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par Serge le 13 mars 2023

NON au nucléaire et à son monde

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Le collectif "Comités Centrales" organise depuis quelques mois une tournée sur le thème "Réveiller les esprits antinucléaires" autour de son film Notre terre mourra proprement. Cet objectif rejoint celui de la campagne antinucléaire de la Fédération anarchiste. On peut lire sur leur site :
"Alors que le gouvernement et la filière nucléaire organisent autoritairement la construction des nouveaux EPR et la relance du nucléaire, nous estimons qu’il est essentiel de faire un bilan à la fois politique et émotionnel des 70 dernières années de l’atome en France ".

Voici un bref rappel historique qui permet de comprendre la situation actuelle de faiblesse du mouvement antinucléaire, dont le pouvoir macronien tente de profiter au maximum.

Le "chant du cygne" du mouvement anti-nucléaire, qui ne cessait de se renforcer jusque-là, a été la manifestation de Creys-Malville (Isère) en juillet 1977 contre le projet Superphénix.




Il va ensuite régulièrement s’affaiblir, se contentant pour beaucoup - en dehors de quelques collectifs et associations combatifs, d’un rôle de "contre-expertise" ou de servir de marche-pied à ceux qui se contentent de peindre une zone verte dans l’arc-en-ciel politicard. Aujourd’hui c’est le nucléaire, miraculeux sauveur du climat, qu’une partie d’entre eux repeint, nouvelle romance style "Cinquante nuances de Green".

L’histoire de cette période clé des années 1970, animée par de nombreux soixante-huitards, est finalement peu connue. Parmi d’autres témoignages, voici un intéressant enregistrement audio de novembre 2022 d’un des participants aux Comités Malville :


Sa conclusion :
"Sur l’argument du danger, tu avais des scientifiques qui disaient : on va prendre des précautions. La véritable objection, c’est celle que nous portions nous, comités Malville, les antinucléaires qui
disions : prendre des précautions, ça veut dire une enceinte protectrice pour Superphénix, une surveillance militaro-policière quand tu as nucléarisé le territoire. Il faut sans cesse, de
génération en génération, tant que durera la radioactivité, reproduire cette caste d’ingénieurs-techniciens, ces grands-prêtres de l’énergie seuls capables de la maîtriser, et qui donc prennent en
otage toute la Société, dorénavant obligée de complaire à leurs desiderata (entretien, maintenance, protection), ce qui nous a conduit au slogan Société nucléaire = Société policière
".

Le mouvement antinucléaire dans les années 1970


Quelque rappels du contexte de l’époque pour mieux comprendre cette intervention :

Au début des années 1970, les réflexions sur l’environnement portées notamment par l’association Survivre et Vivre, créée par Alexandre Grothendieck, et par une partie des journalistes de Charlie Hebdo (Fournier, Gébé, Rieser) intéressaient de plus en plus de personnes.
Parallèlement, le nucléaire est en passe de connaître un développement foudroyant, concrétisé en 1973 par le "Plan Messmer" qui, s’appuyant sur la flambée du prix du pétrole et sur une publicité de grande envergure pour le "Tout électrique", fera de la France le deuxième producteur d’énergie nucléaire et le premier par tête d’habitant.

Dès les 10 et 11 juillet 1971, à l’appel de l’association Bugey Cobayes (une poignée dont je faisais partie), soutenue par Charlie Hebdo, 15 000 personnes se sont retrouvées, dans une ambiance festive post-68tarde, devant la centrale de Bugey après un demi-siècle de pollutions et dangers nucléaires militaire et civil, première manifestation d’ampleur contre le nucléaire en France. Les organisations de gauche et d’extrême-gauche étaient absentes pour la plupart, défendant le nucléaire au nom de l’"indépendance de la France".

En 1974 est lancé sur le site de Creys-Malville (30 km en amont sur le Rhône de la centrale de Bugey) le projet Superphénix, réacteur surgénérateur à neutrons rapides, censé être la version industrielle des réacteurs expérimentaux Phénix [note] et Rapsodieà [note] .
Des comités Malville se constituent dans divers villes de la région et, peu à peu, s’étendent partout en France jusqu’à être plusieurs centaines. Leur fonctionnement horizontal permet aux participants d’échanger sur le nucléaire, mais aussi de se poser les questions de la société militaro-policière qui l’accompagne.
Le fonctionnement d’ensemble est de type fédéraliste : les comités restent autonomes et échangent entre eux informations et propositions d’action.

