Une École du troisième type

mis en ligne le 10 avril 2003

Lorsque, après l'avoir feuilleté, j'ai acheté le livre de Bernard Collot[[Bernard Collot, Une École du troisième type ou « la pédagogie de la Mouche », L'Harmattan, 330 p., 26,50 euros. Rajoutez 10 % pour le port. Disponible à Publico.]], je pensais qu'il me faudrait une bonne semaine pour en venir à bout. Plus de trois cents pages, un certain nombre de graphiques avec des flèches dans tous les sens, pas de photos, une mise en page austère, etc., ça incite à penser, en effet, qu'on n'est pas en présence d'un polar et qu'il va falloir s'accrocher aux branches. Ce livre, pourtant, je l'ai lu d'une traite!

Bernard Collot, comme beaucoup, est entré à l'École normale par hasard (« pour ne pas être à la charge des parents »). En 1961 (second poste), il s'est retrouvé nommé en milieu rural (des enfants de 8 à 14 ans, deux classes, six cours). Passablement désorienté comme tous les débutants. Avec cependant l'envie de faire et de bien faire. Mais faire quoi et comment? Il s'est mis à chercher. À aller voir. Et ce fut (encore) le hasard d'une rencontre avec un instit Freinet, les CMEA[[Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation actives.]], l'USEP [[Union sportive de l'enseignement primaire prônant une conception du sport sans compétition.]], etc. Et, à chaque fois, dans la foulée, l'aventure du tâtonnement, de l'expérimentation. En 1963, c'est la réalisation du premier restaurant d'enfants en milieu rural. En 1964, les premières rencontres USEP pendant le temps scolaire (« Et qui plus est, autogérées »). En 1965, les premières expériences d'apprentissage massif (à l'échelle d'un département) de la natation dans un grand bassin et la création du premier « réseau d'écoles rurales ». En 1966, l'ouverture de la classe aux parents. En 1970, participation au démarrage « des circuits de correspondance mutuelle » dans le mouvement Freinet. Puis, ce fut la ruée sur les photocopies, les magnétophones, les montages diapos, le super 8, etc., et autres outils à même de faciliter et de densifier des relations d'échanges de toutes sortes. À partir de 1985 commençait alors la conquête de l'Ouest informatique. La mise sur pied d'un serveur indépendant (Marelle). La multiplication de l'échange d'informations entre classes. Le bouillonnement, via l'utilisation du réseau, de projets de toutes sortes (dont l'incroyable course nationale des haricots).

Comme on le voit, jusqu'à son départ à la retraite, en 1996, Bernard Collot n'est pas resté les deux pieds dans le même sabot de la routine, du conformisme, du rabâchage ou du glandisme qui sont le lot commun de tant d'enseignants. Pendant trente-sept ans, il n'a cessé de courir!

Mais après quoi?

Au début, il ne savait pas très bien. Le hasard (toujours) l'avait plongé, pieds et poings liés de désarroi, dans le milieu rural de ses classes uniques (hétérogènes); ses interrogations se résumaient à celles d'un artisan désireux de bien faire son ouvrage, autrement dit, permettre aux enfants d'apprendre à lire, à écrire, à compter au rythme du bonheur d'être. Sur ces bases, il pouvait difficilement ne pas rencontrer la pédagogie Freinet et les autres méthodes « actives ». Et (en toute logique, c'est-à-dire pas complètement par hasard) il les a rencontrées. En empruntant ici ou là. De manière ponctuelle. Pragmatique. Méfiant par rapport aux grands discours. Ouvert à tout ce qui concrètement pouvait faire avancer le schmilblick.

Bref, Bernard Collot aurait pu rester ad vitam aeternam un de ces trop rares touche-à-tout de l'expérimentation pédagogique, le nez sur le guidon, condamné à pédaler sans fin dans le champ clos d'une course orpheline sinon de sens du moins de stratégie.

