Rafles géantes en Europe contre les sans-papiers

mis en ligne le 30 octobre 2014
1754SansPapierDu lundi 13 au dimanche 26 octobre 2014, une grande opération policière à l’échelle européenne a eu lieu contre les migrants. Sous le nom d’« opération Mos Majorum », son objectif est d’arrêter et de contrôler des centaines de personnes afin de collecter diverses informations en vue de renforcer les politiques contre l’immigration.
« Mos Majorum »
Le nom Mos Majorum en dit long sur la philosophie qui sous-tend cette opération : du latin « mœurs des anciens » ou « coutumes des ancêtres », Mos Majorum désigne dans la Rome antique le mode de vie et le système des valeurs ancestrales. Ses cinq fondements sont : – fides : fidélité, respect de la parole donnée, loyauté, foi ; – pietas : piété, dévotion, patriotisme, devoir ; – majestas : sentiment de supériorité naturelle d’appartenance à un peuple élu ; – virtus : qualité propre au citoyen romain, courage, activité politique ; – gravitas : ensemble des règles de conduite du Romain traditionnel, respect de la tradition, sérieux, dignité, autorité. De quoi plaire aux fachos et adeptes de théories sur l’invasion. L’opération Mos Majorum (ou Mos Maiorum) est conjointement menée par l’Union européenne (UE), les États membres de l’espace Schengen et les agences européennes Frontex et Europol.

Frontex
Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures) est une agence qui, depuis octobre 2005 (date de sa première opération), se charge de mener diverses opérations de surveillance et de contrôle aux frontières extérieures de l’Europe (principalement au sud et à l’est).
Des moyens militaires, technologiques et policiers sont mis à sa disposition (navires, hélicos, radars, détecteurs, etc.) par les États membres de l’UE et un budget de plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année lui est alloué. C’est le bras armé de la politique migratoire européenne : Frontex organise le blindage militaire et technologique des frontières.
L’agence intervient aussi en dehors de l’UE, principalement dans les pays frontaliers, pour externaliser les politiques migratoires européennes. Elle organise également des vols charters pour les expulsions conjointes entre plusieurs pays. Des dizaines d’organismes européens et internationaux travaillent avec Frontex : agences internationales de police et de justice, organismes de gestion des migrations et des réfugiés, centres de recherche et de développement en matière de sécurité, etc.

Europol
Europol est l’office de police criminelle intergouvernemental de l’UE qui coordonne le travail des polices nationales en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiants et de criminalité organisée. De plus en plus Europol participe aux opérations européennes menées contre les migrants avec pour objectif affiché de « démanteler les réseaux de passeurs, de trafiquants et les groupes terroristes », fameux triptyque « immigrés, trafiquants, terroristes » qui sous-tend toute la politique européenne dans sa lutte contre l’immigration et qui sert d’épouvantail pour légitimer ses actions. La situation politique actuelle en Irak et en Syrie n’en est que plus profitable pour eux. Une autre opération menée par Europol du 15 au 23 septembre 2014 sous le nom de « Archimède » (à laquelle Frontex participait) et qui visait les groupes criminels internationaux a également mené au contrôle de plus de 10 000 migrants et aux arrestation de 170 passeurs.
La zone de contrôle s’étendait sur les territoires de 32 pays (les 28 de l’UE plus 4 non membres de l’UE mais de l’espace Schengen) ainsi qu’en mer : de la Norvège à l’Espagne, de l’Islande à Chypre, du Portugal à l’Estonie en passant par la Roumanie. Pour ça pas moins de 18 000 flics et gardes-côtes ont été mobilisés et les coûts de l’opération seront couverts a posteriori par les États et Frontex.
Les zones de contrôle sont laissées à l’appréciation des participants et peuvent donc être très larges : les eaux territoriales, les ports et aéroports, les frontières extérieures et intérieures de l’UE et de Schengen, les gares et les trains, les autoroutes, les transports en commun et la rue, les lieux de travail et les administrations, etc.

