Galop d’essai en Espagne

mis en ligne le 22 mars 2012
Le dimanche 11 mars, les travailleurs espagnols étaient dans la rue pour manifester leur refus de la « réforme » du travail que le gouvernement de Mariano Rajoy veut leur imposer. Cette réforme est une telle attaque contre le prolétariat que cette fois-ci, les syndicats institutionnels réformistes se sont décidés à lancer un appel à descendre dans la rue, en menaçant, au cas où ils ne seraient pas entendus, qu’il s’agissait là du prélude à une grève générale annoncée pour le 29 mars. Il va sans dire que les centrales syndicales révolutionnaires étaient également parties prenantes de ces mouvements de protestations, elles qui avaient déjà lancé une série d’actions sur le thème « vers la grève générale » 1. On a pu donc voir des centaines de milliers de manifestants à travers tout le pays. Bien entendu (comme chez nous), la bataille des chiffres a fait rage : à Barcelone par exemple, les syndicats ont annoncé 450 000 participants au défilé, alors que la police n’en a compté que 17 000 ! Des cours de rattrapage en calcul semblent s’imposer pour ces chers fonctionnaires. Ce que le gouvernement (pourtant bien aidé par les médias) ne peut nier, c’est l’ampleur du rejet de la réforme qu’il veut faire passer. Il faut dire que parmi ceux qui ont la « chance » d’avoir un emploi, on trouve de nombreux mileuristas (ceux qui ne gagnent que 1 000 euros) qui deviennent désormais des nimileuristas (ceux qui ne gagnent même pas 1 000 euros). Un des slogans les plus entendus – « C’est la fin, c’est la fin, c’est la fin de la paix sociale » – était aussi repris par les étudiants également nombreux dans les défilés : la précarisation de leur condition (bourses de 400 euros maximum, la plupart n’ayant d’autre solution pour se loger que de vivre chez leurs parents…), le manque de perspectives à la fin de leurs études, tout cela se traduit par des départs à l’étranger de plus en plus nombreux : « Si tu étudies en Espagne en cherchant un avenir, tu as trois débouchés : partir par terre, air et mer ! »

