Les articles du ML papier > Le féminisme dans la récente édition documentaire jeunesse
Les articles du ML papier
par Florence et Hélène le 2 septembre 2019

Le féminisme dans la récente édition documentaire jeunesse

Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=4204

Article extrait du Monde libertaire n°1808 de juillet-août 2019
Début 2019, nous avons relevé cinq livres documentaires en direction de la jeunesse, très engagés pour l’égalité filles-garçons. Tous, d’abord original, sont intéressants même si l’un se révèle pernicieux après une lecture attentive. Au final un bon cru car, pour chaque âge visé, enfants, pré-ados ou ados, un titre émerge du lot, à recommander vivement. Le mercredi 18 septembre 2019, sur Radio libertaire, 89.4, les émissions Des cailloux dans l’engrenage l’enfance poil à gratter (14 h à 16 h) et Femmes libres (18 h 30 à 20 h 30) s’associeront pour chroniquer ces cinq livres jeunesse féministes et en lire des extraits. En tout quatre heures d’émission ! Le Monde libertaire de l’été vous en fait goûter une avant-première.




L’égalité filles garçons, collection Pas bête, Textes de Stéphanie Duval & Sandra Laboucarie, illustrations de Pascal Lemaître, Bayard jeunesse, 2019, 15 €

La réussite tient autant pour la présentation que pour le contenu au plus près des préoccupations des enfants : les illustrations sont gaies et vivantes ; les entrées sont par grandes questions ou remarques ; la construction par paragraphes titrés facilite la compréhension dès 7/8 ans ; les bulles de BD interpellent ou précisent les textes. À noter aussi les rubriques "femmes incroyables" et "le sais-tu ?" ; l’index des femmes remarquables mais aussi des hommes luttant pour l’égalité.

Le sommaire en jaune sur blanc est difficilement lisible. Rare : la rubrique "terribles pirates" page 30 ; enfin un livre qui cite quelques grandes piratesses (ou corsaires et qui d’ailleurs furent nombreuses à être capitaines). À faire frémir, page 57, la liste de dix femmes de pouvoir dans le monde prouve que le féminisme isolément est loin de suffire pour se débarrasser du capitalisme. De même, page 59, lorsque Louise Weiss, en réclamant le droit de vote, rassure les sénateurs parce que leurs chaussettes seront raccommodées, nous comprenons que le pouvoir de voter n’implique pas l’égalité ! En page 63, « Être féministe, c’est défendre le droit des femmes, vouloir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Ce n’est pas vouloir que les femmes aient davantage de droits que les hommes. Ce n’est pas non plus nier les différences entre les hommes et les femmes. Au contraire ! C’est affirmer que, filles et garçons, on a tous le droit d’être différents. On peut donc être un homme, un garçon et être féministe ! » Planning familial et contraception sont traités sans l’avortement, espérons-le, à cause du jeune âge visé.

Du début jusqu’à la fin, cet album documentaire intéresse autant les enfants que les adultes qui les accompagnent. Belle surprise éditoriale adressée aux 7-11 ans.




Les mots pour combattre le sexisme, Jessie Magana & Alexandre Messager, Syros, 2019, 12 €

Il s’agit d’une réédition actualisée de Mots indispensables pour parler du sexisme, paru en 2015. Cette fois-ci, le titre contient "combattre" le sexisme : nous sommes deux années après la vague #MeToo qui a mis le sexisme au cœur du débat sociétal. Le sexisme est plus que jamais d’actualité, et il est indispensable de le comprendre sous ses diverses facettes pour pouvoir le combattre.

Deux nouveautés marquent donc la réédition : #MeToo et Racisée. En deux pages, voire quatre pages, 60 mots sont déclinés et l’essentiel est clairement dit. Pour chaque mot, une sélection de livres et films conseillés, et des renvois par mots-clefs : particulièrement bien choisis, sauf un faux-pas de première en citant Daniel Welzer-Lang, harceleur dénoncé de nombreuses fois dans sa pratique universitaire. Avec, de temps à autre, des illustrations d’autant plus adaptées que la légende est explicite quant au message ou au non-dit. Clitoris n’a qu’un renvoi dans l’index, voir Sexualité (qui évoque en même temps plaisir et masturbation) mais pas dans Zizi et Zézette.

