Occupy Wall Street ! Occupy Oakland !

mis en ligne le 24 novembre 2011
1652Occupy2Que s’est-il passé le mercredi 2 novembre ?

Ken Knabb : Durant la journée, plus de 50 000 personnes sont passées par la Frank Ogawa Plaza (lieu où s’est installé Occupy Oakland depuis trois semaines), certaines par simple curiosité, mais la majeure partie manifestant une vive sympathie pour le mouvement. Entre 20 000 et 30 000 personnes ont pris part aux marches vers le port (il y a eu deux marches séparées, l’une commençant à 16 heures, la seconde à 17 heures), qui a été bloqué jusqu’au lendemain. Durant la journée, il y a aussi eu plusieurs petites marches dans les quartiers proches pour faire des blocages ou tenir des piquets devant des bâtiments (notamment des banques) ; à ces occasions, un petit nombre de personnes ont provoqué un peu de casse. Enfin, tard dans la soirée, des gens ont occupé un immeuble vide des environs − dans le but de le transformer en bibliothèque et lieu de rencontre de Occupy Oakland. La police a attaqué, a pris l’immeuble, et a arrêté environ 100 personnes − dont beaucoup n’étaient pas impliquées.

Y a-t-il des dissensions internes au sujet de la casse des vitrines ?

Ken Knabb : Le « vandalisme », ainsi que les actes de quelques dizaines de personnes tentant d’édifier des barricades dans la rue, ont provoqué un large débat à l’intérieur du mouvement. Une grande majorité des manifestants estime que de telles pratiques ne sont pas avisées, qu’elles ne réalisent rien, qu’elles sont dans certains cas l’œuvre de provocateurs et que, dans tous les cas, elles semblent avoir le même résultat que si elles étaient l’œuvre de provocateurs (discréditer le mouvement, distraire l’attention d’actions en cours beaucoup plus significatives). En même temps, beaucoup de gens ont de la sympathie pour les émotions qui sont derrière de telles actions et ne souhaitent pas dénoncer en tant que telle la simple destruction des biens. Ils ne sont donc pas très sûrs de ce qu’il faut faire.

Est-ce que le campement perdure ? Combien de personnes sont impliquées de manière permanente ?

Ken Knabb : À Oakland, des assemblées générales se tiennent presque chaque jour, et Occupy Oakland est plus vaste que jamais. Le campement a été rétabli moins de 48 heures après sa destruction par la police (le 25 octobre). Il y a peut-être deux cents personnes qui y vivent en permanence. Beaucoup d’autres viennent en visite, interviennent aux assemblées ou participent de diverses manières.

Comment analyses-tu la composition sociale du mouvement ? Y a-t-il un noyau qu’on peut situer socialement ?

Ken Knabb : C’est très varié. Occupy Oakland comporte peut-être 50 % de Noirs et de Latinos, alors que des occupations dans d’autres régions du pays peuvent être principalement le fait de Blancs. Certaines occupations sont avant tout le fait de gens très pauvres, de SDF, etc., d’autres incluent des employés. Il est certain que les jeunes précaires sont parmi les participants les plus nombreux.

En France, on ne se rend pas compte de l’importance et de la profondeur du mouvement. Peux-tu nous dire où il en est aujourd’hui dans l’ensemble des États-Unis ?

Ken Knabb : Il y a des occupations effectives dans plusieurs centaines de villes et des occupations en projets dans mille autres, y compris dans des régions considérées comme plutôt réactionnaires. Ces occupations rassemblent de quelques dizaines à plusieurs centaines de personnes, mais elles sont aussi soutenues par des centaines d’autres qui apportent de la nourriture, du matériel, etc., et qui prennent part aux assemblées et aux manifestations. Ce mouvement ne cesse de grandir. Les mois d’hiver pourraient rendre les choses plus difficiles, mais les occupations vont certainement continuer, même si elles devront, dans certaines régions, se déplacer dans des bâtiments. Il y a un esprit et une détermination qui font penser au mouvement des droits civiques il y a cinquante ans : peu importe le harcèlement de la police, nous sommes en train de gagner. Nos opposants réagissent, mais ne comprennent pas du tout ce qui arrive. Ils ne comprennent pas qu’il ne s’agit pas d’une série de protestations, mais d’un mouvement. Et au risque de sembler extravagant, je dirais que c’est le début d’un mouvement implicitement révolutionnaire.

Peux-tu nous donner une idée de ce qui est discuté dans les assemblées ou en dehors des assemblées, des idées générales qui circulent ?

