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par Hépha Istos le 12 avril 2022

Métavers et robocratie, le monde d’après – partie I.

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Article extrait du Monde libertaire n°1836 de février 2022
Dans les métavers, ces vrais-faux nouveaux mondes, l’imagination est au pouvoir , tout redevient possible. On s’y croit, vraiment… mais pourtant tout est faux. Enfin, non… c’est vrai et c’est faux ; ces mondes sont virtuels. Côté face, on, s’y promène, on s’y rassemble avec ses amis ou en famille, on y travaille, on s’y divertit, on y fait ses courses…. Côté pile par contre, ces nouvelles incarnations du Capitalisme digital sont gouvernées et exploitées par quelques poignées d’oligarques autocrates dont les bots omnipotents et omniscients font en sorte que tout manquement aux « Conditions générales d’utilisation » sera puni du bannissement.




Qu’est-ce qu’un métavers
Merveille de la Science, un métavers est un univers virtuel tridimensionnel créé de toutes pièces par l’informatique au sein duquel on peut vivre sans quitter son canapé ; on y interagit avec des avatars, des simulations visibles qui incarnent d’autres humains ou les bots [note] chargés de l’animation et du contrôle. L’imagination est reine, car l’apparence et l’ambiance d’un métavers sont de pures créations qui peuvent prendre toutes les formes imaginables. Comme téléporté dans son avatar, le corps y devient tout puissant et la distance n’est plus un obstacle à la rencontre ; tout ou presque est enfin devenu possible.

On entre dans un métavers en devenant un avatar, un personnage animé choisi ou imposé que l’on habille, déshabille, décore et accessoirise, et au travers duquel les autres nous perçoivent. Il exécute nos actions ; nos pensées sont les siennes et nous ressentons ce qu’il perçoit, il est notre voix, nos oreilles et nos yeux dans le métavers Ce qu’il regarde nous le voyons, ce qu’il entend nous l’entendons, lorsque nous parlons, il parle et les avatars à la ronde nous entendent.

Un métavers est un univers factice entièrement simulé par des machines, qui nous extrait du monde réel pour nous distraire et nous relier à d’autres humains ou robots, pour nous y vendre des marchandises virtuelles et nous contrôler toujours plus intimement. La peine de mort y est abolie, mais tout manquement à la règle est puni du bannissement. Le Métavers est une des deux formes de la robocratie, sa forme digitale.

Comment ça marche ?

Un métavers est un monde d’information pure et d’énergie. Énormément d’énergie bien sûr, pour simuler la réalité, mais la seule matière en jeu est celle des data centers, des ordinateurs géants, des tuyaux de l’Internet et des dispositifs psycho-physiques que revêt chaque métanaute. C’est une colossale masse de données en mouvement constant sur l’infrastructure mondiale de l’Internet, elle est entièrement produite et interprétée par les bots logés dans des supercalculateurs.

L’avatar du métanaute n’existe que sous la forme d’un paquet de données. Pour transposer le virtuel dans le réel, il faut transformer les données en sensations, et inversement, faire « comme si » le vrai corps du métanaute et celui de l’avatar n’en faisait qu’un. À l’instar du cosmonaute qui s’équipe pour vivre dans l’espace, le métanaute s’équipe pour vivre dans son métavers, il revêt les dispositifs électroniques qui leurrent son système nerveux et ses mécanismes cognitifs : casque audio-vidéo, gants, veste ou combinaison qui tromperont chacune des catégories de nos récepteurs sensoriels : audition, vision, toucher, chaleur, humidité, équilibre… Le micro transmet la voix, les écouteurs donnent à entendre le son du métavers dont un algorithme aura calculé la spatialisation et l’atténuation. Les lunettes électroniques reproduisent en trois dimensions ce que voit l’avatar. Les capteurs intégrés enregistrent les mouvements du corps et de la tête interprétés pour adapter la posture de l’avatar et calculer la représentation de la scène en fonction de la position et la direction des yeux. On voit et on entend ce vrai-faux monde et on se voit comme si on y était. D’autres dispositifs permettent d’introduire – et ressentir – d’autres parties du corps et d’autres stimuli et dans le métavers.

Témoignage :
Il y a déjà une quinzaine d’années, invité par un laboratoire de recherche parisien, j’avais fait l’expérience presque sidérante d’un dispositif de sculpture virtuelle intégrant une interface « à retour d’effort » – qui réagit à la pression. Coiffé d’un casque et tenant de la main droite une sorte de cuillère métallique articulée à une petite tourelle bourrée d’électronique et de ressorts, je « voyais » la forme émerger et ma main qui « sculptait ». Je ressentais la texture et la résistance de la matière sculptée, une sorte d’argile. Il n’y avait pourtant aucune matière, tout n’était qu’illusion, mais je l’aurai juré, je sculptais « pour de vrai » !

