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par Frédéric Pussé le 20 septembre 2018

Travaille, consomme et tais-toi ! Triptyque de la servilité volontaire

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Article extrait du Monde libertaire n°1797 de juillet-août 2018
Mais pourquoi donc, dans nos sociétés contemporaines dites “modernes”, la majorité des populations en est-elle toujours réduite à ce funeste destin qui semble s’imposer en une fatalité incompressible : travailler, consommer et… ne pas trop la ramener ?
Comme au théâtre, sonnons les trois coups et tentons de répondre à cette question par le biais de cette pièce en trois actes illustrant ce triptyque nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme.

Acte I : Travaille !




Ça commence dès l’école, et même avant pour certain.e.s. Le travail, la discipline, l’ordre, l’autorité, le résultat, la compétition, l’obéissance, l’obligation, la contrainte… le tout, fondu dans de belles organisations bien hiérarchisées. Chacun à sa place et attention à celles et ceux qui posent un pied dans la marge !
Une fois bien formatés et enfin sortis de cette école qui, au final, ne leur a pas appris grand-chose, les jeunes adultes se trouvent armés pour “entrer dans la vie active”, comme ils disent. Tout ce temps perdu sur les bancs de l’Éducation Nationale, plus ou moins confortables selon les bourses, pour en arriver là ! À part fournir les bases et quelques autres notions et connaissances, l’école ne fait qu’abrutir les cerveaux en compilant dans ses programmes, qu’elle veut non subversifs bien sûr, tout un tas de matières inutiles et indigestes, à quelques rares exceptions près néanmoins.
Le but de la manœuvre ? Créer et perpétuer une armée de gentils petits soldats bien obéissants et... aux ordres du capitalisme bien évidemment. Et qui dit armée dit hiérarchie. Et qui dit hiérarchie dit contrôle des masses populaires et salariales. On va donner plus à certains qu’à d’autres, pour que ces derniers puissent espérer atteindre la position des premiers. Docilité et servilité apparaissent ainsi, au gré des événements et des activités que le système aura bien su inventer pour justifier son existence. De cette façon, les quelques intouchables richissimes placés tout en haut de la pyramide, celles et ceux que j’appelle dans mon livre, « A.S. 848 : Un numéro dans une case », les 0,1 %, font marcher cette machine capitaliste qui les fait si bien vivre, non sans la complicité de l’État et des religions. En instaurant compétition et écart de traitement au sein de tout ce remue-ménage la plupart du temps aussi inutile que chronophage et énergivore, et, qui plus est, auto-contrôlé par les masses elles-mêmes, elles et ils… profitent. Quand je pense que certain.e.s refusent de parler de lutte des classes !

« Un des intérêts du capitalisme est que le peuple ait toujours besoin de plus d’argent pour vivre. Et c’est le travail, qui “garantit” une certaine rentrée d’argent. »

Comment les 0,1 %, placés tout en haut de l’échelle, justifient-ils à ceux qu’ils surplombent, cette donne qu’ils considèrent comme immuable ? En faisant courir le bruit “qu’il faille bien travailler pour vivre” voyons ! Et ça marche ! Tout le monde le dit ! De l’ouvrier au cadre, de l’autochtone au migrant, du dominé au dominant, et même moi, je le dis, tellement ils ont tout marchandisé (par exemple, faire payer des biens communs terrestres comme l’eau) et rendu la vie si chère que la misère se répand même chez ceux qui travaillent ! Un des intérêts du capitalisme est que le peuple ait toujours besoin de plus d’argent pour vivre. Et c’est le travail, qui “garantit” une certaine rentrée d’argent. Et celui-ci n’est bien évidemment pas partagé équitablement, tout comme les salaires du reste. L’égalité tuerait la concurrence si précieuse à nos 0,1 %. La menace du chômage contribue également à laisser constamment planer une épée de Damoclès au dessus des têtes des masses salariales et populaires.
Normalement, pour vivre, nous ne devrions pas avoir besoin de cette grande mascarade organisée qu’est le monde du travail mais une certaine servilité nous y contraint.

Acte II : Consomme !




On s’en fout, n’importe quoi, mais consomme ! Achète ! Abonne-toi ! Assure-toi ! Rassure-toi ! Protège-toi ! Paye tes taxes, tes impôts ! Paye ton lieu de vie pendant quarante ans ! Paye tes médocs ! Paye ton hôpital ! Paye ta retraite ! Fidélise-toi et tu seras récompensé ! Avec les gros volumes, tu vas gagner du blé !
Tout s’achète et tout se vend, même les animaux, et même les humains ! Le culte de l’argent et de la consommation doit être entretenu pour que vive le système. Les grands médias aux ordres du capital se chargent, à coups de publicités toujours plus abondantes et outrancières, de perpétuer ce culte auprès des populations. Les grandes enseignes se chargent quant à elles d’offrir un “choix” de produits toujours plus immense, toujours plus inégal en qualité et toujours plus démesuré.

