Espagne : avant les élections

mis en ligne le 10 novembre 2011
1650AnarchoLe 20 novembre, les Espagnols sont de nouveau appelés aux urnes pour des élections législatives anticipées. En pleine crise financière, les partis politiques s’efforcent de convaincre la population qu’un changement de gouvernement peut modifier la situation. Malgré le chômage et le maintien de la spéculation comme base du système, une fois de plus les uns et les autres nous parlent de solutions pour sortir de la crise. Ils oublient de dire que le nouveau gouvernement qui se mettra en place le 21 novembre à Madrid, n’aura que très peu de marge de manœuvre pour engager des actions contre la crise. On se rend de mieux en mieux compte que le centre décisionnel ne se trouve pas à Madrid mais à Bruxelles, où se concoctent au gré des réunions, de nouvelles mesures absolument dépourvues de contenu social en faveur de la population (pourtant en partie composée d’électeurs).
L’actuel gouvernement socialiste de Zapatero a dû se plier entièrement aux exigences de la Banque centrale européenne. Une modification « express » de la Constitution espagnole a même été nécessaire pour garantir aux prêteurs étrangers que le remboursement de la dette sera pour l’Espagne une priorité avant toute autre dépense, reconnaissant ainsi de fait que les intérêts des puissances financières passent bien avant les besoins des personnes et ce, quoiqu’il arrive à l’avenir. Ceci révèle dans quelle situation se trouve la fameuse « souveraineté nationale » face au pouvoir du monde financier, et la faible marge de manœuvre des gouvernements de chaque pays.
Les deux principaux partis PSOE et PP (Parti socialiste ouvrier espagnol et Parti populaire) prétendent chacun former un gouvernement qui ne procédera pas à de nouvelles coupes budgétaires. Nous sommes là en pleine démagogie : le PP propose une nouvelle réforme du travail et il serait étonnant – ce serait même la première fois – qu’une « réforme » ne se traduise pas par des coupes budgétaires et des suppressions de postes dans la fonction publique. Le PSOE lui, prétend avoir des solutions pour sortir le pays de la crise ; que ne les a-t-il pas fait connaître avant puisqu’il est au pouvoir depuis sept ans. Rubalcaba, le nouveau candidat socialiste affirme sans rire que ce qui n’était pas possible il y a quatre mois le sera dans deux. Démagogie encore. Qu’on le veuille ou non la crise (leur crise) n’est pas derrière nous et le pire est à venir. Les partis ne contrôlent rien, et les gouvernements qu’ils forment sont aux ordres des marchés financiers. En fait la question posée par toute la classe politique pourrait se résumer par : « Voulez-vous prolonger votre servitude volontaire afin de sauvegarder les intérêts du capitalisme ? »
Trente-cinq ans après la mort du dictateur Franco, la démocratie bourgeoise espagnole gérée alternativement par la droite et la gauche, n’a été qu’une longue série d’atteintes aux conquêtes sociales des travailleurs, de licenciements abusifs, aggravant la précarité de l’emploi, décidant la diminution des pensions, renforçant la soumission à l’autorité des patrons avec une législation du travail au service des intérêts de ces derniers. Toutes les réformes (comprenez atteinte aux droits des travailleurs) de ces dernières années n’ont été possibles qu’avec la complicité du syndicalisme institutionnel représenté par l’UGT et les CCOO (Union générale des travailleurs et Commissions ouvrières), et ont débouché sur la situation actuelle : 5 millions de chômeurs plus 2 millions de familles sans emploi et donc condamnées à la misère et à l’exclusion sociale, des centaines de milliers de personnes qui ont déjà perdu leur logement, 13 millions de salariés (pour les « chanceux » qui travaillent) qui ont un revenu annuel inférieur à 12 000 euros, gel du montant des pensions, privatisation et spoliation du patrimoine public, coupes budgétaires dans les services publics (notamment santé et éducation).