Mais leur nombre croissant et la prise de conscience politique de beaucoup à travers échanges et actions concrètes commencent à intéresser diverses organisations, notamment parmi ceux qui se revendiquent de l’"écologie politique". Le contexte électoral semble s’y prêter : candidature de René Dumont aux présidentielles de 1974, premières candidatures de candidats "verts" aux municipales de mars 1977 et plus tard aux législatives de mars 1978.
Ils ne sont pas les seuls, puisque de nombreux militants d’extrême-gauche apparaissent en 1977 et la coordination nationale des Comités Malville comprend des militants du PSU, des trotskistes de la LCR et de l’OCT (Organisation communiste des travailleurs).
Des divergences se font jour : actions violentes/non violentes, rôle de la coordination nationale…

Creys-Malville 31 juillet 1977
C’est dans ce contexte de division que la coordination annonce une "marche écologiste non-violente" en juillet 1977 devant le site en construction.




Pendant ce temps, l’État est très clair sur sa stratégie, le préfet de l’Isère René Janin étant un "spécialiste" puisqu’il a été préfet d’Alger pendant la guerre d’Algérie. Il déploie 5.000 CRS, gendarmes et gardes mobiles, hélicoptères, véhicules amphibies, ponts mobiles, un régiment de gendarmes parachutistes et des membres des brigades anti-émeutes. Les uniformes sont noirs et ne portent aucun insigne.
Le 28 juillet, il déclare dans une conférence de presse : "Messieurs, pour la deuxième fois dans l’histoire de France, la mairie de Morestel est occupée par les Boches", faisant allusion aux nombreux antinucléaires allemands, et ajoute : "S’il le faut je ferai ouvrir le feu sur les contestataires".
Conscient de l’impréparation devant le piège qui se met en place et de la tentative de récupération de certaines composantes de la coordination nationale, une partie des comités n’appelle pas à la manifestation, laissant ses membres libres de leur choix.

Samedi 30 juillet, dans les forums de discussion entre les participants qui sont déjà arrivés sur le site, de grandes divergences apparaissent entre ceux qui veulent l’occupation totale du site et ceux qui souhaitent respecter les limites imposés par le préfet (25 km2), dont la position s’exprime dans la Gazette de Malville, organe de la coordination : "Personne ne tient à se faire matraquer et tout sera fait pour éviter l’affrontement. Les Comités, les Élus locaux, feront tout pour que cette manifestation soit une protestation digne et pacifique. Nous espérons que nos élus prendront la tête de cette marche, avec leurs écharpes et drapeaux tricolores ; et que nous pourrons, derrière eux, en rangs serrés, affirmer notre volonté de résister à cette folie".

Le dimanche 31 juillet, le plan prévu par le préfet se déroule parfaitement, attirant les trois marches dans un véritable traquenard, qui aurait pu conduire à plus de victimes que le seul Vital Michalon.





Du côté des 60.000 manifestants, la désorganisation est totale : les quatre marches prévues vers le site de la centrale se réduisent à trois avec un itinéraire modifié, que les participants ignorent, les porteurs des banderoles de tête sont parmi les premiers à laisser la base "se débrouiller" sans informations ni directives, les mégaphones sont en nombre nettement insuffisant, aucune liaison n’existe entre les trois marches, aucun des barrages canalisant de la police n’a pu être forcé...
Par exemple, sur la petite route qui mène au lieu principal des affrontements, choisi par les forces de l’ordre pour sa disposition géographique qui leur est favorable, de très nombreux manifestants sont restés à piétiner plus d’une heure sous des trombes d’eau, complètement désorientés, sans aucune information.




Beaucoup de participants vont en sortir abasourdis et choqués par tant d’amateurisme. Le mouvement antinucléaire va commencer à décliner…

Des choix politiques

Le "Comités Centrales" évoque un certain nombre de "questions politiques à poser aux défenseurs du nucléaire", que nous partageons :
• Voulons-nous d’un monde où populations et industries sont toutes deux régies par les lois du confinement : encerclées de zones commerciales et de fils barbelés, gérées derrière des écrans, scrutées par des caméras, sous surveillance policière permanente ?
• Voulons-nous d’une industrie qui a fait de la sous-traitance un système au service du silence de ses ouvriers ?
• Voulons-nous d’une société dont l’avenir et le budget sont destinés à rester entre les mains d’une petite élite scientifique et économique qui concentre tous les pouvoirs au cœur de l’appareil d’État civil et militaire ?
• Voulons-nous d’une technologie qui colonise le temps pour des millénaires, destinant une partie de sa population à devenir la gardienne de ses déchets ingérables ?
• Voulons-nous continuer à financer un service public porté par une entreprise en faillite, devenue société anonyme après avoir construit son empire grâce à l’impôt des français ?
• Voulons-nous d’une industrie aux méthodes coloniales qui a toujours méprisé l’avis des populations et continue de le faire en achetant les consciences à coup de subventions ?
• Voulons-nous continuer de vivre dans une société sous la pression du danger nucléaire civil et militaire permanent ?

Serge

PAR : Serge
Groupe Gaston Leval
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