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par Pierre Sommermeyer le 24 décembre 2018

De l’affaire Audin et de quelques autres choses

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article extrait du Monde libertaire n°1800 de noembre 2018



Donc le Président français s’est rendu auprès de Mme Audin et lui a présenté ses excuses au nom de la France pour l’assassinat de son mari en 1957 en Algérie. Dans ma mémoire reviennent d’autres noms, des noms de femmes. Djamila Boupacha, Djamila Bouhired, elles furent six à être condamnées à mort. Elles y échappèrent ! La dénonciation du crime fait le plaisir du PCF. Le journal, l’Humanité, se réjouit de cette déclaration. « Dès le 15 juin 1957, quelques jours après l’arrestation de Maurice Audin, l’Humanité se saisit de l’affaire. Aux côtés de sa famille, notre journal exige inlassablement, depuis plus de soixante ans, justice et vérité. » Est-ce aussi clair ? Quelques mois avant que Maurice Audin ne perde la vie, des choses se passèrent en France qui auraient pu changer cette issue funèbre.

Un camion dans la Creuse

Nous sommes le 7 mai 1956. Guy Mollet, président du Conseil, a fait voter les pouvoirs spéciaux. Aux élections de janvier 1956 un accord entre les socialistes de la SFIO et le PCF permet à ce dernier d’obtenir un nombre considérable d’élus, 150. Le 12 mars 1956, cette coalition vote les pouvoirs spéciaux au gouvernement Mollet qui confie ainsi à l’armée et à la police les actions de maintien de l’ordre. Ce « système institué alors en Algérie par la France» dont parle Macron, l’a été avec la complicité honteuse du Parti communiste. Le nombre de soldats présents en Algérie ne suffisant pas ce seront des centaines de milliers de réservistes qui seront rappelés pour des « opérations de pacification » en Algérie.: Partout le mécontentement grandi.

Au matin du 7 mai 1956, un camion militaire s’arrête à La Villedieu. Les jeunes rappelés manifestent leur opposition à la guerre. Ils sont accueillis par trois hommes, René Romanet, le maire de La Villedieu, Gaston Fanton, l’instituteur de Faux-La-Montagne, Antoine Meunier, un vétéran invalide de la guerre de 39/45, originaire de Tarnac. Les deux premiers avaient été les chevilles ouvrières du groupe de résistants dirigés par le colonel Guingouin pendant la dernière guerre. De concert la population du village les soutient, d’autres arrivent des villages alentour. Le matin du 8 mai , gendarmes et CRS investissent le bourg. Interpellés Fanton et Romanet sont amenés à Gentioux pour y être interrogés. René Romanet déclare prendre l’entière responsabilité de la manifestation. Il apprendra vite qu’il est inculpé comme Gaston Fanton, Antoine Meunier et Michel Frangne, un des jeunes militaires.

Fanron sera incarcéré au fort du Hâ à Bordeaux pendant huit mois. Aussitôt, un comité de soutien se créa, de nombreuses pétitions circulèrent, des réunions accueillirent un public nombreux. Un élan de solidarité considérable grandit dans toute la région.

Ailleurs en France

Les rappelés tentaient de bloquer les trains, refusaient de monter, saccageaient la gare, insultaient les officiers et, une fois dans le train, tiraient les sonnettes d’alarme pour l’arrêter. Les plus spectaculaires des refus furent, d’abord, le 11 septembre 1955, le refus d’embarquement de 600 rappelés de l’armée de l’air à la gare de Lyon à Paris, et le 8 octobre 1955, celui de soldats du 406e régiment d’artillerie antiaérienne, à la caserne Richepanse de Rouen. Les manifestations de protestation se prolongèrent jusque pendant la campagne électorale de décembre 1955.

Une deuxième vague se développa pendant trois mois à la suite des rappels d’avril et mai 1956. La manifestation du 18 mai 1956 à Grenoble fut l’une des plus violentes (une cinquantaine de blessés, autant d’arrestations), mais ne rassembla que quelques centaines de personnes. De plus importantes en réunirent plusieurs milliers, avec la participation d’ouvriers en grève de solidarité, par exemple à Saint-Nazaire le 28 mai et à Firminy le 31 mai. Ce fut aussi le cas le mercredi 18 avril à Vauvert dans le Gard, où un millier de personnes bloquèrent l’autorail qui devait emmener les douze rappelés de la commune. Des faits similaires se produisirent le 3 mai à Lésignan, le 10 mai à Saint-Aignan-des-Noyers dans le Loir-et-Cher, le 17mai au Mans. Le 18 mai, à Grenoble, des milliers de manifestants s’opposèrent au départ d’un train de rappelés. Le même jour, 700 rappelés mettaient à sac la gare de Dreux aux cris de « Lacoste au poteau » (Lacoste était le ministre socialiste résident à Alger), « Mollet au poteau ».

Les casernes connurent aussi des troubles. Le 19 mai, les soldats rappelés du 92ème RI forcèrent les grilles de la caserne de Montluçon à près de 800. Le même jour, à Évreux, cinq cents rappelés du 9ème régiment d’infanterie coloniale manifestèrent dans les rues et à l’intérieur de la caserne aux cris de : « Pas d’envoi de disponibles ! », « Paix en Algérie ». Le 8 juillet encore, au camp de Mourmelon, trois mille rappelés conspuèrent leurs officiers et prirent le contrôle du camp et du dépôt d’armes.

Ces explosions étaient aussi brèves que soudaines, et les rappelés finissaient par partir. Hormis quelques rares cas de soldats qui refusèrent de combattre, ils se retrouvèrent pris dans l’engrenage de cette « sale guerre » coloniale. Et de 200000 hommes début 1956, les troupes en Algérie passèrent à 450000 en juillet 1956, et à 500000 en 1957.

L’historien Robert Paris rappelle sur son site Matière et Révolution que « Les rappelés se battaient sans soutien des syndicats, ni des partis. De ce fait, une fois l’explosion de colère passée, ils ne savaient pas quoi faire de plus. Certes, il se trouva nombre de militants ouvriers, de syndicalistes, de militants du Parti Communiste pour initier ces mouvements, et même pour les organiser. Mais ces militants étaient aussi livrés à eux-mêmes. […] Mais le PCF, qui condamnait la guerre en parole, dans les colonnes de l’Humanité, n’entreprit rien pour gêner le gouvernement. Son vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, que le PCF justifia par la nécessité de préserver l’unité entre ouvriers communistes et socialistes, signifiait clairement qu’il comptait lui laisser carte blanche pour faire la guerre. En fait, le Parti Communiste voulait se préserver des chances pour gouverner à nouveau avec les socialistes ».

N’oublions pas pour autant que la guerre sale que la France mena en Algérie couvrait celle qui se menait au sein même de la guérilla entre le FLN et le MNA. Guerre sur le terrain, massacre de Melouza, et en France métropolitaine dans les « guerres de café » qui firent 10 223 victimes dont 3 957 tués.

Si la gauche, socialistes et communistes, n’avait pas cédé à son addiction pour le pouvoir rien de tout cela n’aurait eu lieu, et Maurice Audin serait aujourd’hui un enseignant de mathématiques à la retraite.



PAR : Pierre Sommermeyer
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