Devant cette situation les centrales anarcho-syndicalistes ne participeront évidemment pas à la farce électorale du 20 novembre et proposent l’abstention active face aux élections politiques en appelant à la mobilisation sociale contre les injustices. De l’autre côté des Pyrénées nos camarades dénoncent l’autoritarisme de l’État et la privatisation par les capitalistes des richesses produites grâce aux travailleurs. État et capitalisme se confondent chaque fois un peu plus : dans chaque pays les gouvernements gèrent les intérêts du capital et le capitalisme se sert des structures étatiques pour se perpétuer. Sans la suppression de ces deux forces, un autre monde excluant injustice et exploitation n’est pas possible. En conséquence de quoi, il n’y a rien à attendre des prochaines élections étant donné que la classe politique n’a ni l’intention, ni même la possibilité de faire quoique ce soit en direction de la justice et de l’égalité sociale. Nos camarades réaffirment que c’est la mobilisation sociale qui est seule capable de transformer cette société en quelque chose valant la peine d’être vécu. Ils rappellent que le droit et les lois sont des outils aux mains du pouvoir et non des travailleurs. Il y a mieux à faire que d’aller voter : continuer la lutte pour l’avènement d’une société où n’auront pas leur place l’exploitation de l’homme par l’homme, la destruction du milieu environnemental ou l’injustice sociale.
Pour toutes ces raisons les centrales anarcho-syndicalistes lancent un appel à leurs adhérents et sympathisants, à la classe ouvrière et aux citoyens en général, pour qu’ils manifestent leur rejet du système en place au moyen de l’abstention consciente et active. Pour cela une semaine de mobilisation contre le Pacte social et pour la grève générale est toujours prévue du 14 au 18 novembre. C’est pour cela que la CNT, la CGT espagnole et Solidaridad Obrera estiment positives les manifestations de colère et d’indignation qui se produisent actuellement dans les rues et les places de tout le pays, et œuvrent ensemble à préparer et à proposer de nouvelles actions unitaires.
Certains appellent à voter pour les partis « à la gauche de la gauche » afin de faire pression sur le PSOE et l’obliger à appliquer une véritable politique de gauche ; mais quand ces partis ont eu des opportunités soit avec le PSOE, soit seuls, dans les mairies ou les gouvernements autonomes, rien n’a changé. Après les élections du 20 novembre, rien ne changera non plus. Si l’on veut que tout continue ainsi, alors il faut voter. Mais si l’on veut que les choses changent, alors il faut lutter, récupérer sa conscience de classe, dépasser les partis qui prétendent nous représenter. L’abstention que préconisent nos camarades espagnols ne consiste pas seulement à ne pas voter, mais à refuser de maintenir en place le système actuel en le combattant sur tous les terrains, au travail, dans la rue, dans les quartiers, en créant des réseaux de solidarité et d’entraide en s’impliquant dans toutes les formes de lutte : en tant que consommateurs en recherchant des formes de consommation basées sur la collectivité et non sur les multinationales, et en tant qu’individus en refusant d’être simples spectateurs de l’effondrement du capitalisme, mais acteurs de la construction d’une nouvelle économie et d’une nouvelle façon d’établir des relations entre nous en gérant notre vie.
L’abstention prônée par nos camarades est le refus de maintenir le système en place. L’abstention active est une action continue qui se construit chaque jour sur tous les fronts indiqués précédemment. L’abstention représente une rébellion contre le mensonge qui consiste à qualifier le peuple de « souverain » au prétexte qu’il peut désigner ses représentants tous les quatre ans. Rébellion aussi contre un système politique élaboré pour garantir les privilèges de la classe dominante sur la masse des « gouvernés ». Quant au vote blanc ou nul l’abstention est également prônée car c’est la seule option qui ne légitime pas le système « démocratique ». Voter blanc ou nul peut se résumer à l’idée qu’il n’y a aucun candidat méritant d’être élu, mais le simple fait de participer aux élections est une reconnaissance et une légitimation du système représentatif. Quels que soient les candidats ou les partis, le droit de chaque individu à participer à la gestion des intérêts communs ne peut être délégué à quelques-uns, qui de plus ont été sélectionnés au préalable par ceux qui détiennent le pouvoir réel.
Nos camarades libertaires résument ainsi leur objectif : « Le défi que nous devons relever n’est pas de choisir un bulletin de vote le 20 novembre, mais de créer une structure sociale qui nous permette de nous libérer du système capitaliste et ceci est un travail qu’aucun gouvernement ne peut accomplir. Pour cette tâche, l’union est notre seule défense et aussi notre seule stratégie d’attaque. Nos aspirations ne tiennent pas dans leurs urnes. »