Venezuela : criminalisation et mort des « Frontières sans terres »

mis en ligne le 17 décembre 2009
L’éditorial collectif de El Libertario dénonce les attaques crimininelles qui ont eu lieu le 13 octobre 2009 contre le peuple Yukpa dans la Sierra de Perija, dans l’ouest du Venezuela, causant la mort de deux indigènes et en blessant plusieurs autres. L’article suivant – portant sur la tactique et la stratégie de la normalisation culturelle de la « révolution vénézuélienne » - décrit ces faits.
Le 12 octobre, ce que nous avions dénoncé depuis longtemps comme étant une volonté d’éradication des cultures indigènes et une stratégie de normalisation culturelle venant de l’actuel gouvernement du Venezuela a eu lieu : l’équipe ministérielle de Chávez est venue pour attribuer de prétendus titres de propriété aux trois communautés indigènes de Yukpa dans la Sierra de Perija, avec pour prétexte d’achever le processus de délimitation des terres appartenant à ces peuples.  L’absence du président Chávez fut remarquée lors d’un tel événement attendu dans la sierra depuis l’année 2002 quand, par mandat constitutionnel, l’État a été censé achever le processus de délimitation de tous les territoires indigènes du pays. En fait cela a donné lieu à un énorme déploiement de soldats, soit-disant pour assurer la sécurité des ministres (dont ceux de l’Intérieur, de la Justice et des Peuples indigènes, parmi d’autres fonctionnaires présents), qui, au plus léger signe de protestation des communautés non « concernées » par l’événement, réagissaient immédiatement pour réprimer leurs demandes. Finalement, le peuple Yukpa a été contraint d’accepter de ne rien recevoir.
On s’attendait depuis des semaines déjà à ce  que quelque chose se passe du côté du peuple Yukpa de la sierra de Perija. La Commission régionale de délimitation a annoncé la date d’attribution des titres de propriété mais a déclaré qu’elle ne concernait que trois communautés : Aroy, Sirapta et Tinacoa, terres que le gouvernement avait déjà livrées à des propriétaires terriens qui n’ont en fait pas été forcés de les rendre au peuple Yukpa, qui n’a donc rien reçu d’autre que de la montagne et des rochers non cultivables.
Durant cette période, de manière coordonnée, les commissions ministérielles, dirigées par Diosdado Cabello (ministre plénipotentiaire de Chávez) et Tarek el Aisami (ministre de l’Intérieur et de la Justice) notamment, s’employèrent à distribuer des sacs de nourriture, promettant une amélioration des infrastructures : écoles, postes d’instituteurs, routes, hôpitaux et autre projets pour la production agricole, pour ceux qui accepteraient de ne pas prendre part à la remise des titres de propriété le 12 octobre et menaçant ceux qui s’y opposeraient. Pendant ce temps, une base militaire a été construite sur un territoire Yukpa non reconnu, ce qui a été vivement contesté par les peuples indigènes réprimés par le même Diosdado Cabello, chargé par Chavez de mener cette tâche, puisque la base est liée aux plans dont nous parlerons plus loin.
Dans le même contexte, la communauté Chaktapa et son chef, Sabino Romero, sont devenus le « caillou dans la chaussure » chaviste car cette communauté a été une de celles qui n’ont pas voulu attendre la délimitation humiliante de leurs territoires par le gouvernement. Ses membres ont assumé leur état de sujets historiques et décidé de reprendre par eux-mêmes leurs terres ancestrales, en occupant et contrôlant de manière collective environ six exploitations agricoles.
Pour le gouvernement de Chávez, les compagnies minières internationales et les propriétaires terriens, cet épisode a designé Sabino et sa communauté Chaktapa comme l’ennemi à défaire ; pour son audace, il a été condamné à mort, pas en tant que guerrier indigène que l’on ne peut acheter, mais en tant que vulgaire voleur de bétail, délinquant prêt à enlever et tuer, complice de forces militaires étrangères et ennemi du gouvernement en place.
Ainsi, le fait de donner cette terre à certains propriétaires Yukpas le 12 octobre a donné carte blanche à Olegario Romero pour agir contre leurs propres frères Yukpas de Chaktapa dirigés par Sabino Romero. La raison : une plainte pour vol de bétail (120 têtes) déposée par un propriétaire de ranch improvisé, dans laquelle Sabino Romero, le vrai leader de la lutte pour la reconnaissance du territoire Yukpa en sierra de Perija, est directement accusé.
Aujourd’hui, quand j’écris ces lignes, le 13 octobre 2009, Sabino est évacué de Chaktapa avec trois blessures par balle infligées par des sbires d’Olegario qui, avec l’appui des propriétaires terriens et du gouvernement « révolutionnaire », l’attaquèrent, tuant un de ses gendres, blessant deux de ses fils et une de ses petites-filles, alors qu’un autre de ses fils a disparu. Tout cela est le résultat d’une stratégie orchestrée par la « révolution bolivarienne » concernant la délimitation des terres et l’habitat indigène dans la Sierra de Perija.
Par conséquent, nous dénonçons ouvertement le fait que le président Hugo Chávez savait pertinemment ce qui allait se produire. C’est la raison pour laquelle il n’a pas assisté à l’acte dégradant du 12 octobre. Nous dénonçons cela alors que l’on commence déjà à voir les informations sur la chaîne télévisée d’État essayant de déformer les faits. De même, nous lisons ou entendons des rapports erronés provenant de journalistes et propriétaires terriens de Fegalago constituant l’opposition traditionnelle, justifiant les actions contre Sabino et la communauté de Chaktapa, et se joignant paradoxalement à la politique du gouvernement, dont l’application est confiée aux deux principaux ministres Diosdado Cabello et Tarek el Aisami. Par conséquent, nous affirmons que tout ce qui s’est produit et peut se produire est une tactique, incluse dans une vaste stratégie politique de normalisation et d’éradication des cultures indigènes, d’une politique d’un gouvernement qui continue de s’immiscer dans la langue et les vies des pauvres pour maintenir ce qui lui est vraiment essentiel : son pouvoir.
Dans cette stratégie de conservation du pouvoir, Chávez a opté pour des projets de développement combinés avec l’exploitation de minerais non traditionnels tels que l’uranium, présent dans le région Yukpa du Perija. Par conséquent, le gouvernement a établi une base militaire très contestée par le peuple Yukpa mais défendue, au nom du président, par Diosdado Cabello comme un élément du partenariat Chávez-Iran d’exploitation de l’uranium. En même temps, il donne carte blanche à d’autres projets d’exploitation et assure ainsi aux propriétaires terriens le dépouillement du territoire des peuples indigènes.
Nous en avons assez, avec d’honnêtes camarades, solidaires de la lutte indigène, que continue à se justifier Chávez et que la bureaucratie soit désignée comme coupable de ces abominables politiques. Les coupables sont les coupables, et dans ce cas présent ce sont Chávez, Diosdado Cabello et Tarek el Aisami. Ces trois-là devront un jour s’expliquer sur ce qui est arrivé à Sabino Romero et sa communauté, qui, contre toute attente, continuent de lutter parce qu’ils ont décidé que c’est leur voie et celle de toutes les communautés indigènes de ce pays.

Jose Quintero Weir
Traduction par le secrétariat aux Relations internationales de la Fédération anarchiste