Espagne : manifestations, répression

mis en ligne le 10 mai 2012
Dans la péninsule Ibérique
La crise continue de faire des ravages en Espagne. Les files d’attente devant les bureaux équivalant à notre Pôle emploi n’en finissent pas de s’allonger. Désormais, avec près de 6 millions de chômeurs, c’est un travailleur sur quatre qui est sans emploi (un sur deux chez les jeunes). Ce qui n’empêche pas le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, d’enfoncer le clou : « Chaque vendredi [jour de réunion du Conseil des ministres], les « réformes » continueront d’être décidées car le problème c’est la crise, le chômage et la récession. » Il a juste oublié de préciser qui était responsable de cette crise, du chômage et de la récession : les politiques ? Les marchés financiers ? Puisqu’on leur demande de payer cette crise, il faut croire que les responsables sont les travailleurs. Et Rajoy de désigner l’ennemi : les syndicats, accusés « d’insolence et de causer des troubles dans la rue ». À gauche, Rubalcaba, secrétaire général du PSOE s’est dit lui, persuadé que François Hollande serait le nouveau président élu par les Français, « ce qui permettra en Europe d’ouvrir la voie à des politiques alternatives mettant fin aux coupes budgétaires ». Voilà donc les Espagnols rassurés (et nous aussi !).
Nous pensons au contraire que, comme on a pu le constater ces quarante dernières années, en Espagne comme en France, gauche ou droite ne remettent absolument pas en cause le capitalisme, mais ne s’opposent que pour obtenir la gestion de celui-ci, se préoccupant plus des intérêts des possédants que de ceux des travailleurs. Au-delà des Pyrénées, chaque nouvelle mesure annoncée, non seulement n’indique pas une sortie de crise pour le pays, mais enfonce un peu plus chaque jour ses habitants dans la précarité et la pauvreté. À tel point que la seule solution envisagée par beaucoup d’Espagnols (notamment les jeunes) est celle de leurs compatriotes dans les années cinquante et soixante : l’exil économique. Mais ceux qui restent se prennent en pleine face les nouvelles « réformes » qui s’attaquent à la législation du travail (conditions d’embauche, de licenciement, fixation des salaires). Pour plus de détails de ces conditions, on peut se reporter au Monde libertaire n° 1667 (5-11 avril 2012) ou au Combat syndicaliste n° 368 (mai 2012).

En Catalogne
Cette situation avait suscité de nombreuses actions unitaires des organisations anarcho-syndicalistes (CNT, CGT, Solidaridad Obrera) qui ont appelé à deux grèves générales ces derniers mois. Devant les attaques répétées du gouvernement contre la classe ouvrière en cent jours d’exercice du pouvoir, les syndicats institutionnels suspendent leur politique de concertation et de signature d’accords avec les gouvernements qui se sont succédé ces quarante dernières années et ont appelé, eux aussi, à la grève générale le 29 mars dernier. Réponse (sans imagination) du pouvoir : criminalisation des opposants à la politique gouvernementale. De nombreuses arrestations ont eu lieu pendant cette journée de grève, dont celle de Laura Gómez, secrétaire d’organisation de la CGT de Barcelone. Deux organisations professionnelles de la justice, Juges pour la démocratie (JD) et Union progressiste des magistrats (UPF), ont dénoncé le fait que les mesures actuellement imposées par le gouvernement contre les désordres de rue n’ont pour autre but de dissuader la population de manifester et, ensuite, de réduire les droits fondamentaux prévus par la constitution. La preuve en est le nombre élevé d’arrestations au cours de cette grève du 29 mars dernier et la condamnation, dans la foulée, de Laura Gómez, secrétaire de la Fédération locale de la CGT de Barcelone. Condamnation injustifiée décidée par la juge d’instruction du tribunal, qui a même rejeté toute demande de libération sous caution. Le crime de Laura ? Avoir participé, avec d’autres, à une action symbolique : mettre le feu à des cartons remplis de (faux) billets de banque devant la Bourse de Barcelone. Ce qui donne en langage pénal : « participation à incendie, dégâts, troubles à l’ordre public et [encore plus fort] atteinte aux droits fondamentaux » !
Le gouvernement de la Generalitat et ses forces répressives n’ont visiblement pas digéré le fait que les anarcho-syndicalistes aient réussi à mobiliser jusqu’à 50 000 personnes à Barcelone ce 29 mars. La manœuvre est claire : il s’agit d’intimider les citoyens afin de les dissuader de contester les mesures économiques imposées par les autorités politiques. La CGT espagnole exige la libération immédiate de Laura Gómez et s’étonne qu’il n’y ait pas eu, à ce jour, d’enquête spéciale sur les banquiers, hommes d’affaires et politiciens corrompus 1, qui ont amené l’Espagne à la situation catastrophique qu’elle connaît aujourd’hui. Dans son tract du 1er mai, elle rappelle qu’aucun des droits concédés jusqu’à maintenant n’a été donné, mais qu’il a fallu se battre pour les obtenir : « Nous les travailleurs, femmes et hommes, les classes populaires, les organisations sociales, le mouvement des étudiants et de la jeunesse, les assemblées populaires, le 15 M, le mouvement des quartiers, les plates-formes des locataires expulsés, les assemblées de chômeurs… Nous sommes les protagonistes de la nouvelle société que nous voulons construire sur une base de justice sociale, de liberté, de participation, d’égalité, d’entraide et d’autogestion. Nous devons travailler ensemble pour atteindre ces objectifs. » On ne saurait mieux dire.
Le 1er mai, des centaines de milliers de manifestants ont défilé dans une soixantaine de villes, sur le thème « Travail, dignité, droits ». Pour les tenants du pouvoir, réactiver l’économie consiste à augmenter la misère et la précarité, en supprimant des postes, en baissant les salaires et les prestations, en réduisant les droits. Au lieu de taxer les transactions financières, ils augmentent les impôts payés par les travailleurs, continuent jour après jour leur entreprise de démolition des services publics, en accentuant les privatisations et en réduisant prestations et pensions. Devant l’obstination et l’intransigeance des dirigeants du pays, nos camarades espagnols veulent non seulement maintenir la mobilisation, mais l’intensifier, aller vers une nouvelle grève générale « mieux préparée, plus puissante, jusqu’à la suppression de toutes les mesures d’austérité ». La politique de concertation suivie jusqu’à maintenant par les syndicats institutionnels a fait long feu. L’heure est venue d’affronter directement un système qui veut supprimer les droits les plus essentiels des travailleurs.

