La lutte des putes : alliance entre féministes, ouvriers, pauvres et exclus !

mis en ligne le 8 janvier 2015
Il est important de connaître les arguments de nos opposants. Les connaître pour mieux les combattre. Dans les propos de Schaffauser, bien huilés, règne le confusionnisme. En quoi les luttes des femmes, des ouvriers, des pauvres et des exclus ont à s’allier dans la prostitution de salon ou de studio ? Thierry Schaffauser se présente comme acteur pornographique et activiste pro-sexe sur les listes électorales d’Europe Écologie les Verts (EELV) à Paris en 2014. Au nom de ses activités pro-sexe, il parle des luttes des « putes », en fait, de la construction du Strass (Syndicat du travail sexuel), et pourtant :
Il n’est pas une personne prostituée maquée car c’est lui qui décide de louer sa personne ;
Il n’est pas une victime de la traite des êtres humains ne faisant partie ni des 80 % de femmes et de filles, ni des 20 % d’hommes et de garçons, traités par les divers réseaux et maffias ;
Il n’est pas harcelé, violé, torturé, drogué ; quand il se drogue, c’est lui qui en fait le choix ;
Il n’est pas pauvre ; ses films et ses livres complètent ce qu’il gagne dans ses prestations sexuelles ;
Il n’est pas ouvrier, il en est bien éloigné de par ses revenus et sa liberté d’aller et de venir, mais il travaille plutôt sur un modèle de libre entreprenariat, d’exercice libéral, de libéralisme économique ;
Il n’est pas plus syndicaliste car il ne prône ni l’abolition du salariat, ni l’abolition du système prostitueur et ne présente guère de solidarité avec toutes les personnes prostituées entravées dans leur liberté ;
Il n’est pas davantage féministe ou pro-féministe car il confond la solidarité développée par des féministes pour aider ou accompagner des personnes prostituées et leur soi-disant soutien au système prostitueur.
Les féministes luttent contre le patriarcat, contre toutes les formes de domination, d’oppression, d’exploitation, et pour l’égalité, la liberté et la justice : c’est pourquoi elles peuvent être aux côtés des personnes prostituées sans pour autant soutenir un système qui exploite, domine et opprime les personnes.
La Lutte des putes de Thierry Schaffauser (La Fabrique éditions, 2014) serait une lutte contre l’oppression, une lutte féministe, une lutte syndicale : ce sont les titres des chapitres du livre.
Or, aujourd’hui, les personnes prostituées qui luttent combattent avant tout la loi de sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy (quand il était ministre de l’Intérieur, 2003) car cette loi avait institué le délit de racolage passif. Cependant, une fois ce délit abrogé, et c’est une urgence qu’il le soit vraiment (il l’est par le Sénat, mais la loi générale ne devrait être présentée qu’au premier semestre de 2015), restent entières la violence et l’oppression des prostitueurs (clients, proxénètes, maffias, trafiquants, États). Tous les témoignages des personnes prostituées ou de celles qui sont sorties du système prostitutionnel dénoncent les violences, les sévices, les tortures, les viols qu’elles subissent ou qu’elles ont subi. Même le Strass a ouvert une adresse pour alerter en cas de violence : violences (arobase) strass-syndicat.org.
Thierry Schaffauser n’a sans doute pas compris non plus ce qu’est le féminisme. Il utilise la notion du care pour affirmer que « les revendications pour la reconnaissance du travail sexuel comme travail ont, d’après les féministes du care, contribué à dévoiler par la même occasion la dépendance des hommes au travail de soutien affectif, émotionnel, sexuel et de soins des femmes » (p. 139-140). Et à ce titre la reconnaissance de la prostitution comme travail rendrait service à toutes les femmes en leur permettant d’exiger d’être payées en toutes occasions de relations sexuelles ou de travail ménager ! Comme si les féministes voulaient être rétribuées pour faire l’amour ou pour faire le ménage ! Les féministes revendiquent, d’une part, le partage à égalité des tâches domestiques et, d’autre part, la liberté sexuelle, et ce sans tarification, et sans contrôle ni de l’État, ni de l’Église, ni du patriarcat.