Et dans le monde de la science en constante accélération, quinze ans c’est une éternité, des combinaisons recouvrant tout ou partie du corps commencent à faire ressentir que ce son avatar ressent lorsqu’il touche ou est touché, lorsqu’il marche, saute, porte ou reçoit un coup. Des dispositifs dédiés à la sexualité sont en cours de perfectionnement permettant d’avoir une relation sexuelle entre humains, ou entre humains et avatars bien sûr.

Point de fusion du Capital des États et de la Science
À ce stade il peut être utile de le rappeler…. les métavers ne s’imposent pas d’eux-mêmes, nul n’en a besoin. Ils sont imaginés, construits et seront imposés par l’alliance entre le Capital, les États et la Science scellée au XIXe siècle et qui a déjà radicalement reformaté notre monde. On n’insistera pas ici sur l’Eldorado ouvert au Capitalisme digital – un nombre infini de nouveaux mondes à vendre et où tout sera à vendre et acheter – qui monétisera toujours plus de nos existences – ici l’espace infini de notre imaginaire couplé à nos irrépressibles besoins sociaux.

Les États trouvent dans le métavers le dispositif idéal leur permettant tout à la fois de connaître, manipuler et contrôler toujours plus les populations tout en leur offrant l’échappatoire nécessaire au consentement à une vie dont les conditions ne font que se dégrader. Ils connaissent la leçon de Juvenus, ce poète latin du premier siècle de notre ère : « panem et circenses » : du pain et des jeux. Les robots de l’agroalimentaire produiront le pain tandis que les bots de l’Internet produiront les métavers.

Servante dévouée des États et du Capital qui la nourrissent et la pilotent d’une pesante autorité, la Science est le moteur intellectuel des métavers, c’est elle qui les rend possibles – son rôle est essentiel, nécessaire. Les métavers sont à la convergence du travail d’une partie des huit millions de scientifiques répartis sur la planète et qui travaillent dur pour faire progresser le savoir dans les champs des sciences mathématiques, informatiques, naturelles et sociales. À des quelques philosophes et sociologues alibis qui entreprendront de faire de savantes analyses et critiques des métavers, nombreux seront les chercheurs et ingénieurs dont les contributions serviront à rendre toujours plus réaliste, captivante, toujours plus irrésistible, la vie dans ces vrai-faux univers. Pas toujours très rémunérateur, leur travail assurément sera passionnant et enthousiasmant ; la curiosité le goût de l’abstraction et le plaisir d’échanger planétairement avec leurs pairs les guidera. Ils ne fréquenteront toutefois les métavers qu’avec parcimonie, essentiellement pour y travailler ; ils s’assureront que leurs enfants fassent de même.

Science et métavers

Les métavers sont au cœur des technosciences, un des grands points de convergence des recherches scientifiques. L’informatique est partout tandis que l’Internet mobile et le web assurent l’infrastructure. Les neurosciences, la psychologie et la sociologie, l’histoire et la géographie, les jeux vidéos et les réseaux sociaux donnent les clefs pour créer des mondes passionnants ou divertissants et susciter en continu des expériences personnelles et sociales addictives. La robotique et l’intelligence artificielle créent les bots intelligents et créatifs ou tacherons routiniers, infatigables travailleurs des métavers. L’économie modélise la monétisation intégrale au sein des métavers grâce aux cryptomonnaies et à leurs deux évolutions « de rupture » : les « Smart Contracts » qui automatisent complètement l’exécution de contrats entre métanautes, et les « NFT [note] » qui en universalisant le droit de propriété rendent possible la financiarisation de tout : avatar, entités et expériences.

Informatique et mathématique, car la matière des métavers est l’information et la science informatique est celle de l’automatisation de l’information au préalable mathématisée. Les métavers réalisent l’objectif « SDX » – Software Defined Everything – d’un monde où « tout » est défini par du logiciel. Internet et Web, qui fournissent l’infrastructure planétaire – terrestre, maritime, aérienne et spatiale – où circulent les données de téléportation des métanautes dans leur avatar et de leurs interactions. Neurosciences et bio-ingénierie, car pour leurrer nos cinq sens et notre cerveau il faut comprendre leurs mécanismes les plus intimes. L’approche « externe » produira les casques, gants et combinaisons, tandis que l’approche « interne » branchera directement le cerveau sur l’Internet, comme s’y prépare la « prise cérébrale » NeuraLink d’Elon Musk. Jeux vidéo bien sûr, qui sont une fenêtre ouverte sur un ailleurs nourri d’histoire et de géographie ; un ailleurs réaliste pour les jeux « immersifs », ou surtout social, avec les « jeux de rôles en ligne massivement multi-joueurs » où l’on interagit au sein de communautés qui tout à la fois s’affrontent et coopèrent. En 2010, le jeu phare World Of Warcraft dépassait la barre historique des 12 millions d’abonnés avant d’entamer sa décroissance. Quelques années plus tard en 2017, grâce aux apports du marketing, de la psychologie et de la sociologie le jeu Fortnite recrutait 125 millions de joueurs dans sa première année, pour en réunir plus de 350 millions en 2020. Robotique et intelligence artificielle, car les métavers sont des robocraties dont les robots informationnels, les bots, sont tout à la fois les infatigables soutiers et les acteurs protéiformes. Des bots architectes, décorateurs, urbanistes et paysagistes inventent, assemblent et animent les territoires des métavers. La musique, libre de droits, est composée, interprétée, chantée et dansée par des bots-artistes qui savent produire et interpréter tout style à la demande. Les bots-animateurs amusent la galerie tandis que les bots-policiers observent en continu chaque action de chaque métanaute. Économie enfin, car ce grand bond en avant du capitalisme digital utilise les résultats les plus récents des recherches à la croisée de l’économie et de l’Internet. Le propriétaire du métavers émet et contrôle sa propre cryptomonnaie, tandis que la propriété privée est garantie par les NFT, un de leurs dérivés mathématiques utilisés pour attacher un titre de propriété infalsifiable à toute entité numérique identifiable. Cette universalisation de la Propriété Intellectuelle permet de financiariser toute ce qui existe et se produit au sein des métavers – tout.

