Nos rêves pourraient être leurs cauchemars

mis en ligne le 21 janvier 2010
Hosanna ! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes possibles, comme aurait pu dire le bon professeur Pangloss. Il convient simplement d’oublier le chômage, la baisse des revenus pour ceux qui travaillent encore, la multiplication des sans-logis, tandis que les queues s’allongent dans les locaux des associations caritatives qui distribuent cette nourriture que l’état se dispense bien de distribuer. Il est très possible de mourir de froid, sous un porche, tandis que l’on pète dans la soie dans les palais de la République. Les écarts de revenus se font de plus en plus visibles, à la grande satisfaction de cette méritocratie tellement vantée par le chef de l’État. Chacun à sa place et les gueules de vaches 1 seront bien gardées !
Hier la canaille, aujourd’hui la chienlit
Tout ne va donc pas bien et notre président est le premier à en convenir. C’est ainsi que, lors de ses vœux présentés aux Français, le 31 décembre, il devait nous révéler que l’année qui venait de s’écouler avait été « difficile pour tous » ! Pour tous, vraiment ? Munis de ce viatique consolateur, peut-être pourrait-on s’attendre à pire pour 2010. Il faut toujours s’attendre au pire, n’est-ce pas – si la situation est moins grave que pire, il sera encore possible de s’en féliciter.
2009, année difficile pour tous ? Sans doute pas, puisque selon la chronique, certains repas de réveillon auraient été facturés au tarif confidentiel de 2 500 euros par convive. Café compris ? Rétrospectivement, nous pouvons entendre le cri de rage des « Partageux », déjà exprimé par Gracchus Babeuf, le 30 mars 1776 (10 Germinal, an IV), dans le numéro 41 de son journal Tribun du Peuple : « Nos pères étaient un troupeau de canailles […]. Leur bonheur consistait à travailler chacun comme quatre, à ne satisfaire qu’à moitié leur appétit, et avoir la satisfaction d’apprendre que le fruit de leurs sueurs comblait les plaisirs et les jouissances d’un petit nombre de fainéants corrompus. » C’était au temps du Directoire, de la bourgeoisie triomphante et sans vergogne. Il semble que rien n’a vraiment changé depuis. Sauf que les prolétaires opprimés ont cédé la place aux chômeurs et aux précaires, montrés du doigt par celui qui leur conseille de travailler plus si toutefois ils peuvent trouver une sinécure.
Malgré un certain nombre de révoltes et de révolutions, il ne nous a pas été possible de nous débarrasser de ceux qui vivent de la misère du monde. Les théoriciens ont été nombreux à nous indiquer la voie à suivre avec mode d’emploi à la clé, pour espérer ce monde meilleur tellement promis. Hélas, les plus belles recettes n’ont jamais été expérimentées en laboratoire. Les docteurs es révolution n’ayant pour seul souci que de résoudre des équations cohérentes, nées dans un esprit froid, l’échec ne pouvait que se trouver au bout de la réflexion inaboutie des gourous. Ceux-là avaient surtout besoin de se trouver une base !
Le monde à l’envers ? Peut-être !
Et si l’on s’appliquait à rêver sainement ? Un peu pour oublier les cauchemars de notre quotidien sarkozyste. Comme il n’est pas possible de s’enfermer constamment dans la sinistrose, pourquoi ne pas changer de décor ? Les lieux de référence de notre République, aussi peu fraternels qu’emblèmes de libertés démocratiques, où la fameuse égalité se distribue au mérite, gagneraient en qualité s’ils subissaient un énergique électrochoc. Pour que le commun des mortels puisse y déambuler, sans être constamment sous le regard suspicieux des anges gardiens en uniforme bleu, c’est à une véritable révolution architecturale qu’il conviendrait de se livrer, la cour de l’Élysée serait occupée par le chapiteau d’un cirque, sous lequel caracoleraient, sous la conduite de fiers descendants d’Attila, de superbes chevaux hongres. L’Hôtel Matignon, devenu inutile, verrait ses jardins transformés en potagers. Il en irait de même pour tous les ministères disposant d’une grande surface de verdure. Peut-être serait-il possible d’en faire des jardins ouvriers, bio si possible. Un traitement spécial pourrait être appliqué aux locaux du ministère de l’Intérieur : les bureaux, devenus cellules de moines, pourraient accueillir les ministres, nouveaux pénitents, admis à une utile retraite car n’oublions pas que la peine de mort a été abolie en octobre 1981. C’est à l’ancienneté que serait désigné le porte-clés.
