Procès pour insoumission du 17 mai à Amiens

mis en ligne le 3 juin 1993
Rappel des faits : membre de la coordination « On arrête tout », j’ai fait quinze mois de service civil au Service civil internationale (SCI), jusqu’en janvier 1987. Après une première procédure pénale pour désertion, interrompue par une loi d’amnistie le 14 juillet 1989, je suis à nouveau convoqué pour terminer mon service, et poursuivi pour insoumission.
Déroulement du procès (compte-rendu partial et très partiel), avec pour avocat Maître Jean-Jacques De Felice, en en présence d’une quinzaine de personnes, ainsi que de FR3 et du Courrier picard.
Après lecture de l’acte d’accusation, j’ai la parole. Je dis que les valeurs que je veux défendre (liberté, démocratie) sont à l’opposé du militarisme ; qu’au contraire une société militarisée est signe d’un manque de démocratie, et favorise la montée du racisme et des idées fascistes par un nationalisme exacerbé. J’enchaîne sur les atteintes à la démocratie que représente la défense armée française (plus facile à écrire qu’à dire), mais le juge me coupe :
- « Bon, nous ne sommes pas ici pour philosopher. Le problème en l’occurrence c’est que vous refusez de faire une deuxième année de service.
- Je ne peux accepter d’être puni pour mes opinions. La loi est discriminatoire.
- Nous avons souvent le cas de Témoins de Jéhova qui disent ne pouvoir obéir qu’à Dieu, et qui demandent un an d’emprisonnement ».
La référence est plutôt gênante. On aurait préféré que le tribunal ait une autre idée de l’insoumission, mais au moins, il se prête au dialogue.
Le procureur dit qu’on ne peut décider unilatéralement que la loi est mal faite. Il justifie la nécessité d’une double durée comme test de sincérité des convictions objectrices ; il ajoute même que les objecteurs devraient s’en trouver satisfaits car elle évite les faux objecteurs qui ne demanderaient le statut que par opportunisme (ainsi, nous restons entre authentiques objecteurs – merci pour la secte !). Ensuite, il admet que je devrais être poursuivi pour désertion, mais il ne pouvait engager une deuxième procédure pour le même délit, et il fallait donc me reconvoquer pour provoquer un nouveau chef d’inculpation…
Maître De Felice déclare qu’il n’a pas compris l’explication de Monsieur le Procureur : « Si vous ne pouviez plus poursuivre mon client, il fallait le laisser tranquille… Rien ne justifie un ordre de route irrégulier. » (Je ne suis dans aucune des situations d’incorporable prévues par la loi et l’ordre de route me valant d’être poursuivi est illicite.) Il dit que mon acte de désertion n’est pas unilatéral, et développe le travail de « On arrête tout ! » pour obtenir une réforme de la loi. Il dit l’importance de l’acte de ceux qui entrent dans l’illégalité aujourd’hui et qui sont les précurseurs de la société de demain. Le droit d’opinion et celui de vivre en accord avec son idéal seront largement développés : « Les habitudes militaires sont d’un autre âge, il faut laisser s’exprimer les idées nouvelles… ». Au plan juridique, la Convention européenne des droits de l’homme, ratifiée par la France, contredit une durée discriminatoire de service aux objecteurs. Puis de demander la relaxe, appuyée par l’irrégularité de l’ordre de route, cet « outil » juridique n’empêchant pas la référence aux droits de l’homme.
Avant de conclure, le juge déclare : « sans vouloir relancer un débat philosophique, je me demande ce que vous préconisez si demain des hordes de Serbes ou Croates envahissent la France. » Et le procureur de renchérir : « Oui, votre non-violence, c’est bien beau, mais enfin… ». Un embryon de discussion aura lieu sur les causes de la guerre, l’utopie d’aujourd’hui réalité de demain, et la France à défendre ! Chacun parlant sans se répondre, et le juge désireux d’abréger… Il est vrai que cette journée « affaires militaires » a vu défiler une quarantaine de cas, quelques-uns arrivant menottes aux poignets, la plupart jugés pour avoir prolongé une permission, et tous repentis après avoir goûté au trou à la caserne.
Verdict le 21 juin.
Je remercie pour les soutiens, qui à mon avis ont une influence importante, tant sur le déroulement que le résultat des procès d’objecteurs.


Jean-Marc Verger (Saint-Médard-en-Jalles)