Les lendemains muets du spectacle électoral

mis en ligne le 10 mai 2012
Alors, ça y est, la France est socialiste ! Le nain a jarté et le joufflu a pris sa place. La droite libérale passe le palais au Parti socialiste et le trône du pouvoir se réjouit de caresser un nouveau derrière. Il y a plusieurs décennies – lointaines –, le triomphe du socialisme parlementaire aurait au moins signifié quelques nouveaux acquis sociaux, un peu de bien-être en plus pour les travailleurs, peut-être aussi un peu plus de liberté (et encore…). On ne s’en serait pas contentés, bien sûr, mais la situation aurait sans doute été un peu plus « confortable ». Car Hollande n’est pas Jaurès. L’année 2012 n’est pas 1893. Et l’on peut d’ores et déjà parier que les sidérurgistes de Florange ne bénéficieront pas du même soutien que les mineurs de Carmaux. Qu’on se le dise à nouveau : le quinquennat qui commence ne se différenciera pas beaucoup de celui qui se termine et l’on peut parier, sans gros risques, que le gouvernement, toujours fidèle à la même logique, se pliera une fois de plus aux états d’âme du capital.
Du côté du mouvement social, déjà bien atone depuis quelques temps, on peut même craindre que la mollesse ne se généralise, au nom d’un « laissons-lui le temps de faire les réformes, on verra après » dont les directions syndicales se feront sans doute les serviles hérauts. On va attendre, donc. Attendre, attendre, attendre. Mais la campagne électorale finie, les digues de la démagogie vont céder et les plans sociaux déferler sur le monde du travail. Le nouveau gouvernement ne cessera d’accuser l’ancien, histoire de se dédouaner de toute responsabilité, de dire qu’il n’y est pour rien, que ce n’est pas lui, qu’il n’a jamais voulu ça, qu’il n’est que le malheureux héritier d’une société dévastée par cinq ans d’UMP.
Mais le président, les ministres, les députés et autres professionnels de la politique ne toucheront ni à leurs salaires ni à leurs privilèges. Comme les précédents, ils iront peupler les indécents dîners de l’élite intellectuelle et économique pour communier avec le pouvoir. Ils flirteront avec une extrême droite ragaillardie, devenue un acteur central et inévitable de l’échiquier politique. Laissant toute notion de solidarité et d’internationalisme au vestiaire de la compromission, ils rempliront les CRA (« Il faut maintenir les camps de rétention » disait le nouveau président lors du dernier débat), maintiendront les rafles et les quotas et se feront les apôtres d’une immigration choisie. Histoire de maintenir un climat de peur, ils nous referont un coup de Tarnac, une seconde « affaire des Irlandais de Vincennes ». Ils feront péter un autre paquebot « écolo », amélioreront l’équipement répressif des chiens-chiens en uniforme, comme l’avait fait Tonton en son temps.
La société sera la même, on continuera à se lever tous les jours pour aller au turbin et y subir les pressions managériales des chefaillons, petits bourgeois fraîchement convertis en gauchos, mais toujours au service du patronat et de l’actionnariat. Les rares qui descendront encore dans les rues pour réclamer la justice sociale goûteront aux douceurs des matraques socialistes et respireront les agréables effluves des gaz roses. Dans les journaux, on se fadera toujours les mêmes éditorialistes arrogants, petits péteux vomissant leur mépris et leurs analyses de « militants » de salon. Les mêmes experts en enfumage continueront à nous expliquer la vie à travers nos écrans, roulant des mécaniques, persuadés d’être les nouveaux philosophes, théoriciens et savants, prêts à tout pour deux minutes de télé, deux minutes de gloire idiote au service d’un système que certains prétendront combattre mais dont ils sont, en réalité, les purs produits.
Et puis, dans quatre ans, on commencera peut-être à se réveiller. Le mouvement social reprendra du poil de la bête, les rues se gorgeront à nouveau de manifestants, les piquets de grève refleuriront sur le parvis des usines. On réalisera qu’on s’est fait entuber, qu’une fois de plus les élections nous ont éloignés de nos intérêts de classe pour nous faire sombrer dans la passivité et l’immobilisme. Et puis, alors, peut-être, on se souviendra, avec un peu de retard, de ce que la CGT Renault-Billancourt proclamait haut et fort en 1981, peu avant que l’ex-collabo accède à la présidence de la République : « Quel que soit le président élu le 10 mai, le changement et la satisfaction de nos revendications dépendront de nos luttes ! » Allez !, tant qu’à faire, pourquoi ne pas s’en souvenir dès maintenant ?