Mobilisation sociale en réponse à  l'intention de Renault de supprimer plus de 6 000 emplois en Europe

mis en ligne le 13 mars 1997

Donner un coup d'arrêt

Il y a tout lieu de penser que le déroulement de l'affaire Renault, annonçant la fermeture du site de Vilvorde en Belgique, qui emploie 3 100 personnes, suivie de la suppression de 2 700 postes de travail en France, afin de réaliser, selon la direction et les habituels histrions du libéralisme, les « sacrifices nécessaires » à la bonne santé économique du grand constructeur automobile, relève de la mise en scène et de la manipulation d'opinion. Le temps fort du premier acte, dont l'objet était sans doute de minimiser une possible inquiétude populaire, la convocation du président-directeur général, le sieur Schweitzer, à Matignon pour qu'il s'y fasse taper sur les doigts, essayait de faire oublier que l'État français possède encore 46 pour 100 des parts de ce qui fut la RNUR. Et que la direction de Renault avait provisionné plusieurs milliards de francs en prévision d'une vague importante de licenciements.

« Dossier bien lourd », a-t-on sans doute jugé en haut lieu : un nom symbole, Renault, qui fut longtemps appelé la forteresse ouvrière d'où partirent, entre 1950 et 1970, des mouvements sociaux importants qui aboutirent à d'appréciables avancées sociales ; une marque phare de l'industrie française... Il serait nécessaire d'habiller l'affaire, qui risquait d'être chaude, et d'y montrer de l'humanité, du souci pour le bien public et de la mansuétude pour les faibles et ceux que l'impitoyable lutte économique et le progrès technologique écraseront dans leur inexorable marche. Nos gouvernants jouent à merveille ce rôle de composition, il est vrai qu'ils le jouent souvent.

Bien sûr, vinrent quelques couacs de l'autre côté du Quiévrain, du gouvernement fédéral belge, qui répète à qui veut l'entendre - il songe surtout à être entendu de ses électeurs flamands - qu'il n'était pas au courant, pas réellement informé : Louis Schweitzer, qui endosse dans ce scénario le vilain costume de l'homme de fer, l'avait seulement averti de quelques difficultés économiques passagères.

Chasse aux emplois

Est-il nécessaire de rappeler que la marque au losange est coutumière, comme ses consœurs de la construction automobile, des réductions d'effectifs tous azimuts ? Tous les ans se renouvellent les plans sociaux et les disparitions de postes de travail. Trente mille suppressions d'emplois en sept ans dans le monde entier et 15 000 en France !

Cette situation de chasse ouverte aux emplois n'est pas particulière à l'industrie automobile. Elle se répète dans tous les secteurs : chez Michelin en 1993, 2 000 suppressions d'emplois, gain pour l'entreprise : 3,5 milliards de francs ; chez Danone, en 1995, 297 suppressions de postes, gain pour l'entreprise : 2 milliards ; à l'Aérospatiale, en 1995, 4 600 disparitions d'emplois malgré la commande de 120 Airbus qui seront vendus à une compagnie américaine pour la coquette somme de 12 milliards de dollars.

L'élément nouveau, ce qui commence à faire gripper le mécanisme de décervelage organisé par les managers de l'État et des entreprises, ce sont les réactions, le refus de ce qui est présenté comme une fatalité et qui relève, en fait, de l'avidité à plus de bénéfices, plus de pouvoirs, plus de salaire pour les dirigeants -- on voudrait bien connaître le traitement et les avantages en nature du sieur Schweitzer... Des délégations de salariés de Vilvorde ont été reçues dans des sites français de la marque ; des manifestations ont déjà eu lieu ; d'autres sont prévues : à l'instant de mettre sous presse, nous apprenons que tous les syndicats de l'Europe implantés chez Renault -- y compris nos camarades de la CGT d'Espagne, qui seront présents -- appellent, mardi 11, à une manifestation devant le siège social, à Billancourt.

Même les lourdes représentations de la Confédération européenne des syndicats, plus habituées au lobbying auprès de la Commission européenne de Bruxelles et qui n'avaient guère apprécié les mouvements sociaux de décembre 1995 en France, se seraient émues.

Le mouvement syndical est-il en train de réinventer l'internationalisme ? Il serait bien temps - comme il est temps de donner un coup d'arrêt à l'arrogance patronale.