Contrôler pour mieux ficher
Chaque contrôle donnera lieu à une procédure recensant : des informations sur le contrôle (lieu, date, heure, moyen de transport), sur les personnes arrêtées (nationalité, sexe, âge, lieu et date d’entrée en Europe), sur les routes empruntées, les moyens de transports et la destination finale, sur les documents en possession, les démarches administratives entreprises et les paiements de passeurs. Un bureau de coordination de l’opération va être mis en place en Italie et chaque procédure lui sera transmise via une adresse mail (gruppo.frontiere (arobase) interno.it). Il semblerait que ce genre d’opération devrait avoir lieu tous les six mois, sous la coordination du pays qui assure la présidence de l’UE.
En octobre et novembre 2012, une opération similaire avait eu lieu , « l’opération Aphrodite », au terme de laquelle 5 298 personnes avait été arrêtées à travers l’Europe.
C’est à la fois une opération de fichage/recensement, puisque des centaines de personnes vont être contrôlées (avec prise d’empreintes, inscription sur les fichiers européens, etc.), mais également une sorte d’enquête à l’échelle Afrique/Asie/Europe pour connaître les nouvelles routes empruntées par les migrants, les nouveaux pays de départ et de passage, ce qui va permettre aux pays européens, en collaboration avec les pays « voisins », de renforcer leur contrôle et d’installer de nouveaux dispositifs.

Une union contre l’autre
Depuis des années, l’Union européenne, son agence Frontex et les États membre de l’espace Schengen mettent en œuvre des moyens colossaux pour rendre inaccessible l’Europe à celles et ceux qu’elle ne souhaite pas accueillir, avec la collaboration accrue des pays dits « de départ » ou « de transit », à l’est de l’Europe, au Maghreb et en Afrique. Du système de visa de moins en moins accessible aux plus pauvres, au blindage des frontières extérieures, la guerre aux migrants fait rage. En Atlantique et en Méditerranée, les murs de barbelés et de gadgets technologiques de Ceuta et Melilla et la présence militaire et policière en mer rendent les routes de plus en plus longues et dangereuses pour les harragas. Depuis vingt six ans, plus de 21 500 personnes sont mortes aux portes de l’Europe, et le chiffre ne cessera d’augmenter de jour en jour.
Début 2014 le projet Eurosur a été mis en place. Il permet de mutualiser les moyens de surveillance des frontières maritimes déjà existants et d’en mettre d’autres à disposition (drones, radars, satellites,…). Les infos récoltées vingt-quatre heures sur vingt-quatre sont à la fois centralisées et diffusées de manière que chaque pays puisse suivre une situation en temps réel et prendre les mesures qui s’imposent, c’est-à-dire intervenir afin de « réduire le nombre d’immigrants illégaux qui rentrent dans l’Union européenne sans être découverts ».
Une nouvelle mission appelée « Frontex Plus » va venir renforcer la surveillance au large des côtes italiennes et maltaises d’ici à quelques semaines. Demandée par l’Italie suite aux récentes arrivées de harragas sur ses côtes, elle doit remplacer Mare Nostrum, qui touche à sa fin.

Lutter par la vigilance
Concrètement, avec cette opération Mos Majorum, on peut penser que le nombre de rafles va augmenter en région parisienne et dans les grandes villes, notamment dans les transports.
Chaque année, des milliers de personnes sont contrôlées, arrêtées, enfermées dans les centres de rétention et expulsées car elles n’ont pas de papiers (en 2012, 43 746 personnes ont été enfermées en centre de rétention et 36 822 personnes ont été expulsées de France, d’après les associations présentes dans les CRA).
Depuis 2005 et la mise en place d’objectifs chiffrés d’expulsion, le nombre de contrôles au faciès n’a cessé d’augmenter : dans les transports en commun, les rues, les gares et les trains, dans les aéroports, dans les administrations (CAF, préfecture), dans les banques, à la poste, sur les lieux de travail (restaurants, chantiers), dans les foyers, etc.
Régulièrement, de grosses opérations sont organisées par la préfecture et la police permettant d’arrêter des dizaines de personnes d’un seul coup.
En région parisienne seul les quartiers ciblés sont les quartiers populaires du Nord Est parisien et de banlieue. Les flics peuvent agir en civil ou en uniforme, par petits groupes ou en masse. La plupart du temps, des camionnettes permettant d’embarquer les personnes contrôlées sont garées à proximité.
Ces rafles passent souvent inaperçues tellement nous sommes habitués à l’occupation policière. Dans les transports, elles sont souvent conjointes avec les contrôleurs, RATP ou SNCF. Depuis plusieurs années des groupes de personnes tentent de s’organiser contre ces rafles dans certains quartiers : chaînes d’alerte sms, affichage et diffusion, rassemblements, assemblées de quartier, perturbations de contrôles, présence aux audiences au tribunal, etc. À plusieurs reprises la solidarité avec des personnes du quartier a contraint la police à cesser l’opération et à rebrousser chemin.
La chasse est ouverte ? empêchons-la ! Occupons la rue, informons, opposons-nous aux contrôles !
Pas de frontières, pas de nations, stop aux expulsions !

Sans papiers ni frontières et complété par diverses contributions