Montréal : « On est en grève pis c’est pas des crisses de farces ! »

mis en ligne le 24 mai 2012
1674MontrealMontréal, ce n’est pas qu’une banlieue culturelle entre New York et Paris, pas qu’un spot de vacances ou une opportunité de carrière. En ce moment, c’est le terrain d’une révolte qui prend de l’ampleur.
Ça a commencé par une grève étudiante, la plus importante depuis 2005, qui dure depuis douze semaines (record nord-américain). Le prétexte : la hausse annoncée de 1 625 dollars des frais de scolarité à la fac. Le gouvernement Charest considère que les étudiants – ces privilégiés qui feront plein de thunes plus tard – doivent contribuer.
Là-bas, les AG ne se tiennent pas n’importe comment. Dans chaque fac, il y a un syndicat étudiant unique à cotisation obligatoire. C’est l’AG qui décide si son « syndicat » s’affilie à une fédération nationale. En gros, c’est comme si l’affiliation à l’Unef ou à SUD était décidée par une élection d’UFR. Les syndicalistes ont donc une bonne longueur d’avance sur toute forme d’organisation autonome. C’est la formule RAND, entrée dans les lois du travail pour briser le syndicalisme radical. Ces associations deviennent les seules entités légitimes et sont présentées par de nombreux militants comme un modèle de démocratie directe. Mais les AG ont l’inertie de la procédure et elles sont désertées. Ce système de représentation donne beaucoup de moyens à un appareil mais tend à décourager toute initiative qui n’émane pas de la structure. Dans ces conditions, c’est difficile d’élargir le mouvement ; et les étudiants sont cloisonnés dans leurs disciplines. Malgré tout, les AG ont largement voté une grève générale illimitée.

Le carré rouge
Le plus frappant, c’est l’ampleur du mouvement. Depuis trois mois, il y a des manifs tous les jours à Montréal, et des actions de perturbations. La plupart du temps, ça va de 1 000 à 10 000 personnes, mais, le 22 mars, au moins 200 000 personnes sont sorties marcher avec leur petit carré rouge. C’est un bout de feutre porté au revers, pour montrer la solidarité avec la grève. Il est omniprésent dans les rues, dans les bus, etc. (on voit aussi des draps rouges aux balcons). Ça rend la grève présente comme événement, mais sans contenu. La grève rassemble tout un paquet de gens qui ne partagent pas grand-chose d’autre qu’un symbole. La durée, l’approfondissement du conflit révèlent toujours plus la fausse solidarité dont le carré rouge est le signe.
Contrairement au mouvement de 2005, il n’y a pas d’occupation. Les campus « à risque » sont fermés administrativement dès la grève votée. Ceux qui tentent de rester sont tous arrêtés. Les actions directes se multiplient et dépassent en vigueur les coups de 2005, mais on dirait que tout est fait, même au sein du mouvement, pour que rien ne déborde du cadre. En particulier, des « pacifistes » deviennent de plus en plus violents envers les méchants « black blocs » et autres incivils qui nuisent à l’image.
Le mouvement est dur à déchiffrer : les discours sont rares et les slogans vides. On s’en tient à un activisme un peu réducteur. Depuis que des mandats de reconduction automatique ont été adoptés, les AG sont désertées et ne sont plus qu’un outil pour faire durer. Le mouvement se déploie en une multiplicité de projets et d’expériences plus modestes, mais moins vides : recueil hebdomadaire de poésie, « maison de la grève », université populaire nomade, etc., plus des petites bandes informelles qui se sont formées au cours de la grève et qui font la solidité du mouvement.

Pourrissement
La durée de cette grève n’était pas prévue et la situation pourrit. Les étudiants n’ont rien à perdre et ne vont pas lâcher l’affaire. De leur côté, Charest et Beauchamp (la ministre de l’Éducation) maintiennent une ligne dure et comptent sur le soutien de ceux qui en appellent à l’ordre. Ils ne s’attendaient pas, eux non plus, à un mouvement d’une telle ampleur. Même certains citoyens des plus réacs en ont marre de l’entêtement du gouvernement qui commence à coûter cher et qui transforme Montréal en zone occupée. Le budget annuel de la police de Montréal est déjà dépensé et les hélicos continuent de tourner en permanence au-dessus de la ville. La « crise » coûte cher à la ville et crée des tensions entre le maire et le Premier ministre. Les éditorialistes des grands journaux rivalisent de commentaires imbéciles et condescendants. Dans une lettre parue dans Le Soleil de Québec, un fonctionnaire du gouvernement a appelé les gens de bon sens à « servir aux gauchistes leur propre médecine » : s’inspirer des tactiques fascistes des années trente et défier les grévistes et soutiens. La situation polarise tout.
Les flics sont épuisés et deviennent de plus en plus agressifs ; les bavures se multiplient. Ils disposent des moyens qu’ils ont reçus à l’occasion du G20 de 2010 à Toronto. Le harcèlement policier devient systématique. De plus en plus de gens sont arrêtés, détenus, paient des cautions, des avocats, et on attend les procès de camarades qui risquent de la prison ferme. Depuis quelques semaines, les injonctions pleuvent ; dans certaines villes, les flics et les vigiles forcent le retour en classe et les grévistes qui tentent d’entrer se font cogner. Au point que même les profs se sont résignés à refuser la reprise des cours.
Dans leur coin, des militants antigrève et partisans de la hausse se sont regroupés sous le nom de MESRQ (Mouvement des étudiants socialement responsables du Québec).