Et puis, et puis, il y eut, en 1989, la fameuse mission Mauget « qui prônait et mettait en route l'éradication des classes uniques considérées comme... archaïques. Ce qui a fait sortir une poignée d'enseignants de leur bois avec qui j'ai créé les Centres de recherches des petites structures et de la communication ». « Et, j'ai, à partir de cette date, pris mon bâton de pèlerin pour défendre et expliciter l'intérêt de l'hétérogénéité, d'école en école, de congrès en colloque, d'université en IUFM, de Lisbonne à Moscou. ».

De « simple » artisan à l'horizon « borné » par l'établi et l'atelier, Bernard Collot va donc peu à peu, en réaction à l'événement (trois crétins serviles chargés de dégraisser le mammouth avant l'heure en orchestrant des regroupements scolaires dans le seul but de réduire le nombre de postes d'instits. Trois classes uniques à 14 élèves impliquant trois postes d'instits tandis que regroupées en deux classes ça ne fait plus que deux postes), s'engager sur le chemin de la militance et de la théorisation.

Bien avant les travaux de Françoise Œuvrard (1993), d'Alain Mingerat ou le film Être et avoir, il va, en effet, démontrer que les résultats obtenus par des classes uniques étaient supérieurs à ceux des classes de niveau.

Mieux, non content de casser le mythe d'une école du premier type « qui était celle, avec ses niveaux homogènes, ses rangées élèves, un maître maîtrisant emploi du temps et progressions, des élèves exécutant le plus exactement possible des consignes », il va également démythifier l'école du second type « qui est celle des méthodes actives où les élèves y sont moins passifs, où le maître fait appel à leur motivation, cherche par tous les moyens à rattacher son enseignement à la réalité, mais où l'enseignant en reste le véritable acteur », et promouvoir l'école du troisième type « où c'est la présence des enfants dans un groupe et dans un environnement réels qui entraîne les processus d'apprentissages et la construction des langages et où ce n'est plus l'enseignant qui déclenche les processus ».

Et c'est, tout naturellement, qu'au cours de ses dix dernières années d'enseignement, il en est arrivé « à une école sans horaires, sans cahiers, sans leçons, sans programme, sans évaluation, dans un espace occupé en permanence dans sa totalité, ouvert aux enfants et aux adultes, de jour... comme de nuit, en période scolaire ou pendant les vacances. Une école publique ordinaire, avec des enfants ordinaires, des parents ordinaires, une municipalité ordinaire... et un instituteur fonctionnaire ordinaire et conscient de ce qu'on attend de lui, c'est-à-dire responsable. Ce que j'ai appelé une école de troisième type. Ce qui m'a conduit aux portes des utopies des Illich (une société sans école) ou des Serres (la société pédagogique) ».

Ce livre nous raconte tout cela. Cette aventure pédagogique, éducative et humaine à nulle autre pareille (même les plus libertaires d'entre les libertaires, et je pense bien sûr à l'école libertaire Bonaventure[[Bonaventure, une école libertaire, éditions du Monde libertaire, 180 p., 9,15 euros.]], n'ont jamais été aussi loin dans la formulation et la mise en oeuvre d'une école de la liberté, de l'égalité et de l'autogestion, faisant corps avec la société tout entière jusqu'à s'y dissoudre en tant qu'institution). Et il nous la raconte avec des mots simples et un coeur gros comme ça.

On l'aura donc compris, ce livre est un véritable événement car il ouvre des perspectives théoriques et pratiques à tous ceux et toutes celles qui pensent que la meilleure façon de lutter contre le démantèlement actuel du service public d'enseignement c'est encore d'être capable de proposer mieux que ce qui existe.

Dans le petit mot qu'il nous a envoyé à Thyde Rosell et à moi-même, à l'occasion de la sortie de son livre, Bernard Collot écrivait: « Une école libertaire ne relèverait même pas de l'idéologie mais tout simplement du biologique. »

Merci à Bernard Collot de s'être attaché à démontrer cette évidence.