Les partis technologistes aimeront les métavers

Les métavers sont également le lieu d’autres convergences, politiques celles-ci… Assurément, les partis libéraux aimeront les métavers car tout y est source de profit. Les bots aspirant les flux de données produits par la vie des métanautes permettront aux bots-marchands experts en nudge [note] de susciter et piloter au plus près les désirs de chacun. L’absence de matière garantira le contrôle millimétré de la rareté, de l’obsolescence ou de la profusion ; la logistique aura disparu et les coûts de production seront écrasés. Les profits seront colossaux.

Les Verts, et plus encore le Capitalisme Vert, aimeront les métavers ! La mobilité y est absolument « verte », le CO2 un affreux souvenir ! Dans le monde sans matière la distance n’est plus qu’une donnée (x, y, z) que les bots changent à leur guise. Plus de voitures, plus de camions ni d’avions, plus de paquebots, de containers géants. Pas d’invendus à mettre au pilon, pas de déchets à recycler, pas de plastique pour emballer, de boites et de carton pour livrer. Mère Nature sera luxuriante, les cours d’eau rafraîchissants, et l’on pourra vivre « une expérience mythique » au sein des « millions d’arbres numériques » de la Forêt de la durabilité créée par le géant Samsung dans le métavers Decentraland. Des vrai-faux arbres qui seront l’image des deux millions de vrais-vrais arbres que l’entreprise s’apprête à planter pour reverdir Madagascar. La rime est riche : c’est avec Vert que rime Métavers !

Le PC et l’extrême-gauche, ils vont l’aimer le métavers car personne n’est exploité, ce sont des bots qui le fabriquent et le font exister. L’irrésistible prédiction millénariste d’une abondance mécanisée qui a guidé les théoriciens marxistes et socialistes est enfin réalisée : en métavers l’abondance ne coûte rien, chacun peut se servir selon ses besoins. Mieux encore, au-delà des besoins, les désirs les plus fous seront à la portée d’un simple clic. Certains métavers post-wikipédiens seront communistes ou même anarchistes, des sociétés de communes libres et égalitaire, autogérées et regroupées en fédérations de fédérations, jusqu’à l’échelle planétaire. Lundi matin, ne sera plus le moment du retour au chantier, à l’entrepôt ou au bureau, mais celui du repos après un week-end de rêve...

Les queers et le petit peuple des « déconstruits » enfin, adoreront le métavers car le corps-avatar y sera tellement fluide... une pâte à modeler transformable à volonté s’adaptant d’elle-même aux moindres variations du désir, que les bots auront devinées – ou suscitées ? – avant même qu’ils ne s’imposent à la conscience. C’est sans chimie, sans chirurgie – débarrassé de l’inertie de la matière – que l’on surfera les plus doux zéphyrs de ses envies ou que l’on se perdra au cœur des ouragans soulevés par ses plus ardents désirs. Devenus liquides genre et sexe, espèce aussi, seront à la portée d’un Diem. Devenir Centaure, homme, femme, androgyne, hermaphrodite, chien ou mieux encore, car il faut suivre la mode, virus. L’An Un de notre ère a vu paraître le Grand Livre des Métamorphoses ; poète visionnaire et inspiré, Ovide nous aura légué le Premier Testament des Métavers. Le Manifeste Cyborg publié en 1984 par l’universitaire féministe socialiste Donna Haraway en sera le Dernier, qui célèbre la Dernière Alliance, celle de l’Homme et La Machine. Tandis que des universitaires en quête de renom en feront l’exégèse, leurs jeunes étudiants exploreront seuls ou en groupe les infinies possibilités des ces modernes métamorphoses.

Comme l’a promis Zuckerbeg, l’homme des métavers : « Dans le métavers, vous pourrez faire tout ce que vous pouvez imaginer ». Tout, à condition d’abandonner toute autonomie, et in fine, sa propre vie. Des anarchistes s’opposeront au monde des métavers.

Hépha Istos
PAR : Hépha Istos
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