Du côté de nos camarades anarcho-syndicalistes 2
La première réforme du travail du Parti populaire au pouvoir, bien qu’annoncée depuis longtemps, n’en a pas moins été surprenante pour la CNT. Beaucoup pensaient que le Premier ministre Mariano Rajoy n’oserait pas abattre les piliers de la législation sociale. Le Parti populaire a démontré ainsi qu’il était capable d’être plus réactionnaire que quiconque en Europe, qu’il ne redoute ni les syndicats, ni les travailleurs, et qu’à l’occasion il sait matraquer les étudiants qu’il qualifie « d’ennemis ».
La réforme, qui est constituée des desiderata du patronat le plus réactionnaire, n’a pas été élaborée pour réduire le nombre de chômeurs comme veut le faire croire le gouvernement, mais pour diminuer le coût du travail, déréguler les conditions de celui-ci, et diviser par deux les indemnités de licenciements. Il s’agit d’une réforme qui renforce le concept néolibéral selon lequel la seule bonne législation du travail est celle qui n’existe pas ! Ce qui est un pas de plus vers une confrontation directe (sans représentant syndical) entre patron et salarié, maintenant que la désagrégation et la désorganisation de la classe ouvrière favorisent dans l’entreprise ces rapports sans intermédiaires.
Une réforme qui finalement dévoile la réalité de beaucoup de travailleurs qui vivent de l’économie souterraine, où ils manquent des droits minimums du cadre légal. Actuellement, tous les travailleurs se rapprochent de ce monde où le patron est le seul représentant de la loi. La situation est si grave que les CCOO et l’UGT ont dû prendre position contre la réforme, même si c’est avec leur mollesse habituelle. Après avoir appelé aux manifestations du 19 février, et malgré les centaines de milliers de travailleurs qui défilèrent dans la rue, ces deux formations syndicales relâchent la pression pour ne pas inquiéter les marchés, pour ne pas être traitées de « radicales », pour ne pas être accusées de mettre des bâtons dans les roues d’une future – et lointaine – reprise économique, et donc elles mettent leur confiance dans les démarches parlementaires de la réforme, bien que le Parti populaire refuse d’introduire la moindre amélioration au projet.
Mais les travailleurs qui étaient dans la rue le 11 mars ont envoyé un message clair, qui est un non ferme à cette réforme du travail. Pour la CNT, il s’agit donc maintenant de se battre de toutes ses forces contre cette réforme, de s’opposer à toutes les coupes budgétaires qui vont continuer, ainsi qu’à la nouvelle loi sur le droit de grève dont on commence à parler. L’union des travailleurs est désormais plus que nécessaire pour articuler une riposte en tant que classe ouvrière contre cette politique. Pour nos camarades espagnols, la Grèce leur montre ce que peuvent devenir d’ici peu leur économie et leur société : destruction du service public, baisse des salaires, généralisation de la précarité et fin de la protection sociale, alors que dans le même temps on garantit le remboursement de la dette aux investisseurs internationaux.
Pour empêcher cela, il faut s’organiser, entraîner une riposte utile et effective contre tous ces projets qui sont présentés comme inévitables. C’est dans ce but que la CNT impulse un processus de mobilisation vers la grève générale, avec d’autres organisations syndicales combatives, avec les mouvements sociaux et les assemblées de quartiers. Processus de mobilisation qui doit s’étendre et grandir, être digne de la confiance des travailleurs pour être capables d’abord de résister à ces attaques, et ensuite de commencer à construire une alternative à ce capitalisme criminel et corrompu qu’ils subissent.
Pour le 29 mars, la CGT espagnole appelle évidemment elle aussi à la grève générale contre la réforme du travail et contre le pacte social. L’objectif n’est pas de négocier cette réforme, mais d’obtenir sa suppression ainsi que celle des autres mesures antisociales qui s’en prennent directement à la classe ouvrière. Pour cela, la CGT continuera d’œuvrer pour la convocation d’une autre grève générale jusqu’à atteindre son but. Elle recherchera l’unité et la convergence avec les autres organisations syndicales et mouvements sociaux qui ont rejeté le pacte social, afin d’appeler aussi à une grève générale européenne en coordination avec le syndicalisme de classe et alternatif au niveau européen.
Pour la journée du 29 mars, la CGT espagnole veut jumeler la grève générale avec une grève de la consommation : « N’achète rien, n’utilise que l’électricité ou le gaz indispensable et minimum, n’utilise pas ta banque ; cette grève est dirigée contre les banques, les multinationales, les spéculateurs et les gouvernements qui sont à leurs ordres. »
La CGT poursuit : « On nous dit que ce sont les marchés qui dirigent, qui n’ont pas confiance dans les États, qui leur dictent leurs politiques. » Les représentants de la caste politique et patronale, de la finance, du capital, les commentateurs de l’information et les économistes s’obstinent à désigner les « marchés » comme une espèce de divinité qui édicte les lois régissant la vie. Mais que sont les marchés, sinon les grandes concentrations du pouvoir et du capital : banques, multinationales, fonds d’investissements et grandes fortunes, c’est-à-dire les spéculateurs qui jouent avec notre argent et nos vies pour leur enrichissement personnel ? Toutefois, que seraient les « marchés » si personne ne consommait, ni ne produisait pour eux ?
La surconsommation est le style de vie propre à ce système injuste qui nous exploite, spolie les ressources des pays appauvris, génère une insatisfaction permanente, ne satisfait pas nos besoins et met en danger le sort de la planète.
La CGT (espagnole) appelle à boycotter la banque, les multinationales et les grandes entreprises qui sont les principales responsables de la crise, et à ne consommer aucune sorte de biens, produits ou services le prochain 29 mars.
Il est donc nécessaire de riposter face aux gouvernements et à ceux qui les dirigent dans l’ombre.
Le meilleur complément à une grève générale, c’est une grève de la consommation.

Et ici ?
Comme on peut le voir, la situation en Espagne prend la même tournure qu’en Grèce : priorité à la finance, haro sur les exploités. Qu’on ne se méprenne pas, ici en France nous sommes en apnée préélectorale ; les promesses vont bon train, la démagogie aussi, mais gauche ou droite, la situation sociale laisse entrevoir pour après l’élection présidentielle des lendemains qui déchantent. Alors nous aussi ne restons pas isolés face au système qui nous exploite : organisons-nous, résistons et allons de l’avant.







1.Voir Le Monde libertaire n° 1643 (« En Espagne aussi c’est la rentrée »).
2. Infos piochées dans les mensuels CNT et Rojo y Negro de mars 2012.