Barcelone s’enflamme en défense de Can Vies

mis en ligne le 12 juin 2014
Nos « grands » médias nous ont abreuvés d’informations sur l’abdication de Juan Carlos, ancien roi d’Espagne, et ne manqueront sûrement pas de nous tenir au courant de l’intronisation de son successeur et de tout le folklore qui accompagne ce genre d’événement. Même si nous éprouvons peu de sympathie pour les tribulations de cette famille de « fins de race », nous aurons au moins pu constater que, à l’annonce de cette abdication, il s’est trouvé à Madrid quelque 20 000 manifestants pour réclamer le retour à la république. Les scandales financiers et autres qui ont accompagné cette fin de règne y sont sans doute pour beaucoup 1.
Mais les mêmes « grands » médias ont été beaucoup moins diserts pour nous tenir informés des faits qui se sont déroulés à Barcelone à la fin du mois dernier : l’évacuation du centre social autogéré Can Vies, dans le quartier de Sants, à Barcelone, et sa reconquête par les squatteurs. Cinq jours de manifestations réprimées violemment par une police chaque fois plus brutale.

Les causes
Barcelone – comme Paris ou d’autres capitales européennes – donne à fond dans la gentrification. Au siècle dernier, la bourgeoisie catalane élisait résidence au nord de la ville, bien loin du centre, de ses fabriques, usines et quartiers ouvriers. Les temps ont changé ; la caste dirigeante catalane veut remodeler l’espace urbain, « rénover » les vieux quartiers, en extirper l’âme populaire et transformer cette ville en un immense centre de la consommation. Flambée du montant des loyers et du prix du mètre carré ; résultat garanti : exode des couches populaires dans des banlieues de plus en plus éloignées, et installation dans le centre-ville d’une nouvelle bourgeoisie (bohème ou pas…).
Les différents plans de réaménagement urbain se heurtent à tous les nombreux espaces occupés (squattés) dans la ville 2. Hors de question pour les autorités en place de tolérer ces espaces de liberté, autogérés, publics, à la gestion horizontale en opposition complète au fonctionnement vertical, hiérarchisé et autoritaire de la mairie, qui ne s’exprime que par décrets et répression. La tentative de destruction de Can Vies en est la dernière illustration. Mais qu’est-ce que Can Vies ?

Un peu d’histoire
Can Vies est un édifice construit en 1879 près de la gare de Sants et qui servait d’entrepôt pour le matériel de construction de la ligne 1 du métro barcelonais. Puis les travailleurs de ce métro en occupèrent une partie qu’ils transformèrent en Cercle social métropolitain. En 1936, l’ensemble fut collectivisé par la CNT. Puis, sous la dictature franquiste, l’édifice fut attribué à une section du syndicat vertical 3. Après la mort de Franco, l’édifice redevint un lieu de réunion des travailleurs, comprenant entre autres un dispensaire et des locaux abritant des syndicats de la CNT sortie de la clandestinité. Lors d’un conflit opposant les travailleurs du métro à la direction des Transports métropolitains de Barcelone (TMB), plusieurs incendies d’origine « inconnue » endommagèrent l’édifice, dont une partie demeura ensuite inoccupée. En 1997 des jeunes du quartier de Sants prirent possession de cette partie, pour y mener des activités – entre autres – politiques. Leur action répondait à un manque flagrant d’espaces publics de réunion dans Barcelone. La situation resta en l’état, malgré des actions judiciaires intentées par TMB. Les choses se gâtèrent avec la mise en œuvre de l’AVE 4 à Barcelone. Ce fut l’occasion pour la mairie de voter un plan de réaménagement urbain dans lequel était prévu la réappropriation de Can Vies par la ville de Barcelone. Refus des occupants/squatteurs désirant préserver l’usage public du lieu, appuyés en cela par les représentants syndicaux de la CGT espagnole de TMB (métro et bus), et avec le soutien de nombreux autres, allant du FAGC (Front de libération gay de Catalogne) au collectif Jeunes communistes, en passant par l’association de quartier La Bordeta-Sants. Les activités du centre social autogéré Can Vies s’étaient développées : réunions, débats, projections de films et documentaires sociaux et historiques, représentations théâtrales, concerts, cafétéria et cantine populaire, etc. Can Vies participait à l’assemblée du quartier de Sants et à l’assemblée Okupas…

Aujourd’hui
Le 26 mai dernier, la police tente d’expulser les squatteurs du centre social. Ces derniers, habitués de ces tentatives d’expulsion, s’étaient barricadés à l’intérieur en soudant entre elles des structures d’acier et en disposant des bonbonnes de gaz derrière les accès principaux. Malgré cela, les forces policières réussirent à prendre l’édifice et entamèrent sa destruction. Alertés sur les réseaux sociaux, des centaines de manifestants accoururent, mirent le feu à une pelleteuse qui avait commencé son travail de démolition et commencèrent à ériger des barricades. Les affrontements ont duré cinq jours, mobilisant près de 3 000 personnes face à une police qui s’est montrée d’une brutalité inouïe, ce qui ne l’a pas empêché de se plaindre par l’intermédiaire de ses syndicats 5 de n’avoir pas disposé pour l’occasion de canons à ultra-sons et de n’avoir que tardivement reçu l’autorisation d’utiliser les flashballs…
Il a été procédé à une soixantaine d’interpellations, mais la solidarité avec Can Vies s’est étendue à d’autres quartiers de Barcelone et même à d’autres villes, comme Valence ou Burgos (notamment le quartier de Gamonal 6). Devant l’ampleur du mouvement contestataire, Xavier Trías, maire de la ville, a dû se résoudre à annoncer le 31 mai l’arrêt des travaux de démolition. Trois cents personnes ont réinvesti le lieu et ont entamé la reconstruction de ce qui avait été détruit, avec l’aide d’ouvriers, de pompiers et d’architectes. Une chaîne humaine s’est créée pour transporter et déposer tous les gravats devant la mairie de Sants, en scandant : « Nous ne voulons pas et nous n’avons pas besoin de la mairie ! » L’expérience autogestionnaire de Can Vies commencée il y a dix-sept ans va donc se poursuivre, prouvant une fois de plus que ce qui est illégal aux yeux de la loi bourgeoise est légitime pour la population, et peut être obtenu grâce à un rapport de force favorable. Le programme de Can Vies était annoncé sur sa façade : « Construisons l’alternative, défendons le quartier. » Il reste d’actualité, la solidarité aussi, et, une fois de plus, Barcelone a justifié son surnom de Rosa del Foc 7.




1. Lire Le Monde libertaire n° 1674, 1706 et 1729.
2. Lire Le Monde libertaire n°1657.
3. Seul « syndicat » autorisé sous la dictature franquiste.
4. TGV espagnol.
5. Parmi lesquels l’UGT-Police et le SMT-Commissions ouvrières (sic). Honte à eux !
6. Lire Le Monde libertaire n° 1730.
7. Rose de feu (en catalan).