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Chroniques du temps réel
par Juju le 10 mai 2020

Histoire clownesque et virus

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Témoignage

Nous publions, et publierons, des témoignages de personnes qui travaillent malgré le confinement, le covid-19 et le mal être qui en découle. Ces témoignages ont été recueillis par le groupe Graine d’Anar de Lyon. Merci à lui.




Je me présente Juju 43 ans, femme ayant vécu dans plusieurs villes de France : Vaucluse, Gard, Marseille, Lyon
Avignon, Saint-Nazaire, et Paris où j’ai fait des études de théâtre, comme comédienne. Animatrice pour enfants aussi en parallèle, car pour moi les enfants nourrissent la spontanéité et l’émotion dans l’instant présent.

Je me suis orientée en 2000 vers le travail du clown, qui me semblait une expression plus légère, plus vraie et plus spontanée que l’Art Théâtral avec toutes ces préparations scéniques et autres artifices.

Je jouais donc presque toujours en improvisations, en duo ou trio, dans des salons, des festivals de rue, ou en spectacle thématique en bibliothèque ou conférence. Et aussi bien-sûr des stages de pratique pour me perfectionner…

Alors vinrent les interventions en 2009, une fois par mois, à l’hôpital d’Avignon au service mères-enfants, en duo dans les chambres des petits malades et leur famille, comme actrice sociale, bénévole au sein d’une équipe de clowns formés à Nîmes les « Bulles de rêve ».

Je me suis tout de suite plu à plonger dans ce monde enfantin, sans forcément me faire happer par la souffrance et l’ambiance médicalisée que je redoutais au début.

On avait en duo une force décuplée pour entrer dans notre univers onirique, costumés, et un peu maquillés.
Comme des étrangers qui débarquent dans un nouveau pays, assoiffés de découvrir et rencontrer toutes ces nouvelles têtes, on partait à la découverte, presque avec une boussole et une lampe torche, à l’aventure ! Ce que j’ai énormément aimé dans les chambres d’hôpital, c’était quand toute la famille se prenait au jeu aussi : sœurs, frères, tata, mamie, cousins, participaient aussi au grand lien interactif autour du lit de l’enfant, et rentraient dans nos délires avec nos chansons, nos jeux, nos danses, et on voyait alors le parent redevenir un enfant lui-même et se mettre à lancer des balles, chanter et danser alors là, c’était gagné et tout le monde riait !!!

Il nous arrivait aussi de faire des apparitions juste derrière une vitre, à sourire, danser et mimer, ou dans les chambres d’être dans une ambiance plus feutrée et délicate… où parfois nous nous sentions un peu magiciennes ou chamanes.
Comme une fois, sans nous concerter avec ma partenaire, nous avions eu l’intuition de devoir aider une enfant très handicapée, comme des magiciennes, avec des formules magiques très « sérieuses » pour essayer d’alléger son corps si douloureux. L’enfant, nous voyant très concentrées pour chercher des formules magiques pour l’aider, voulait qu’on fasse aussi « un soin magique » pour alléger le corps de sa maman, qu’on a fini par soulever vraiment dans nos bras, presque jusqu’au plafond, avec une force qu’on ne se connaissait pas nous-mêmes. Ce partage d’émotions fût très fort pour tous, et la maman nous a remercié en pleurant dans les couloirs quand nous partions de l’hôpital.

J’ai compris alors toute l’importance du soin holistique, dans sa globalité, avec tous les sens en éveil du personnage sincère de comédien-clown. L’écoute bienveillante et la présence entière, empathique, qui peut enfin libérer une émotion enfouie qui n’avait pas pu s’exprimer ni avant, ni ailleurs… Par le jeu, les enfants intéRIEURS de chacun peuvent s’exprimer, et laisser aller leurs émotions profondes, partager des moments simples avec tout leur amour sincère, d’humain à humain, ce qui manque PARTOUT aujourd’hui…

Les difficultés rencontrées pour nous étaient plutôt le manque de discussions avec les équipes, médicales par manque de temps, et les conditions de travail qu’on voyait se dégrader pour elles, d’année en année pour les médecins et infirmièr.es.

Les difficultés des soignants de l’hôpital, on les as vues aussi… On a vu les services fusionner en un seul, et les équipes devenir tournantes. Du coup nous n’avions pas souvent les mêmes référents pour discuter.

On se rencontrait moins et on se parlait moins avec les équipes de soignants. Et pourtant on avait tant de choses à se dire, échanger sur nos ressentis justement. On a remarqué peu à peu, la dégringolade et la misère davantage depuis 3-4 ans, chez le public accueilli. Les stigmates, les difficultés financières, sociales, et humaines se sont marqués sur les visages des familles et les petits corps parfois marqués de bleus et de coups, qu’on ne voyait presque pas avant, au début où j’ai commencé. Heureusement une référente restait joignable par mail quand on en avait « gros sur la patate » ou qu’on ressentait un malaise familial, des maltraitances, chez les familles visitées…

J’ai vu aussi des infirmières l’an dernier, gratter la vieille peinture écaillée sur des murs délabrés, et se côtiser toutes ensemble pour changer la décoration des couloirs et acheter ainsi des « stickers rigolos et jolis » pour égayer leur quotidien, les murs des couloirs, leur lieu de travail.

