Convergence des luttes à Caen : ou plutôt la tentative…

mis en ligne le 24 avril 2014
1740ValereDepuis quelques semaines, et certainement comme dans beaucoup de villes, plusieurs espaces de lutte assez divers ont éclos sur Caen. Une volonté de les faire converger est alors apparue. Cette bonne initiative, certainement trop volontariste, a été appelée par l’assemblée générale de lutte contre toutes les expulsions 1. Cette dernière tente toujours d’instaurer un rapport de force contre le pouvoir afin d’obtenir papiers et logements aux migrants atterris à Caen, et cela malgré les méandres de la composition dans laquelle elle s’embourbe. À l’heure actuelle, cette assemblée de lutte garde (certainement plus pour très longtemps) un squat près du centre-ville où vivent douloureusement une cinquantaine de personnes. Avant de revenir sur la volonté de convergence des luttes, rappelons quelles en sont les différentes natures.

Des luttes diverses
On commence et continue avec les salariés de l’hôpital psychiatrique 2 qui, après neuf mois de confrontation avec le directeur, sont toujours mobilisés et ont appelé (via la CGT et Sud) à une assemblée générale nationale des hôpitaux publiques. Elle a eu lieu le 4 avril dernier et a rassemblé plus d’une centaine de personnes représentant une quarantaine d’hostos du pays. La teneur des propos était à la colère. Ces derniers rappelaient sans cesse la lutte des classes et exprimaient une volonté de poursuivre cette union par des actions centralisées ou non. Des revendications telles que la suppression de la loi HPST, la mise à zéro des dettes des hôpitaux et la titularisation des contractuels ont été actées, unanimement. Les syndicalistes, qui connaissaient bien leur terrain de lutte et qui se motivaient à grands coups d’applaudissements, n’ont pas apprécié qu’une « camarade » du bureau fédéral de la CGT les sermonne, en leur rappelant que le contexte actuel n’était pas propice à la mobilisation… Une seconde AG nationale, sur les mêmes bases, aura lieu le 22 mai, à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu de Paris.
Viennent ensuite les salariées (ce sont très majoritairement des femmes) de la petite entreprise Jeanette qui fabrique des madeleines depuis des lustres et qui est également dans une période combative. Faut dire aussi que les gérants voulaient fermer leur boîte même pas déficitaire, alors que certaines y ont turbiné pendant environ trente ans. Occupation la veille du passage du commissaire-priseur qui voulait embarquer toutes les machines. Il est revenu le lendemain et il s’est pris un seau d’eau sur la tronche. Et puis l’idée de refaire tourner les machines est vite arrivée et des ventes se sont mises en place dans la foulée avec un grand succès. On regrette un certain repli (refus des aides diverses proposées par des individus ou autre syndicat) certainement imposé par les cadres de la CGT dont la maison mère départementale est à quelques mètres de l’usine…
Puis ce sont les auxiliaires de vie sociale, dépendantes du conseil général, qui se sont mobilisées. Cette fois, c’est la CFDT qui était à la manœuvre, ou plutôt à l’emprise, puisque ce syndicat ne cherche rien d’autre que la négociation. La mobilisation concerne une destruction des services prestataires qui emploient les aides à domicile ainsi qu’un abaissement du seuil qui plafonne l’aide sociale. Ainsi, toutes les personnes qui touchent l’AAH (allocation adulte handicapé), soit 790 euros par mois, ne pourront plus bénéficier d’une prise en charge pour l’aide à domicile. Il y a un collectif indépendant qui s’est monté et aussi des « usagers » qui participent à ce combat. On reconnaît ici la mesquinerie des élus sociaux-démocrates qui, sous le prétexte fallacieux de réaliser des économies, tapent en priorité sur les plus faibles. Après les sans-papiers ce sont donc les personnes malades ou âgées nécessitant un soutien particulier qui sont victimes, entre autres malfaisances étatiques (pléonasme), de l’austérité…
Enfin, il y a aussi les chômeurs et autres précaires de l’intérim ou du spectacle qui subissent la politique du gouvernement et du Medef 3. C’est l’objet d’un autre mouvement, lui plus national, qui a pris forme également par ici. Les intermittents se bougent un peu et fanfaronnent dans les rues, occupant au passage quelques points stratégiques quand les flics ne les bloquent pas. Ils remercient chaleureusement les centrales syndicales (CFTC, CFDT et… FO !) qui ont signés l’accord avec le patronat…

Quelles conclusions ?
L’appel à la convergence des luttes lancé par les militants de l’AG de lutte contre toutes les expulsions n’a reçu que peu de retour favorable. Les personnes motivées sont assez minoritaires dans les différentes luttes caennaises et lorsqu’elles le sont, les syndicats guettent. Ainsi, chaque mouvement reste bien isolé à régler ses petites histoires, à chercher son propre salut, sa rallonge budgétaire. Comme s’il n’y avait pas de volonté d’entraide et de revendications communes. Comme s’il ne pouvait pas y avoir de victoire collective. Dans cette ambiance où seul le fric compte, c’est à qui tirera la couverture pour sa propre crémerie. Et les syndicats, en tant que premier vecteur des luttes salariales, sont les principaux responsables de cette absence de réponse à cette proposition de mélange séditieux… En tout cas, il est malheureux de constater un tel manque d’autonomie libertaire dans ces luttes. Aucune n’est possible sans l’appui ou l’emprise d’un syndicat. Même si ces derniers savent parfois utiliser des outils qui nous conviennent (blocage, sabotage, occupation…), nous sommes exaspérés des logiques stratégiques qui les obsèdent et des freins qu’ils imposent en conséquence.
Tous ces maux sont l’apanage d’un contexte certain d’atomisation des situations et d’individualisation libérale de nos vies. C’est le produit de l’État et du capital qui coulent tranquille. Mais ne serait-ce pas également l’effet pervers du syndicalisme institutionnel et collaboratif qui occupe trop de place et qui torpille les rares initiatives d’émancipation collective dans la lutte et le rapport de force ? Ainsi, certaines sections syndicales semblent mener les petites danses et éviter tous débordements locaux, voir nationaux. Or nous avons besoin de débordements ! Nous disons même qu’ils revêtent un certain caractère d’urgence. Non pas qu’il soit question de vie ou de mort, mais simplement parce que nous en avons plus que marre de cette morbidité sociale, de cette ambiance morne et traîne-savate, ainsi que des coups que nous prenons en baissant la tête sans réagir de manière organiser et offensive. Nous continuerons donc d’appeler à la convergence des luttes, à des assemblées, à l’auto-organisation, au débordement des « partenaires sociaux » et cela jusqu’à la révolution sociale et libertaire.

Groupe Sanguin de la Fédération anarchiste









1. Voir l’article consacré à cette lutte à Caen dans Le Monde libertaire n° 1715 du 19 au 25 septembre 2013.
2. Voir l’article consacré à cette lutte dans Le Monde libertaire n° 1729 du 23 au 28 janvier 2014.
3. Voir l’article consacré à cette lutte dans le précédent Le Monde libertaire.