Ken Knabb : Les gens discutent de toutes sortes de choses. Par-dessus tout : 1° de questions pratiques particulières concernant les occupations. C’est-à-dire comment s’organiser pour les tentes, la nourriture, le reste du matériel ; comment organiser les assemblées (généralement avec un facilitateur, avec consensus, ou « consensus modifié » : le soutien de 90 % de l’assemblée est nécessaire pour passer une proposition) ; comment réagir face à la répression ou harcèlement policier ; comment réagir face aux exigences de la municipalité sur le respect de différents règlements, etc. 2° des questions externes de politique : est-ce qu’il faut manifester ou tenir des piquets devant telle banque ou telle entreprise, est-ce qu’il faut intervenir en soutien sur certaines questions (concernant l’économie, les SDF ou les prisonniers, l’environnement, les guerres et une centaine d’autres questions) ?

L’idée d’une autre société possible se précise-t-elle ? Des propositions sont-elles avancées sur les moyens d’y arriver ?

Ken Knabb : L’idée d’un autre type de société est implicite dans tout cela. La plupart du temps, les gens n’en parlent pas parce qu’ils comprennent qu’il est beaucoup plus important de prêter attention à ce qu’ils font maintenant. Ils saisissent que ce processus est la partie principale de toute solution ultime. Selon moi, il est à peu près sans importance que les gens disent qu’ils sont pour ou contre le « capitalisme » ou « l’État » ; il est beaucoup plus important qu’ils soient dès maintenant engagés dans un processus non hiérarchique et non capitaliste. Je crois qu’ils développeront ainsi des projets bien plus efficaces que s’ils se préoccupaient de débattre entre diverses nuances du radicalisme.

Le reste de la population est-il hostile, indifférent ou sympathisant ?

Ken Knabb : Une bonne partie du reste de la population se montre relativement sympathisante, en partie parce que – justement − la plupart des occupations évitent la rhétorique radicale (Oakland est un peu exceptionnel à cet égard), se présentant plutôt comme une façon simple et de bon sens de s’attaquer à des problèmes dont chacun a conscience, d’une manière qui correspond bien aux premières traditions américaines (se rassembler dans des assemblées de ville pour débattre de ce qui peut être fait pour résoudre divers problèmes pratiques). Presque tous ceux que je connais éprouvent beaucoup de sympathie pour le mouvement, même s’ils n’ont pas encore commencé à y participer.

D’après ce que j’ai compris, les médias ont d’abord été hostiles ou indifférents, mais une certaine sympathie s’y exprime maintenant. Qu’en est-il exactement ? Et quelle est l’attitude du mouvement vis-à-vis des médias ?

Ken Knabb : Il cherche surtout à construire ses propres canaux. De façon générale, les médias restent relativement hostiles, mais le mouvement est si étendu et suscite tant de sympathie qu’ils sont obligés de ne pas trop le montrer. Quant à l’attitude des occupations envers les médias, elle varie. Certaines les rejettent, d’autres s’efforcent d’être amicales, d’accueillir les médias et de leur organiser des visites. Il faut surtout souligner que ce mouvement ne dépend plus des médias dominants parce qu’il s’est d’abord répandu par le moyen de médias interactifs, participatifs, tels que les sites web, les blogues, les courriels, Facebook, Twitter, les vidéos YouTube, etc. De même, une grande partie de la population s’informe sur le sujet à partir des vidéos qui circulent sur le web ou via Facebook.

Es-tu heureux comme en 1968 ? Ou comme dans d’autres grands moments de rupture que tu as pu vivre ?

Ken Knabb : Ces six dernières semaines ont été de loin les jours les plus heureux de ma vie ! J’ai vécu tous les événements des années 1960, mais rien de ce qui s’est déroulé alors n’est comparable à ce qui est en train de se passer ici et maintenant. La propagation de ce mouvement a été absolument stupéfiante, cela dépasse mes rêves les plus fous. Chaque jour, il y a des développements nouveaux et étonnants, la plupart positifs. Par exemple, ce matin même, un énorme rassemblement s’est tenu à l’université de Berkeley, suite à quelques violences policières sur le campus hier soir, et les étudiants parlent déjà de la possibilité d’une grève dans les universités…

La référence aux mouvements arabes est-elle présente ?

Ken Knabb : Bien sûr, le Printemps arabe est vu comme l’une des inspirations majeures, ainsi que certaines des occupations menées en Europe, notamment en Grèce et en Espagne. Mais le mouvement s’appuie principalement sur ses propres expériences : l’exemple d’une occupation conduite dans une ville américaine, une fois propagé presque instantanément via Facebook et YouTube, peut être imité dans cent autres. Cela concerne aussi bien les slogans et les pancartes, qui font preuve d’une créativité comparable aux graffitis de mai 1968, que les tactiques et stratégies.