J’ai vu aussi des infirmières polyvalentes, avec plusieurs tâches à la fois, qui en plus de repeindre les murs, gardaient parfois avec elles dans les couloirs, les petits « oublié s» par leurs parents qu’aucun service ne prenait en charge, par manque de place… Je crus un moment qu’on était dans un pays du tiers- monde, sans matériel, sans moyens, avec des bébés presque livrés à eux-mêmes.

J’imagine que maintenant avec cette pandémie COVID19, depuis mars 2020, les conditions se sont encore davantage détériorées. Beaucoup de petits patients doivent encore plus patienter, doivent rester seul dans leur chambre. Et voir des gens masqués tous les jours, ça peut être assez angoissant, à part si c’est Zorro qui débarque bien-sûr !

La pandémie du covid et la nouvelle organisation autour de ce virus, nous a obligé à suspendre de façon drastique (et brutale) nos visites à l’hôpital, jusqu’à nouvel ordre…Malheureusement, le COVID et l’organisation autour de ce virus nous limite au niveau des échanges, des sourires, et pour se changer les idées, il y a les dessins animés sur les écrans, mais ça va 5 minutes, les écrans, ça rend nerveux à la longue !

Les baisses de moral et les dommages collatéraux vont être je pense énormes, chez presque tout le monde : chez les clowns, les personnes seules, les équipes de soignants jusqu’aux bébés seuls, ou maltraités, qui ne reçoivent plus de visites de tiers pour égayer leur quotidien.

Moi j’attends avec impatience le déconfinement, qu’on se revoit, qu’on vive et qu’on rigole.

A côte de cette passion clownesque, non-reconnue encore comme un vrai métier, je suis accompagnante d’un enfant handicapé dans une école alternative privée. Je suis rémunérée presque complètement depuis ce confinement. Mais je m’inquiète un peu pour la suite, car ce sont les parents du petit qui me paient, et aucune aide de l’État n’est arrivée encore à ce jour, donc ils doivent faire l’avance de mon salaire et peut-être sur plusieurs mois, jusqu’à fin juin 2020 ?
J’espère en tout cas que l’humain restera humain, avec ses émotions, ses failles et ses défauts ; qu’on ne se laissera pas broyer par la peur d’exister, avec nos droits et nos différences, et que même s’il y a plus de robots ou de machines « intelligentes » dans nos divers secteurs d’emplois, soi-disant pour nous aider, j’espère qu’au moins ce confinement aura servi à comprendre qu’il y a des savoirs-faire très proches de nous. Au niveau local, des artisans et des producteurs en chair et en os peuvent nous aider ou nous nourrir… Qu’on peut consommer autrement, troquer avec ses voisins, qu’à plusieurs on est plus fort, et qu’ensemble on va plus loin.

Confinés, mais pas déconfits, on peut voir ce qui vit autour de soi, et reprendre le contact avec soi-même, et aussi redécouvrir cet environnement presque intime tout autour de soi… On passe avec cette pause obligatoire de la vision Macroscopique au Microscopique.

Sur une vision globale justement, encore faut-il avoir de quoi regarder et se mettre quelque chose sous les yeux, et sous la dent, car pour certains c’est l’enfer carcéral déshumanisé qui se referme encore plus, l’espace restreint, les murs plus épais encore que d’habitude. L’angoisse est plus étouffante, crier encore dans le vide, tourner en rond dans son minuscule bocal et personne qui n’a plus le temps d’écouter les cris « A l’aide ! »

Pour les personnes fragiles, malades, isolées et les plus seules d’entre-nous, la punition est cruelle, plus personne ne vient nous voir, on n’existe plus. Un peu de chaleur humaine, pourtant peut nous relier autrement que par les écrans, se sentir exister dans les yeux d’un autre, et pouvoir prendre la main de quelqu’un quand on agonise seul et enfermé, c’est une bouée d’oxygène parfois qu’on n’imagine pas. Ne serait-ce que parler, si on n’a pas un peu d’entraide familiale ou sociale, pour échanger une dernière fois, un dernier regard empathique, pour le dernier souffle, et pour nous aider à rester encore un peu humain derrière nos masques…

Tiens, les masques, ça me rappelle le carnaval… On va sacrément se déguiser en sortant du confinement !!! Et se confier pour se déconfiner, à qui voudra, pour se donner la main tous et toutes ensemble, ouais, ouais !!! …

Juju.
PAR : Juju
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