Le Strass est-il un syndicat ? Sur le site du Strass, il est défini comme syndicat du travail sexuel afin de principalement promouvoir la parole, faire reconnaître et mener des actions en faveur des « travailleur(se)s du sexe », ce qui regroupe aussi bien « des prostitués (de rue ou indoor), des acteurs porno, des masseurs érotiques, des dominatrices professionnelles, des opérateurs de téléphone/webcam rose, des strip-teaseurs, des modèles érotiques, des accompagnants sexuels, etc. ». Or il ne rassemble quasiment que des « putes » volontaires et non celles qui sont contraintes, soit un très faible pourcentage de l’ensemble des personnes prostituées : il n’est qu’à voir les différents porte-parole ou secrétaires généraux en la personne de Maîtresse Nikita, Maîtresse Gilda (toutes deux travesties dominatrices), Morgane Merteuil (escorte) ou Bud Power (escort boy). Et pourtant c’est au nom de toutes que le Strass agit sans revendiquer l’abolition de l’exploitation prostitutionnelle.
L’enquête menée par la journaliste anarchiste suédoise Kajsa Ekis Ekman dans L’être et la marchandise (M éditeur, 2013) démontre que, dans les pays où des syndicalistes ont voulu ouvrir des syndicats pour les personnes prostituées, la syndicalisation n’a pas abouti. La SAC suédoise d’orientation anarcho-syndicaliste (Sveriges Arbetares Centralorganisation), n’a reçu que deux demandes, et encore c’étaient des danseuses nues entrepreneures individuelles (d’après le débat dans Syndikalisterna, 2002). Aux Pays-Bas, de Rode Draad a pu s’affilier à la Fédération Nederlandse Vakbeweging et obtenir un temps des fonds de l’État ; actuellement il végète et n’a jamais organisé de luttes syndicales. L’IUSW britannique (International Union of Sex Workers) n’est en fait qu’un syndicat de proxénètes. Le plus actif dans l’organisation est Douglas Fox, qui écrit tous les articles de la page d’accueil du site, et il s’exprime dans les médias sur la satisfaction d’exercer le travail du sexe et sur la misère du féminisme : en fait il est, avec John Dochertz, à la tête d’une des plus importantes agences d’escortes de Grande-Bretagne, Christony Companions. Quant à la Confederacion Sindical de Comisiones Obreras (CCOO) espagnole, elle a tenté en 2006 d’organiser les personnes prostituées : aucune « pute » n’a adhéré. En ce qui concerne le Strass, Kajsa Ekis Ekman a essuyé un refus lors de ses demandes d’interview.
Si la sexualité est devenue pour certains et certaines une marchandise, la prostitution n’est pas pour autant devenue un travail (K. Ekis Ekman) et elle ne peut l’être du fait de la nature intrinsèque de la domination et de l’oppression : même si le système était autogestionnaire, le patriarcat modèle les rapports de domination, de discrimination, d’exploitation et les figures de « maman », d’« amant », de « putain » (Claudine Legardinier, Saïd Bouamama, Les Clients de la prostitution, l’enquête, Presses de la Renaissance, 2006) et en joue en les opposant. Il est donc nécessaire de combattre le patriarcat et de promouvoir des relations fondées sur la liberté, l’égalité, la gratuité et la solidarité pour que chacun et chacune puisse choisir son chemin de vie.
Par ailleurs, la sénatrice du Val-de-Marne Esther Benbassa (EELV) a publié sur son site, le 6 février 2013, une liste d’associations auxquelles elle alloue des fonds au nom de la réserve parlementaire dédiée au financement de « projets locaux ». Le Strass figure au titre de ces associations : bel exemple de dépendance partisane pour développer non pas le syndicalisme mais l’industrie de la prostitution.
Les personnes prostituées n’ont pas besoin d’un Schaffauser pour s’exprimer elles-mêmes, il ne représente qu’une partie des personnes escortes, trans, travestis, acteurs et actrices du porno. La grande majorité des personnes prostituées sont dans la rue sans l’avoir choisi, et celles qui ont survécu et s’en sont sorties expriment tout autre chose.
Les ondes de Radio libertaire et l’émission « Femmes libres » peuvent accueillir, aujourd’hui comme par le passé, les personnes prostituées qui luttent, mais pas les porte-parole qui ne les représentent pas.

L’émission « Femmes libres » sur Radio libertaire



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


morganemerteuil

le 28 janvier 2015
il est dommage que vous n'ayez pas recensé cet article lorsque vous évoquez les expériences de syndicalisation des travailleuses du sexe http://www.contretemps.eu/interventions/lincorporation-travailleuses-sexe-mouvement-syndical-argentin