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Chroniques du temps réel
par Anne O. le 18 mai 2020

Pendant toute ma quarantaine j’ai eu peur de perdre ma liberté

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témoignage

Le vendredi 13 mars, les billets d’avion étant moins chers, je suis partie en Équateur. Le jour du départ, tout le monde m’appelle pour me dire de ne pas y aller, que je vais rester bloquer là-bas ou qu’on va me renvoyer chez moi… Je décide quand même de partir. Je me dis qu’un scénario catastrophe comme ça, ça se tente. Rien que pour ne pas avoir à accepter la réalité. Je pleure un coup, je ne termine pas mon sandwich et je prend mon sac.
A l’escale au Panama des hommes en tenues de cosmonautes blancs me pointent sur le front des pistolet à température dont le « biiip » semble dire « ami » ou « ennemi ». Je m’achète un masque à la hâte. C’était le premier jour du confinement, là-bas aussi. Arrivée à l’aéroport de Guayaquil, on me dit que je vais devoir rester en quarantaine dans un hôtel à mes frais ! Cela me parait bien trop nul pour être vrai. Je réussi a négocier une quarantenaire à Montanita, là où je devais rejoindre mes copines au bord de la mer. Me voilà dans un taxi pour 100$, le prix de la liberté. Il est 4h heures du matin, ma copine Zoé vient me réceptionner. Elle n’en revient pas que j’ai pu venir. On est un peu perturbées. On ne sait pas ce qui va nous arriver.

Le lendemain la Police arrive sur la plage et nous informe que désormais il y a un couvre-feu à 17h. A Montanita les gens pensaient qu’on nous laisserait tranquille car c’est une sorte de petite communauté isolée où les règles ne sont pas les mêmes qu’ailleurs, vu que la ville est gérée par la Milice. La Milice c’est comme la Police sauf qu’ils sont plus forts parce que c’est la mafia. Ils ont des gros 4x4 noirs, des masques à gaz, des gants, des combinaisons, des matraques et des pistolets, tout en noir ! Ils respirent comme Dark Vador et traquent ceux qui ne respectent pas le confinement. A ce moment, Paris est la capitale de la contamination, je me sens comme un juif devant la Guestapo. Très vite le couvre-feu passe à 14h. Alors voilà, plus de surf, plus de baignade, l’ennui commence.

Un matin on apprend la mort brutale d’un voisin. Une ombre morbide plane sur le village. Voilà un bien mauvais présage… On apprend que le monsieur est mort d’une cirrhose et non pas du COVID. Mais la mort rode désormais dans le village et la peur qui l’accompagne s’empare des habitants. La paranoïa s’installe.

Les jours se suivent et deviennent de plus en plus anxiogènes.

Le lendemain soir, on fumait sur la terrasse de chez nous, lorsque huit Dark Vador surexcités, dans un énorme 4x4 noir, nous hurlent dessus au mégaphone de rentrer immédiatement à l’intérieur en brandissant des matraques ! J’étais choquée. Le lendemain, c’est l’armée qui débarquait sur la plage.

Une nuit j’ai vu pleins de lumières au loin sur l’océan. Plus que d’ordinaire. Ce n’était pas ceux des bateaux de la police… C’étaient ceux des gens de Guayaquil qui tentaient de fuir la ville, la situation là-bas devenant impossible. Les cadavres s’amoncelaient dans les rues et les gens devenaient fous. C’était devenu l’épicentre de la pandémie en Amérique Latine. Ce que ces bateaux ignoraient, c’est que les gardes-côtes les attendaient de pied ferme pour les renvoyer chez eux…

La peur envahissait notre quotidien. La peur du virus, des autres, mais surtout de la police, de l’armée et de la milice… Même avant le couvre-feu on avait peur de se baigner car les règles n’étaient pas claires… « Tu peux te baigner mais pas trop longtemps et pas trop près des autres… » Rien de suffisamment précis pour ne pas te sentir hors-la-loi quoi que tu fasses. Des fois les policiers nous sortaient de l’eau juste pour nous draguer. Voilà où ma liberté commençait à en prendre un sacré coup. Je n’avais plus envie d’obéir. Je ne leur faisais pas confiance. C’est là qu’on a décidé de s’enfuir dans la jungle ! On a trouvé asile chez un moine qui vivait à l’orée de la forêt. Là au moins on serait tranquille. Mais on avait beau faire les caïdes, on flippait. Mon vol de retour était annulé. Est-ce que j’allais vivre la fin du monde loin de ceux que j’aime ? Est-ce que c’était si mal que tout le monde meurt ?
Est-ce que ce n’était pas ça la revanche de la Nature ? Je parlais aux arbres, perchée sur un tronc au dessus de la rivière. J’avais l’impression qu’il était venu le temps de choisir son camp. L’Humanité ou La Nature. Immobile en équilibre sur mon tronc d’arbre, je pensais à tout ceux que j’aimais. J’acceptais qu’on doive tous disparaitre. Je préférais ça que de continuer de priver la Nature de ses libertés fondamentales. Je regardais le cours d’eau, sali en amont par les activités des gens autour, et dans ma tête bourdonnait l’affreux bruit d’un moteur qui pompait l’eau pour la remettre sur la rive pour arroser rien. Il me martelait le crâne et m’empêchait d’écouter la rivière et les oiseaux. Je fulminais devant ce spectacle idiot.

J’ai tout fais pour tuer le temps. Mais il est immortel. Et je n’étais pas sereine. Je sentais les angoisses de tout le monde monter dans l’air.

Puis j’ai été rapatriée et je me suis cachée dans la montagne. Demain c’est la fin du confinement.
J’ai l’impression d’avoir fait un rêve absurde.


PAR : Anne O.
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1

le 21 mai 2020 20:57:33 par luan

Privilege de ma petite personne,
Je ne réfléchis que depuis mon nombril,
De panam au panama, je m en remets a l’état
Pour me rapatrier face a la la peur de la réalité,
et me cacher après avoir propagé
le virus de mon égoïste liberté de privilégiée.