Les assemblées parlementaires, bien situées dans Paris, ne perdraient pas au change en devenant parcs d’attraction, et leurs nombreux bureaux seraient aménagés en autant de studios pour les sans-logis. La cave à vin du Sénat, particulièrement réputée, ferait l’objet d’une vente aux enchères, ouverte à tous les soiffards, à des prix concurrentiels, bien entendu. Plus généralement, les quelques neuf cent parlementaires, aussitôt renvoyés dans leur circonscription respective, se verraient affectés à des travaux d’intérêt général. Par exemple, la destruction des prisons, dont les matons auraient à apprendre à ne plus surveiller leurs semblables. Par ailleurs, dès le licenciement – sans indemnité – des ministres et de la petite cohorte des membres de leur cabinet, ainsi que des parlementaires, bien évidemment, les économies réalisées permettraient sans doute de rendre gratuits les transports en commun.
Comme l’écrivait Gaston Couté, dans l’une de ses chansons :
« Honnêtes gens, pardonnez-lui !
Car il ne sait pas ce qu’il dit :
C’est un gâs qui a perdu l’esprit. »
Pendant que nous sommes en proie au grand délire, n’oublions pas de licencier les forces de l’ordre et de démobiliser l’armée. Surtout, ne pas laisser les douaniers sur le bord de la route. Il en irait de même de toute la chaîne répressive : contrôleurs du métro, vigiles en tous genres, contremaîtres dans les usines, qui se comportent en flics authentiques. Sans oublier, ça va de soi, les grands patrons, tout comme les petits entrepreneurs qui aimeraient bien devenir grands à leur tour. Cela fait bien longtemps que l’on aimerait faire le ménage mais le grand aspirateur n’est toujours pas annoncé au catalogue des grandes inventions. Celui qui en déposera le brevet pourrait figurer en bonne place parmi les sauveurs de l’humanité souffrante. Avec un peu d’imagination, il serait même possible d’envisager la réforme du travail, tout comme la disparition des parasites à face humaine qui rendent pénibles les tâches les plus dignes.
En un mot comme en cent, ce serait la Révolution. C’est un peu ce qu’exprimait le chansonnier Mac Nab, dans les débuts de la iiie République, au grand scandale de ceux qui venaient s’encanailler au Chat noir :
« C’est pas tout !
Plus d’flics, plus d’curés, plus d’militaires
Plis d’richards à nombrils dorés
Qui sucent la sueur du prolétaire
Il faut expliquer Léon Say
Pour que le mineur s’affranchisse
Et quand tout l’monde s’ra expulsé
Y restera plus qu’les anarchisses ! »
Bien entendu, tout cela n’est pas très sérieux. à l’aube de cette nouvelle décennie, il nous faudrait surtout réfléchir à ce monde nouveau où il n’y aurait plus de place pour les profiteurs. Nous sommes déjà bien loin du rêve mais, comme disent les pessimistes, les patrons et les possédants ne voudront jamais. Ah bon, et si nous transformions nos rêves en cauchemar pour ceux qui ne cessent de vouloir nous endormir ?
Bonne année quand même !

1. Bien entendu, ce terme de « gueules de vaches » était réservé à la « gradaille » au temps du service militaire obligatoire. Peut-être serait-il possible de l’utiliser de nouveau pour les oppresseurs contemporains.