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par Hélène Hernandez le 28 septembre 2018

Violences sexuelles au travail, le gouvernement contre l’AVFT !

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article paru dans le Monde libertaire n°1797



Les violences sexuelles n’ont jamais autant été mises sur la scène publique. En 1999, le Bureau International du Travail, publie une étude qui révèle que la France est l’un des pays où le taux de violences sexistes ou sexuelles au travail est le plus élevé. En 1985, voilà plus de trente ans, une poignée de féministes décide de se constituer en association pour que cette réalité change. L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) naît et depuis, offre une permanence d’écoute, d’accueil, de soutien moral et de conseils, notamment juridique aux personnes victimes de violences sexuelles, sexistes et de discriminations au travail. Ainsi, elle leur propose de participer à des « groupes de solidarité et d’action » et elle intervient à leurs côtés pour que soient rétablis leurs droits : elle les accompagne notamment auprès des employeurs, de l’inspection du travail, du Parquet, de la police, de la gendarmerie.

L’AVFT, pionnière et experte


Au fil des années, l’AVFT a largement contribué à faire avancer la loi sur le harcèlement sexuel, sur la réforme législative de 2011 - notamment pour garantir mieux les droits de la défense -, sur le délit de dénonciation calomnieuse. Elle se constitue partie civile dans les procès pénaux et intervient dans les procès prud’homaux auprès des victimes. Elle anime des séquences de sensibilisations et des formations à destination des professionnel·les concerné·es : syndicats, professionnel·les de la santé, médecin du travail, inspection du travail, police, gendarmerie etc. Avec la compagnie Dé(s)amorces, elle propose un théâtre-forum pour des publics comme les comités d’entreprises, des lycées ou les collectivités. Elle publie des articles, des analyses, des ouvrages dont deux guides pratiques à l’attention des victimes, et à destination des employeurs. Elle intervient dans les médias (plusieurs fois sur Radio libertaire notamment dans l’émission Femmes libres) et organise des campagnes et des colloques.

« L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) naît et depuis, offre une permanence d’écoute, d’accueil, de soutien moral et de conseils, notamment juridique aux personnes victimes de violences sexuelles, sexistes et de discriminations au travail. »


Forte de ces diverses et nombreuses activités, l’AVFT a une profonde connaissance de la réalité des violences vécues par les personnes victimes de violence et connaît bien les rouages des institutions judiciaires.

Si les violences sexistes et sexuelles dans les relations de travail sont largement répandues, elles sont encore très peu dénoncées. La société repose sur le système patriarcal, sur une culture du viol et des violences. Chacun, chacune d’entre nous portons des a priori et stéréotypes hérités d’une vision inégalitaire des rapports entre les femmes et les hommes. La plupart de ces idées reçues ont pour conséquence, si ce n’est pour rôle, de renverser la responsabilité des violences sur les femmes, de les banaliser et de leur trouver des justifications. Plus largement, ces stéréotypes brident notre réflexion en brouillant nos repères. Cela explique un grand nombre de non-réactions des victimes car elle se sentent rarement légitimes à refuser certains comportements, a fortiori à les dénoncer. Cela génère un sentiment de malaise et de déni : comment croire que cela peut exister ? sous nos yeux, si près de nous ? Le rôle de ces clichés est aussi de mettre une barrière de protection entre les violences et nous. Souvent entendus ici ou là :

« C’est elle qui l’a cherché » ; « Ne l’auriez-vous pas provoqué ? » ; « Elle fait ça pour l’argent » ; « À sa place moi j’aurais réagi plus tôt, aurais dit non, serais partie, aurais donné une gifle… ; « On ne va pas chambouler les relations entre les hommes et les femmes ! » ; « C’est un malade » ; « Il est malheureux, sa femme l’a quitté » ; « C’est un tactile » ; « C’est normal, les hommes ont des pulsions » ; « C’est pas si grave que ça » ; « Vous n’êtes pas morte » ; « Des compliments sur votre poitrine ? Ça ne fait pas de mal… vous devriez être flattée » ; « Y’a pas de témoin » ; « Ici ça va devenir comme aux États-Unis » …

Alors, quand la grande vague des #metoo déferle, les paroles se libèrent et la permanence téléphonique de l’AVFT explose. Entre 2015 et 2017, le nombre de saisines de l’AVFT a plus que doublé. Pour continuer à assurer le travail d’accompagnement et de défense dans les procédures en cours, les cinq juristes décident de fermer l’accueil téléphonique en janvier 2018 pour cinq mois, le temps de récolter des fonds. Pionnière dans la défense des victimes de violences sexistes et sexuelles au travail en France, l’AVFT fonctionne avec un budget d’environ 370 000 € composé d’une subvention de 235 000 € du secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes (SEEFH) et de fonds liés au développement d’actions de formation rapportant quelques 110 000 €. Pour faire face à ce surcroît de demandes, l’AVFT a demandé fin 2017 une augmentation légitime de la subvention annuelle.