En Andalousie
Après avoir évoqué plus haut la répression en Catalogne dont est victime, entre autres, Laura Gómez, retournons un peu en Andalousie, à la finca Somonte de Palma del Río dont nous vous avons déjà parlé 2. Depuis le 4 mars dernier, les terres de ce domaine agricole de 400 hectares appartenant à la Junta de Andalucía (gouvernement autonome andalou) étaient occupées par des travailleurs agricoles journaliers qui s’opposaient à la vente de ce domaine à des intérêts privés. Ils étaient appuyés, dans cette action, par le SOC (Syndicat des ouvriers agricoles), qui pratique régulièrement l’action directe. En conséquence de quoi les occupants « sauvages » ont immédiatement commencé à cultiver les terres du domaine, avec l’aide d’autres journaliers des environs, assurant leur autoconsommation et le ravitaillement de la commune, renouant ainsi avec les collectivisations de la révolution de 1936 : fonctionnement collectif, assemblées générales quotidiennes pour prendre toutes les décisions et organiser le fonctionnement des différentes commissions créées (repas, nettoyage, communication avec les médias, logistique, etc.), réflexion sur un projet de coopérative de résistance permettant d’assurer les besoins de celles et ceux qui sont frappés par la crise dans la région. Le gouvernement autonome andalou vient d’être réélu (25 mars) et, contrairement à la plupart des autre régions d’Epagne, il est resté aux mains des socialistes du PSOE, alliés aux écologistes et communistes de Izquierda Unida (Gauche unie), équivalent, ou à peu près, de notre Front de gauche hexagonal. Autre gouvernement qu’à Madrid ou Barcelone donc, mais réponse aux opposants identique : la matraque. L’une des premières mesures prises par la Junta a été de confirmer la vente aux enchères du domaine et de décider l’expulsion – musclée – des journaliers installés dans la finca. Comme dans les années trente, aux revendications des paysans – « La terre à ceux qui la travaillent ! » ou « Terre et liberté ! » –, les autorités répondent : la terre aux riches et la liberté… de se faire exploiter aux pauvres. Sauf que, cette fois-ci, les autorités ne sont pas de droite ni fascistes, mais… de gauche. Un million de chômeurs andalous peuvent ainsi apprécier la gestion économique de cette gauche qui n’hésite pas à donner des gages de bonne volonté à la classe possédante. Des illusions, personne n’en avait sur le PSOE que le mouvement de Indignés, il y a bientôt un an, avait dénoncé. Quant à Izquierda Unida, les Indignés qui ont voté pour eux n’ont plus qu’à s’indigner davantage de ce que permet de faire en leur nom un parti censé les représenter, parce que « petit ».
Grand ou petit parti, une seule aspiration : être aux affaires et gérer le capitalisme. Pour les exploités, un seul intérêt : en finir avec le système capitaliste.






1. Manifeste de la CGT Prensa – Barcelona el Vie du 27 avril 2012.
2. Voir Le Monde libertaire n° 1666 (29 mars- 04 avril 2012).