Rencontre avec des sans-papiers

mis en ligne le 8 juin 2006

Ivry-sur-Seine

M.L. : On parle beaucoup du problème des sans-papiers, c'est un débat dans la société française, mais quotidiennement, qu'est-ce que ça veut dire être sans-papiers, comment vit-on sans papiers ?

S. : La vie est très dure pour nous, de rester sans papiers, sans ressources, du jour au lendemain, on ne sait pas ce qu'on va devenir. Rester sans papiers, c'est la misère. On est dans une misère vraiment incroyable. Quand on n'a pas de papiers, on ne peut rien faire dans cette vie. Il faut avoir des papiers pour pouvoir travailler, avoir un logement. Sans papiers tu ne peux pas avoir certains droits en France. On est là, on veut s'intégrer dans la société française, mais c'est impossible sans papiers.

Il y a des gens qui sont ici depuis dix ans, quinze ans, qui n'ont pas de papiers. Dans certains pays, on te donne des papiers au bout de quelques années. Nous, on veut avoir des papiers pour avoir les mêmes droits que les autres. Nous sommes là pour travailler et pour vivre comme les autres.

Au foyer, la plupart des demandes de régularisations sont rejetées, quatre sur cinq environ. On nous reproche de ne pas avoir sept ans de présence en France, de ne pas payer d'impôts, de ne pas avoir d'activité salariée. On demande à un clandestin de fournir des bulletins de salaire, de payer des impôts... C'est vraiment inadmissible !

Certains travaillent avec des fausses cartes, et on leur retient toutes les cotisations maladie, chômage, vieillesse, mais on ne peut jamais toucher les prestations. Ceux-là présentent des fiches de paie, des certificats de travail, et la préfecture trouve des prétexte pour les refuser. Moi, ça me dégoûte. Qu'on rentre dans les critères ou pas, on se fait rejeter.

Les patrons trouvent leur intérêt à embaucher des clandestins. Celui qui n'a pas de papiers ne peut se plaindre nulle part, ni à la police, ni aux syndicats. Tu prends ce qu'ils te donnent. Tu es obligé de faire ce boulot pour t'en sortir, envoyer un peu d'argent au pays... On dit que nous sommes des célibataires ; en France, c'est vrai, mais nous avons notre famille au pays, qui compte sur nous, femme et enfants. On ne peut pas les emmener ici, pour leur faire partager notre misère. On n'a pas la possibilité de payer des loyers ailleurs qu'au foyer. Ils disent que nous sommes célibataires sans charges, mais c'est faux. On est venu pour chercher du travail, pour nourrir nos familles. Si on avait les moyens, on resterait chez nous.

Nous, on vit l'enfer ici, il faut le dire. L'enfer parce que nous n'avons aucun droit. Pas le droit de circuler librement, pas de sécurité sociale, pas d'allocations familiales. Même pour certains achats importants, on te demande des papiers. La vie est très dure.

On nous enchaîne pour nous mettre dans les charters, on nous traite comme des chiens. J'ai vu des gens arrêtés dans le train, enchaînés ; vraiment, c'est honteux.

Rester clandestinement, ce n'est pas bon. On se bat pour avoir des papiers, on se bat pour nos droits aussi. Moi je travaille depuis quatorze ans en France, je l'ai prouvé, et on me dit que je n'ai pas sept ans de présence. Je trouve ça incroyable, ils n'ont même pas étudié les dossiers ! Je suis arrivé en France en 1983, avec un tampon d'entrée sur mon passeport. On me dit que je n'ai pas de visa, alors qu'à cette époque, il y avait une convention entre la France et le Mali, on n'avait pas besoin de ce visa. C'est Chirac qui l'a instauré en 1986. Tout ça c'est des conneries, j'ai un tampon d'entrée, je ne suis pas rentré en fraude ! Cette circulaire, ce n'est pas pour régulariser les clandestins, c'est pour les identifier, les localiser, les compter... Les préfets font comme ils veulent, la circulaire leur laisse les mains libres... Pour moi, c'est une régularisation bidon.

M.L. : Pour que ce mouvement aboutisse un jour, et pour qu'il y ait une régularisation pour tous, il faut qu'il y ait un mouvement assez large dans la société, tant parmi les Français que parmi les immigrés.

P. : Nous ne sentons pas tellement la solidarité, même si il y a des gens qui sont derrière nous, qui nous aident. Ici, à Ivry, on a des associations qui nous soutiennent, on a fait une réunion publique avec des gens de la mairie. Pour l'instant, nous attendons. Ils disent qu'ils vont nous soutenir, mais quand tu veux soutenir quelqu'un, c'est dans les faits, pas seulement dans les mots. Nous trouvons qu'au niveau du Val-de-Marne, ce n'est pas comme avant.

Les syndicats, les associations sont moins mobilisés. Quand tu veux soutenir quelqu'un, il ne faut pas être entre le marteau et l'enclume. Quand tu veux soutenir le gouvernement, soutiens le gouvernement. Si tu veux soutenir les sans-papiers, il faut les soutenir, sans arrière-pensées. Au Collectif départemental, ils veulent soutenir le gouvernement et les sans-papiers en même temps. Ça ne peut pas marcher. C'est avant tout à nous de nous mobiliser.

Le soutien des élus locaux, c'est de la politique, on sait ce qu'il en est. Nous avons fait beaucoup d'efforts, mais ce n'est que le début. Nous ferons tout pour faire reculer le gouvernement socialiste. Le Parti socialiste est venu au pouvoir, et il nous a trahi. Sous la droite, Jospin avait manifesté à nos côtés. Aujourd'hui, il est arrivé au pouvoir, et il a trahi les immigrés.

Il a trouvé le palais du Premier ministre, il est tranquille dans son fauteuil. Nous lui disons qu'il a trahi le monde entier aussi. Le problème de l'immigration, ce n'est pas que la France qui est concerné. Nous avons été colonisés par les Français et aujourd'hui ils ne veulent pas nous recevoir. C'est une honte.

Notre but, notre combat, c'est pour qu'on régularise tous les sans-papiers qui sont là. Pas seulement à Ivry, je veux la régularisation de tout le monde. Nous demandons aussi la libération des détenus pour séjour irrégulier et la fermeture des centres de rétention.

Ce sont ceux de Saint-Bernard qui ont commencé la lutte, maintenant on y est tous. Avant, on n'était pas organisé comme maintenant. On était un peu dispersé, mais maintenant, nous nous sommes regroupés pour lutter ensemble. Nous demandons à nos soutiens d'être à nos côtés sans faillir, et sans arrière-pensées. Notre combat, c'est un seul combat, lutter pour tous. On va lutter jusqu'au bout, on ne s'arrête pas. On ne veut pas que cette chance nous échappe.

On veut une solidarité pour que tous soient égaux dans la société française. On veut vivre comme les citoyens français.

propos recueillis par Max