Pour la réédition, Clitoris aurait justifié un mot-chapitre à part entière traitant du plaisir et des mutilations génitales ainsi que l’existence des enfants nés hermaphrodites et des ados "au genre non binaire" qui se font appeler iel car se sentant ni il ni elle, mais les deux à la fois.

Alors en route avec les Amazones, réelles (proportionnellement trop de place à la sempiternelle Jeanne d’Arc) ou légendaires, vers Zizi et Zézette, en passant par Drague, Harcèlement, Garçon manqué, Prostitution, Précarité, mais aussi Simone de Beauvoir, Angela Davis, Olympe de Gouges ou Louise Michel, les éternelles icônes ! A partir du collège.




La voix des femmes, ces grands discours qui ont marqué l’Histoire, Céline Delavaux, Photos. Préface de Christiane Taubira. De la Martinière jeunesse, 2019, 21 € 50

Présenter aux adolescents l’Histoire du féminisme au travers des discours est une idée originale qui justifie un zoom de décryptage minimum. L’autrice a privilégié les politiciennes au pouvoir et les militantes pour le droit de vote. Car il faut préparer la future électrice en fin de lycée à bien voter ! Deux représentantes du monde du spectacle. Aucune scientifique ni femmes de lettres. Aucune dissidente en arme (du Conseil de la Résistance par exemple). Celles-ci n’ont-elles jamais prononcé de discours ? Bien sûr, pas d’Emma Goldman !

Un décompte des nationalités, révélateur, freine l’enthousiasme du premier abord que suscitent à la fois la 4e de couverture, les belles photos, les thèmes du sommaire et l’index facilitateur. L’ouvrage est organisé autour de vingt entrées principales, vingt femmes discourant sur des sujets différents, assorties d’une dizaine d’entrées complémentaires, dont deux doubles présentant les deux femmes dans deux contextes différents. Au total 28 oratrices sont à l’honneur.

Là non plus ni Russe ni Lusophone ni Chinoise. Pire, le continent africain est inexistant ! Aucune Africaine n’aurait prononcé de discours mémorable, ni une seule combattante algérienne, ni l’ex-ministre malienne de la culture, ni la biologiste qui plantait des arbres, l’une des 4 nobélisées d’Afrique, ni la Première ministre rwandaise assassinée au début du génocide, entre autres ! Une Australienne en entrée complémentaire. Sur 4 asiatiques : 3 Indiennes et une Birmane. Sur 11 Européennes : 7 Françaises, 2 Anglaises, 1 Allemande et 1 Espagnole. Sur 12 Américaines : 10 Étatsuniennes et 2 Argentines. Les occidentales les plus intéressantes sont dans la chronologie du livre : Théroigne de Méricourt, Louise Michel, Rosa Luxembourg, Joséphine Baker, Gisèle Halimi, Simone Veil, Christiane Taubira, Angela Davis et Naomi Wadler. La place des contrastées et controversées Indiennes, Argentines et Birmane, est justifiée. Que la Passionaria incarne l’Espagne révolutionnaire est une erreur historique alors que la ministre Federica Montseny, quatre décennies avant Simone Veil, a légalisé la contraception et l’avortement parmi d’autres actions sociales d’avant-garde. Elle a prononcé plusieurs discours mémorables avant et après son exil. Comme souvent, l’ouvrage entretient la confusion entre l’Europe et l’Union européenne. Le portrait de quelques révolutionnaires et activistes ne suffit pas à masquer cette ode au libéralisme économique et aux femmes du pouvoir capitaliste. Dans ce contexte, pourquoi avoir omis Margaret Thatcher alors qu’elle a ancré les consciences avec son "il n’y a pas d’alternative !" néfaste parmi les néfastes. En suivant la même logique, aucune femme aux manettes d’une entreprise géante de l’hyper capitalisme n’est évoquée. Les ados ne sont pas naïfs, ils savent que le pouvoir réel est aux mains des multinationales et des organisations financières.

Nous vous laissons découvrir les noms des femmes de ce livre qui mérite qu’on s’y arrête, instructif dans son meilleur, à condition de mettre en garde les jeunes contre l’idéologie sous-jacente. Pour les lycéens.