Printemps québécois
Il y a quelques semaines, les mises à pied massives chez Aveos (sous-traitant d’Air Canada) ont entraîné des manifestations souvent soutnues par de nombreux étudiants. Idem pour Rio Tinto-Alcan. D’autres mobilisations se sont trouvées « dopées » par la situation (exemple : mobilisation contre le plan Nord, un mégaprojet de « développement » du gouvernement Charest). Le 20 avril, à Montréal, un « salon de l’emploi » pour le plan Nord a été copieusement perturbé par des gens de divers horizons (groupes autochtones, écolos, anars… et étudiants en grève). Ils ont réussi à entrer dans le palais des congrès et à prendre le contrôle du quartier pendant plusieurs heures : des lignes de flics qui se sauvent en courant sous les jets de pierres, de bouteilles et autres, des barricades sur la rue Saint-Antoine et des rassemblements qui resurgissent de partout après chaque dispersion. La Sûreté du Québec a dû être appelée en renfort. Bien sûr, les flics aussi s’en sont donné à cœur joie. Après coup, Charest et les médias à sa botte ont parlé d’une émeute, de la grève étudiante, mais pas de contestation du plan Nord. Pourtant, certains médias internationaux (CNN, Aljazeera, Le Monde) commencent à prêter attention au mouvement et à parler de « printemps québécois ».
La ministre Beauchamp a appelé à la négociation à condition de ne pas recevoir les plus radicaux. Les délégués se sont solidarisés et ont refusé ces conditions. La tension continue de monter et les actions s’intensifient : bétonnage du métro, fumis dans les centres commerciaux aux heures d’affluence, saccage du bureau de la ministre et attaque de nuit d’un poste de police.

Les balances
De plus en plus de gens sont tentés par l’action directe. Mais des grévistes soi-disant pacifistes, carré rouge sur le cœur, s’organisent pour « sécuriser » les manifs : les « casseurs » sont pris à partie physiquement et les slogans antiflics hués. Il est arrivé que les flics annoncent au haut-parleur qu’ils interrompaient la marche (5 000 ou 10 000 personnes) pour procéder à des arrestations. Ils se sont servis dans la foule, sous les applaudissements des « pacifistes », et la manif a pu reprendre son cours. Ça a de quoi faire flipper.

Arrogance du gouvernement
Le gouvernement nie l’aspect politique de ce mouvement. Son arrogance et la violence de ses flics continuent d’amplifier la rage, et la mobilisation trouve un deuxième souffle. La grève a encore du temps devant elle. Et plus ça dure, plus ça agrège d’autres luttes. Cette crise prend le nom de « mouvement étudiant », mais elle dépasse largement le cadre étudiant.

Jean, groupe de Rouen de la Fédération anarchiste




Sources :
http://grevemontreal.noblogs.org/
http://juralib.noblogs.org/



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Pékanfou

le 24 mai 2012
Vous résumez assez bien la situation. Les associations d'étudiants sont soutenus par les grands syndicats et partis politiques "de gauche" à tendance Marxiste-Léninistes. En utilisant le prétexte de la hausse des frais, ils tentent de revenir à un système d'État-Providence Paternaliste qui a tant coûté à la Province par la mauvaise gestion et l'exagération des services et couvertures sociales. La stratégie des étudiants est le refus total des offres gouvernementales et l'exigence de conditions irréalisables à court terme. Par ce stratagème, ils maintiennent la tension sur le gouvernement tout en gagnant la sympathie d'une partie de la population. Vint la loi 78, ce qui n'aida en rien les relations (maintenant inexistantes) entre le Gvt et les étudiants.
Cette situation vient jeter un pavé dans la mare de la fracture du peuple Québécois, déjà très divisé politiquement. Ajoutons à cela le manque de relève et d'initiative politique et la sempiternelle porte tournante entre le parti Libéral du Qc (Néo-Libéraux Fédéralistes mais identitaires) et le Parti Québécois (à propention Marxiste-Léniniste et Séparatiste), qui, en 40 ans, n'ont, ni l'un, ni l'autre su donner un nouveau souffle ou un essor à la Province et l'ont plutôt plongée dans la dépendance économique envers les reste du Canada (ROC, anglophone).
Sylvain, du Québec.

Bonzai

le 30 mai 2012
''La grève rassemble tout un paquet de gens qui ne partagent pas grand-chose d’autre qu’un symbole. La durée, l’approfondissement du conflit révèlent toujours plus la fausse solidarité dont le carré rouge est le signe.''

Je trouves l'article simpliste et magnifiquement réducteur, quoi que je respectes les valeurs défendus par l'auteur tout comme par son lieu de parution. J'aimerais dire tout comme mon prédécesseur, que la loi 78 a DRASTIQUEMENT augmenté la moyenne d'âge des manifestants, transformant le mouvement étudiant en mouvement social. Le Québec se lève contre la corruption, la perte des libertés civiques, économiques et légales des citoyens et surtout pour un changement majeur de la façon de faire de la politique.
Notes au mouvement anarchiste, depuis le début du conflit, l'ardeur de vos combattants a laissé ses traces dans la ville, souvent de manière adroite et visible, mon seul problème est qu'au lieu de tenter de transformer la mobilisation modérée en mobilisation de combat, pourquoi ne vous servez-vous pas de cette diversion pour accomplir des missions prédéterminée. Lorsque nous sommes des dizaines de milliers a marcher, voyez nous comme une diversion et non comme des mous. Nous serons d'autant plus efficaces. Une simple proposition de diversité de tactiques.
D'autres part, le Québec est entré dans une ère de transformation, de conscientisation et de respect de lui-même qu'on a pas vu depuis 50 ans, croire qu'il va se tranquilliser, se résorber de lui-même est d'une naiveté et d'une ignorance pathétiques, nous sommes en train d'écrire l'Histoire d'un éveil collectif qui sera transmis aux générations futurs comme étant ''le moment ou on a dit non! au N.O.M.'' qu'on se le dise!
Jonathan, du Québec