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Travail social
par C. le 26 avril 2020

Ils veulent vraiment que l’on sacrifie les enfants ?

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Témoignage

Nous publions, et publierons, des témoignages de personnes qui travaillent malgré le confinement, le covid-19 et le mal être qui en découle. Ces témoignages ont été recueillis par le groupe Graine d’Anar de Lyon. Merci à lui.





Ils veulent vraiment que l’on sacrifie les enfants ?

Je travaille dans un institut spécialisé pour déficients visuels et aveugles.
Cette nuit, nuit blanche. Hier on a reçu une circulaire confirmant la reprise de l’école le 11 Mai et demandant aux professeurs d’exercer dans le respect des règles d’hygiène de précautions et d’en faire un enjeu pédagogique.

Les déficients visuels et aveugles se rassurent souvent par des petits gestes consécutifs, proches des troubles du comportement, appelés blindisme, qui leur servent de stimulation visuelle.

Ce sont des balancements ou mouvements faciaux et souvent ils passent leurs mains devant leur visage pour créer un contraste de lumière ou de chaleur qui les tient éveillés.
Donc notre visée pédagogique va consister à leur rappeler de ne pas toucher leur visage, en bref on va devenir la police des petites mains baladeuses.

Et puis on va devoir aussi leur expliquer de ne pas toucher les murs, les portes, les tables, carrément de perdre leur manière immédiate de se représenter l’espace et le monde, le temps de l’épidémie.

Et puis on va leur dire de respecter une distance d’un mètre aussi, à eux de savoir l’estimer…

Et puis on va demander de garder une distance entre nous, donc de ne pas guider (en tenant le bras) celles et ceux qui en ont besoin.

En vrai, ça veut dire aussi qu’on va demander à N. , à peine 11 ans , chauve comme un kiwi des chimios qu’il enchaine contre son cancer généralisé de retourner en cours. De respecter tout ça alors qu’il est en train de devenir aveugle progressivement et qu’il n’est déjà plus capable de relire ce qu’il écrit. De limiter le toucher alors qu’il s’endort en cours sous le poids de ses traitements et effets secondaires, et qu’il faut le porter jusqu’au lit de l’infirmerie. On l’abandonnera peut-être dans la salle de cours du coup.

Et puis on va gronder K. et E. , qui, plongés dans leur nuit respective se rassurent de la présence de leur professeur en lui touchant le bras ou le coude quand les silences durent un peu trop longtemps…

A part ça on va retourner à l’école « pour lutter contre les inégalités », parce que c’est comme ça que c’est présenté.

Au final, c’est une double violence que l’on nous demande d’exercer : celle du rejet par la société des plus fragiles et l’impossibilité de compenser leur handicap, en leur interdisant de toucher, donc de voir.

Bref, on va, si ce n’est les tuer, au moins les mettre en danger juste pour relancer la machine économique.

Vous pensez vraiment que l’économie doit vivre à ce prix là ?

C.

PAR : C.
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