« Tout s’achète et tout se vend, même les animaux, et même les humains ! »


Là aussi, la concurrence est maintenue à dessein. C’est à celui qui achètera/vendra au meilleur rapport qualité/prix. Le fait qu’il y est toujours une offre plus chère et moins chère, de bonne qualité et de moins bonne, et proposant autant de gammes différentes aussi bien pour le nécessaire que pour le superflu, est absolument primordial à la bonne marche mercantile des opérations.
Et puis, étant donné qu’il en faille toujours plus pour vivre, il faut donc acheter et vendre toujours plus aussi. Pour ce faire, le capitalisme déploie depuis des lustres, quelques uns de ses plus beaux atouts : créer des besoins que lui seul peut combler ; inventer des besoins à ceux qui n’en avaient pas ; multiplier taxes et impôts injustes et injustifiés ; mettre régulièrement sur le marché des produits plus performants que ceux sortis juste avant ; privatiser les services publics et tout ce qui va avec ; marchandiser les ressources naturelles ; jouer avec les rêves et les peurs des gens. Cette religion du “toujours plus”, est le corollaire du culte de la croissance infinie, lequel ne peut conduire qu’à la raréfaction, voire à la disparition, des biens communs terrestres et des produits de premières nécessités, ainsi qu’à l’anéantissement de la nature et de l’humain.
Normalement, pour vivre, nous ne devrions pas recourir à une telle frénésie de la consommation mais une certaine servilité nous y contraint.

Acte III : Tais-toi !




Les masses travaillent (enfin, la plupart) et consomment, c’est bien, mais il faut aussi qu’elles se conforment aux normes, et en bouclant son clapet si possible !
Le système capitaliste n’est pas compatible avec la contestation, la revendication, la subversion, la désobéissance, l’anticonformisme, le dévoiement, le refus, la révolte… de même qu’il n’est pas plus compatible avec l’autogestion, l’égalité, le partage, la liberté, la solidarité, la fraternité, l’entraide, l’autonomie… C’est pourquoi les 0,1 % se doivent de discréditer la plupart de ces notions aux yeux de l’opinion publique, et se réapproprier, après transformation, les autres.
Là encore, le capitalisme déploie une de ses plus belles armes : le contrôle des cerveaux. Et comme nous l’avons vu dans l’acte I, les prémices du processus débutent à l’école, pour se poursuivre tout au long de la vie.
En plus de l’éducation, c’est aussi la majeure partie des grands médias, télévisuels essentiellement, qui participe largement au contrôle des cerveaux en les abrutissant à grands coups de journaux “d’information” voyeuristes et racoleurs où on oublie l’essentiel, de publicités stupides, de séries interminables, de films normalisés, de jeux abêtissants et infantilisants, de magazines alarmistes et sophistes, et que sais-je encore… Et le net n’est pas en reste !
Eh t’as vu la nouvelle vidéo trop bien du chat qui se crame les pattes sur le barbeuc ? Ouè euh euh, trop mort de rire !
Tout est fait pour que les masses ne protestent pas. Il est vrai que le plus gros de la population a de quoi vivre, plus ou moins selon les cas bien entendu. Même si les fins de mois sont difficiles pour beaucoup, force est de constater que nombreux aussi sont ceux qui jouissent d’un confort agréable. Et puis de toute façon, il ne reste plus beaucoup de temps pour la contestation. Le travail et les transports pour s’y rendre en sont souvent les premiers responsables, et les autres obligations auxquelles il n’est pas aisé d’échapper enfoncent le clou. Le peu de temps de “libre” restant dans la semaine ou celui béni du week-end est souvent peu propice à la contestation. On souhaite se reposer et profiter un peu, et puis les cerveaux et les corps ne sont plus tout à fait disponibles non plus. C’est fait exprès bien sûr !
Reste celles et ceux qui contestent. Tant qu’il ne s’agit que de défiler, de placarder autocollants et affiches, d’écrire des tracts, de les distribuer, de “proser” dans la presse militante, de signer des pétitions… ça va, on ne risque pas grand-chose mais... dès que l’on passe à l’action, je veux dire à l’application réelle de ce que l’on prône, là, c’est autre chose ! Les sanctions se font de plus en plus graves et la répression se fait de plus en plus accrue pour les indisciplinés. On criminalise les luttes et, encore une fois, on les discrédite aux yeux de l’opinion publique. On le voit bien sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes par exemple, où les courageuses et courageux qui inventent un nouveau monde se retrouvent attaqués par des hordes de playmobils en armure bleue et surarmés, aux ordres des 0,1 % et de l’État complice.
Mais, vous avez le droit de vote nous répondent ces derniers ! Aaah… l’entretien de l’illusion du changement par les urnes ! Faire croire aux masses populaires et salariales qu’elles seraient maître de leur destin en glissant une petite enveloppe dans une boîte en verre ! Les bercer de belles paroles et de promesses enchantées ! Le sauveur Emmanuel Macron, seul rempart contre l’extrême- droite ! Comme c’est bôôô !!
Normalement, pour vivre, nous devrions avoir voix au chapitre mais… une certaine servilité nous en empêche.


