilisés. Une chaîne de télévision alla jusqu’à « donner la parole » aux femmes indiennes. Oui, vous l’avez deviné, il est question ici de ce crime, un viol suivi de l’assassinat d’une jeune femme dans un bus de New Delhi. Avant d’aller plus loin, je voudrais juste rappeler que, selon les statistiques, il y aurait, dans notre doux pays, 205 viols par jour, donc 75 000 par année, dont seulement 8 458 sont déclarés. Les tentatives de viol, elles, s’élèvent à 198 000. Ce sont probablement des chiffres minimaux dans la mesure où ces crimes restent le plus souvent cachés. En Inde, il y aurait eu 24 206 plaintes déposées pour viol en 2011. Ce qui, compte tenu de la population indienne (soit 1 200 000 000 habitants), en ferait le pays où ce type d’acte serait proportionnellement le plus faible. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’une formule mathématique.

Un homme, une femme et inversement
Pour que l’espèce humaine se reproduise, il faut que le nombre de femmes soit plus ou moins équivalent au nombre d’hommes. Le ratio est de 105 femmes pour 100 hommes en France. En Inde, il est de 91, comme en Chine, d’ailleurs. Comment expliquer cela d’une part et quelles en sont les conséquences ?
Le progrès scientifique et technique est responsable techniquement de cet état de fait, car il permet aux futurs parents, comme à leur famille, de connaître avant la naissance le sexe de l’enfant. On se réjouit quand il s’agit d’un garçon, et un avortement est très souvent provoqué quand il s’agit d’une fille. Eh oui ! Une fille, il faut la marier, pour la marier il faut lui donner une dot qui doit être la plus élevée possible et qui vient donc diminuer la part restante au garçon. Pour beaucoup de familles, avoir une fille est une catastrophe.
Cette situation entraîne une autre conséquence tragique : si la dot ne se révèle pas du niveau promis, le mari et sa famille se considèrent autorisés à tuer la nouvelle épousée. Les chiffres officiels évaluent à 10 000 le nombre de femmes tuées pour cette raison chaque année.
Au pays du Kamassoutra, la femme est considérée comme quantité négligeable mais, dans les faits, les choses changent lentement.
Aujourd’hui, le plus grand parti indien est dirigé par une femme, une autre femme est à la tête de la chambre basse du Parlement, et trois gouverneurs d’État sont des femmes. De 2007 à 2012, une femme, Pratibha Patil, fut présidente du pays. Malgré ces avancées, le mal reste très profond. C’est ce que nous rappelle la militante radicale Arundhati Roy 1 dans un entretien publié dans les médias indiens et dont je cite quelques passages dans le paragraphe qui suit.

La lutte contre les pauvres
« Nous assistons à une réaction ordinaire à un événement que nous considérons difficilement comme exceptionnel, c’est d’ailleurs terrible d’appeler exceptionnel un événement tragique. […] Cependant, le vrai problème est de savoir pourquoi ce crime suscite une telle émotion, cela est-il en rapport avec le fait que ce sont des criminels pauvres, comme un marchand des quatre saisons, un moniteur de gym ou un conducteur de bus qui ont en fait agressé une fille de la classe moyenne ? Quand le viol est utilisé comme moyen de domination par les classes supérieures, l’armée ou la police, ce n’est jamais puni. […] Je pense que cela [ces manifestations] débouchera peut-être sur quelques nouvelles réglementations, une surveillance accrue, mais tout cela ne protégera que les femmes des classes moyennes. Mais pour les cas où la police et l’armée sont impliquées, il n’y aura pas de nouvelle loi. Qu’allez-vous faire quand la police, elle-même brûle des villages et viole collectivement les femmes (gang-rape) ? J’ai personnellement entendu de multiples témoignages de femmes, victimes de ces actes.
» L’Inde féodale a un immense passé et un énorme héritage de mépris et de violences faites aux femmes. N’importe quel compte-rendu de la Partition (séparation de l’Inde et du Pakistan en 1947) comme le récit de ce qui est imposé aux femmes Dalit (intouchables) en attestent, mais aujourd’hui on est en face d’une espèce de psychose.
» En ce moment, l’armée et la police utilisent de façon routinière le viol comme une arme contre le peuple dans des régions comme le Chhattisgarh (en rébellion armée permanente), le Cachemire (qui désire son indépendance) et le Manipur (État frontalier avec la Birmanie où une insurrection larvée subsiste depuis 1964). Mais ce qui est vraiment dangereux, c’est le fossé grandissant entre les riches et les pauvres. Auparavant, au moins, les riches agissaient avec un minimum de discrétion, mais, aujourd’hui, tout passe à la télévision pour une consommation de masse, ce qui entraîne une accumulation de colère et de psychose, et les femmes en haut, au milieu, et en bas de la société vont en payer le prix. »
En Inde, comme ailleurs, l’émergence des femmes témoigne de changements sociaux profonds.









1. Voir Le Monde libertaire n°1580.