« Entre 2015 et 2017, le nombre de saisines de l’AVFT a plus que doublé. »

Le 6 mai dernier, Marlène Schiappa secrétaire d’État du SEEFH, sur une radio commerciale, annonce « qu’elle serait en droit de cesser de subventionner » l’AVFT parce que celle-ci aurait décidé unilatéralement de fermer son standard ! Le 24 mai, l’association reçoit un refus quant à sa demande d’augmentation de subvention. En outre, Marlène Schiappa choisit de lancer un numéro national d’écoute pour orienter les victimes vers des interlocuteurs adaptés : inspection du travail et associations. Le 9 mai, un appel à projets d’un million d’euros est annoncé visant des personnes morales à but non lucratif sur la lutte des violences sexistes et sexuelles au travail. Cet appel écarte les associations nationales, il se décline en 18 projets régionaux de 50 000 € chacun, et exige que ces projets présentent un caractère novateur.

Les associations féministes, vent debout !

Non seulement, l’AVFT, experte en la matière, n’est pas aidée dans ses missions au moment de l’augmentation des saisines, mais elle est contournée car dans l’appel à projets gouvernemental, ce sont ses missions qui sont proposées aux 18 projets régionaux. « L’État doit reprendre la main » poursuit Marlène Schiappa. Mais qu’a fait l’État jusqu’en 2018 ? Il s’est contenté de l’action de l’AVFT: elle faisait alors l’affaire quand il s’agissait de se débarrasser de la patate chaude que sont les violences sexistes et sexuelles sans remettre en cause l’éducation sexiste, la responsabilité des employeurs et des hiérarchies dans les entreprises, les messages publicitaires qui réifient les femmes comme objets promotionnels et marchandisés… L’État ne se préoccupe pas plus de la capacité qu’a l’inspection du travail pour répondre aux travailleuses victimes de violences quand la baisse du nombre d’agents de contrôle se poursuit : environ 2 000 agents pour 1,8 million d’entreprise et une population en emploi de 26 millions de salariés selon les chiffres de l’INSEE en 2016. Comment dans ces conditions, peuvent agir les agents de contrôle pour des enquêtes difficiles nécessitant du temps et des auditions que sont les enquêtes liées aux violences sexistes et sexuelles ? Dans l’annonce de Marlène Schiappa, l’aide financière de l’Etat n’est pas pérenne au-delà de 2019, quelle situation est prévue pour les années suivantes ? Il n’y aurait plus sans doute de violences sexistes et sexuelles au travail ? Donc plus besoin d’associations ? Foutage de gueule !

« Mais qu’a fait l’État jusqu’en 2018 ? Il s’est contenté de l’action de l’AVFT »

Comme bon nombre d’organismes dans le secteur sanitaire et social, l’AVFT reçoit une délégation de service public et des missions utiles à la population, et ce en référence à la charte d’engagement réciproque entre l’État, les collectivités territoriales et le mouvement associatif du 14 février 2014. L’État s’était engagé alors à favoriser dans la durée des soutiens publics aux associations et à privilégier la conduite de projets sur le long terme par des conventions pluriannuelles. Mais les récentes décisions mettent en échec les engagements pris, et doivent nous interroger à (re)définir ce que serait un véritable service public pour la protection des droits des femmes. Enfin, dans un contexte de torpillage de la fonction publique, comment l’État peut-il prétendre reprendre en main des missions qu’il a progressivement abandonné aux associations ?

L’objectif d’Emmanuel Macron et Marlène Schiappa est-il de lutter contre les violences commises contre les femmes ou de lutter contre les associations qui les soutiennent ? Ce qui est sûr, c’est que les annonces du gouvernement en matière de violences sont de la poudre aux yeux et qu’elles mettent ainsi en danger les femmes victimes de violences masculines qui ont besoin d’un accompagnement stable et durable pour faire face à des procédures longues et éprouvantes.

Hélène Hernandez
Groupe Pierre Besnard
Co-animatrice de l’émission Femmes libres sur Radio libertaire



PAR : Hélène Hernandez
Groupe Pierre Besnard
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