J’aimerais te parler d’elles, Sophie Carquain & Pauline Duhamel, Albin Michel Jeunesse, 2019, 15 €

Une femme, son itinéraire, l’illustration d’un moment phare de sa vie. La présentation est claire et attrayante de ces cinquante histoires de vie par ordre chronologique à partir du 19e siècle. Un joli fil de couleur situe chacun des quatre thèmes concernant divers domaines professionnels et culturels : 6 aventurières, 11 scientifiques, 19 artistes, 14 militantes. Ni ouvrière, ni paysanne.

En bas de chaque page-texte, la petite leçon de vie moralisatrice qui se veut originale est un raté accrocheur façon pub. Bien que le choix globalement trop lisse des protagonistes déçoive, quelques portraits inattendus comme Marie-Rose Moro, mais aussi de Françoise Héritier, Germaine Tillon ou Agnès Varda, justifient de se procurer le livre. Il ne dit pas que Georges Sand, investie dans la révolution de 1848, a craché sur la Commune de Paris. De cette époque, elle aurait été avantageusement remplacée par les moins célèbres André Léo, la journaliste au pseudo masculin, Nathalie Lemel, la relieuse ou la Russe Elisabeth Dmitrieff. La présence entre autres de Françoise Sagan ou Denise Vernay ne sont pas indispensables alors qu’auraient pu être présentes Nina Simone, la Chilienne Violeta Parra ou Pauline Kergomard, la créatrice de l’École maternelle (de la famille d’Élisée Reclus).

Au final un ouvrage inégal. Il a pourtant l’avantage de balayer des pays assez variés des 5 continents : 22 Françaises sur 29 Européennes, 6 Asiatiques dont une Nord-Coréenne, seulement 2 Africaines, 1 Australienne, 12 Américaines dont 10 des USA (la moitié étant noires). Ni Russe ni Lusophone ni Chinoise. Le principal intérêt est la valorisation de femmes injustement peu connues, particulièrement des scientifiques ou même des sportives atypiques.



Pour les 7-10 ans.

La ligue des superféministes, Mirion Malle, La ville brûle, 2019, 16 €


Cette bande dessinée donne des outils intellectuels permettant de comprendre et d’agir pour la fin des inégalités entre filles et garçons. Elle est construite en six chapitres : la représentation, l’amitié, les relations amoureuses, la beauté, le genre et l’intersectionnalité. Sont également traités le test de Bechdel, se soutenir entre filles, l’écriture inclusive, le consentement, les privilèges, le jeu et "est-ce que les féministes détestent les hommes ?".

Les dessins sont gais et stimulants. Les textes clairs vont à l’essentiel. Rien à dire de plus que le commentaire d’une grande librairie parisienne indépendante « c’est le meilleur documentaire jeunesse paru à ce jour sur ce sujet ». Pour paraphraser la chanson, s’il n’y en a qu’un, ce sera celui-là. Accessible dès la fin de l’école élémentaire.

Rappelons que Mirion Malle a illustré un autre passionnant documentaire jeunesse Les règles… quelle aventure ! Paru en 2017, unique en son genre, d’Élise Thiébaut, également chez La ville brûle, 12 €. Le sujet est resté si tabou qu’au cinéma, à notre connaissance, y compris chez les jeunes réalisatrices, les héroïnes, même emprisonnées ou dans le plus grand dénuement, n’ont jamais leurs règles et a fortiori ne sont jamais en pénurie de protection périodique, hormis quelques exceptions comme Carrie de Brian de Palma. Subissent-elles systématiquement des aménorrhées comme on l’a supposé des piratesses clandestines d’antan ? Indispensable pour décomplexer toute préadolescente en âge d’être réglée mais aussi pour les garçons afin qu’ils comprennent eux-aussi que ce qui arrive à la moitié de l’humanité, même si le sang qui tache les vêtements, n’est ni sale, ni honteux.


Florence, émissions Des cailloux dans l’engrenage, l’enfance poil à gratter et Flemmardise et rêveil mots, ne trouble pas ma sieste & Hélène, émission Femmes libres, sur Radio libertaire.

Émissions du 18 septembre 2019 sur Radio libertaire, 89.4
Des cailloux dans l’engrenage, de 14 h à 16 h : albums enfants
Femmes libres, de 18 h 30 à 20 h 30 : albums adolescent·es
PAR : Florence et Hélène
SES ARTICLES RÉCENTS :
Réagir à cet article
Écrire un commentaire ...
Poster le commentaire
Annuler