La valse des référendums

mis en ligne le 22 octobre 2009
Donc l’Irlande a dit oui. Moins de quatorze mois après avoir dit non, les habitants de la verte Eirin ont-ils vraiment changé d’opinion ? La crise est passée par là. L’Irlande avait libéralisé au maximum et en avait récolté les fruits. L’effondrement financier mondial a ramené le balancier brutalement dans l’autre sens. Devant la montée brutale du chômage, les Irlandais ont cru qu’en votant « Oui », ils choisiraient la sécurité dans la communauté européenne.
Le dernier obstacle pour l’appareil européen est un homme, le président tchèque Vaclav Klaus, qui incarne à ses propres yeux le dernier rempart du libéralisme économique. En disant non au traité de Lisbonne, il pense s’opposer à la mise en place du dirigisme bureaucratique de Bruxelles qui n’est pas, pour lui, sans rappeler le fonctionnement de feu l’URSS.

Mais pourquoi ces traités ?
C’est la question que l’on peut se poser. Depuis le traité de Rome en 1957, qui marque la naissance de l’Europe en tant qu’entité administrative, il y en a eu toute une série, une dizaine, connus sous le nom de la ville où ils furent signés. Le plus célèbre est celui de Maastricht puisque c’est à cette occasion que fut décidée la création de l’Euro. Les uns modifiant les autres, tous ont besoin d’être légitimés d’une façon ou d’une autre par référendum ou par vote parlementaire. C’est la seule justification à laquelle ils peuvent prétendre car ils ne sont en aucune manière la résultante d’une exigence populaire. Les textes proposés à la ratification sont d’une telle complexité qu’ils ne peuvent être lus et compris que par des juristes spécialisés dans le droit européen.
Ce qui motive au départ les hommes comme les quelques femmes qui mettent en route la mécanique, c’est l’espérance qu’il n’y aura plus de guerre sur le territoire européen d’une part, et la volonté d’échapper à la tenaille américano-russe de la guerre froide, d’autre part. Cette volonté honorable rencontre les intérêts du capitalisme qui a besoin pour se reconstruire de limiter le plus possible l’influence des frontières sur la circulation des marchandises. Ce sera, en 1951, six ans après la fin de la guerre, la signature du traité dit Charbon-Acier, qui annonce la réconciliation franco-allemande. D’une façon et d’une autre, le traité de Lisbonne est porteur d’une dimension humaniste – les Européens sont frères – et d’une dimension économique – ils doivent suer tous ensemble au profit des capitalistes.
Si la première raison nous est sympathique, c’est la deuxième qui explique l’obstination des principaux pouvoirs européens à faire approuver ce traité en utilisant tous les modes de pression possibles. Personne ne doit échapper au grand marché. Pourtant certains n’en veulent pas.

Les oppositions au traité
Nous avons tous en mémoire le refus référendaire français. Que d’exultations, que de bravos, que de spéculations vengeresses s’étaient exprimés à cette occasion. Nous avons bien vu par la suite ce qu’il en fut. A-t-on pour autant décortiqué les raisons du refus ? Non, pas plus qu’on ne le fait avec les oppositions actuelles. Si l’on trouve en Irlande l’appel des compagnons libertaires à voter « Non » – puisque c’est « un traité pour les riches » –, on y trouve aussi ceux qui s’y opposent car ils craignent la légalisation de l’avortement, là comme en Pologne. La montée en puissance des conservateurs britanniques se fait aussi contre l’Europe dont ils craignent que la bien timide Charte des droits fondamentaux ne viennent remettre en cause leur législation du travail. Malgré tout cela, la machine étatique européenne tourne.

Vers quelle Europe va-t-on ?
L’histoire européenne est en tant que telle une « success story ». En cinquante ans elle est passée de 5 membres à 27. Trois pays supplémentaires frappent à la porte. Parmi toutes ces nations, 16 d’entre elles font partie de la zone euro et ainsi elles forment un pôle économico-politique très envié pour sa stabilité en cette période de crise financière. En corrélation avec cela, les classes politiques nationales donnent l’impression d’aller à reculons vers leur propre fin. De plus en plus souvent, le Parlement de Bruxelles-Strasbourg donne le ton. Autour de lui comme de la Commission européenne, comme autour des autres institutions, une nouvelle classe politico-technocratique est en cours de formation. Cela va entraîner d’inévitables conflits de concurrence. Les élus locaux vont être de plus en plus pris entre, d’un côté, la « légitimité » des traités, donc de leur application, et de l’autre les intérêts directs de leurs électeurs. Cette contradiction entraînera sans doute des replis identitaires comme on peut déjà en voir vis-à-vis des Roms, que ce soit en Roumanie ou en Hongrie.
Nous assistons donc à la mise en place d’un super-État en même temps qu’au laminage des nationalismes. Nous revendiquons la libre circulation de tout un chacun ; en même temps le patronat rêve d’une main-d’œuvre sans attache et sans protection. À nous d’utiliser ces ouvertures pour nouer des contacts avec nos compagnons des autres pays, ils ne nous sont pas étrangers.