*****


On le voit, dans la logique capitaliste, le vulgum pecus devient le servum pecus !
Ce système n’a qu’un but final en soi : La conservation des privilèges et l’accroissement des richesses des 0,1 % de la population, les immensément et indécemment riches, celles et ceux qui détiennent les plus grandes fortunes de la planète. L’État et les religions, se sucrant au passage pour le plus grand plaisir de leurs représentants, sont leurs plus fidèles alliés et participent ainsi à la perpétuation de cette donne inique et aliénante avec laquelle l’immense majorité de la population doit immanquablement composer. Pendant que certain.e.s crèvent de faim… d’autres jouent avec les milliards !!
Les masses populaires et salariales ont-elles bien conscience de leur complicité, volontaire ou non, dans ce système ? Comprennent-elles qu’elles ne sont que des esclaves modernes au service des plus riches ? Sont-elles en mesure d’imaginer que, rationnellement, nous n’avons pas besoin d’eux et que c’est eux qui ont besoin de nous ? Nous est-il possible d’éradiquer, ou au moins de freiner, notre engagement vers la servilité volontaire ?
Ces questions restent ouvertes et il faut que nous, les anarchistes, les libertaires et tous ceux qui sont proches de nos idées et de nos projets, nous nous attelions à l’éveil des consciences des masses avant que d’autres, beaucoup moins bien intentionnés, ne monopolisent le débat.








PAR : Frédéric Pussé
Groupe de Metz
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1

le 22 septembre 2018 06:19:05 par zobi

Avec la chasse au 0.1%, la bourgeoisie dort sur ses deux oreilles.. grrrr

2

le 26 septembre 2018 10:01:29 par AUPETITGENDRE Jean-François

L’argent est en effet l’outil le plus adéquat pour maintenir les masses dans la servilité et les rendre satisfaites de cette servilité. Or, il se trouve que le système monétaire est enfin dans une situation critique. Même les plus ardents thuriféraires du Dieu argent sentent le danger. Le FMI organise depuis plusieurs années une suppression totale du cash pour prendre l’argent là où il se trouve, sur nos comptes en banques, sans que nous puissions nous défendre. Des cadres de la BRI écrivent un livre intitulé “Revolution required” tant ils sentent que la fin est proche. De nombreuses impasses systémiques ( climat, ressources, démographie, pollutions… ) vont prochainement s’ajouter à l’impasse monétaire et nous entraîner vers un effondrement global ( voir les collapsologues ).
Ce serait le moment idéal pour s’attaquer de front à la question centrale de l’argent, de l‘échange marchand, de la nécessité de réaliser des profits financiers. Tout ce dont rêvent les anarchistes depuis l’invention du vocable ( l’égalité, la liberté, la coopération, l’autogestion, l’accès aux biens et services, à la santé, à l’éducation, etc. ) est antinomique avec l’argent. Le monde évolue et ce qui paraissait fou au temps de Proudhon est possible techniquement aujourd’hui et s’infiltre peu à peu dans les esprits des plus éclairés. Qui aurait imaginé il y a dix ans qu’un philosophe de culture marxiste en arrive à écrire : « L’abolition de l’argent et de la valeur, de la marchandise et du travail, de l’État et du marché doit avoir lieu tout de suite, - ni comme un programme “maximaliste” ni comme une utopie, mais comme la seule forme de réalisme » ( Anselm Jappe, La société autophage, p. 236 ) ?
Il serait dommage que l’Anarchie, rate le train en marche, passe à côté d’un mouvement de pensée qui se développe, qui attire des gens d’horizons, de formation, culture et classes les plus hétérogènes. La réflexion sur une société a-monétaire est en train de prendre forme, de s’affirmer, non parce qu’elle serait plus intelligente, plus convaincante, mais parce qu’elle répond à une réalité : le système est à bout souffle, la dette mondiale est insoluble, l’économie est en faillite, l’écologie est en panne, l’idée d’un effondrement général s’impose à très court terme ( 10 à 15 ans au plus ), l’argent va disparaître. Les plupart des “désargentistes” découvrent qu’une suppression de l’argent les entraînerait inévitablement vers les thèses anarchistes alors que les anarchistes peinent à devenir “désargentistes”. Drôle de paradoxe !!!

3

le 29 septembre 2018 08:25:32 par Prépoint

Bravo Frédéric pour cet article qui dépeint très bien notre misérable condition et l’illusion capitaliste. .

4

le 30 septembre 2018 12:24:58 par Biscotte

Salut jean-François, permets-moi de rappeler ton livre : LE PORTE-MONNAIE – Une société sans argent ? aux Éditions Libertaires et sorti en 2013. Un bon roman de politique-fiction qui donne les clés pour ouvrir plein de portes.