"Tous à poil" plumé par Copé

mis en ligne le 13 mars 2014
1734TousaPoilReprenons l’histoire au début du livre… Il y a trois semaines, Jean-François Copé, le président de l’UMP, prenait en otage le petit fascicule destiné à la jeunesse, Tous à poil, le feuilletant sur le plateau de LCI. Pour ce dernier, il s’agissait « d’un ouvrage sur la théorie du genre recommandé aux enseignants du primaire ». Première remarque : depuis combien de temps recommande-t-on un ouvrage aux enseignants plutôt qu’un autre ? En effet, ce livre fait seulement partie d’une liste présentant 99 autres textes proposés par l’association de parents ardéchois L’atelier des merveilles. L’association organise des goûters-lecture destinés à échanger entre parents et enfants sur tous les sujets de la vie autour d’albums pour la jeunesse qui évoquent l’égalité entre les filles et les garçons. À l’origine, cette liste a été émise par le centre régional de documentation pédagogique de l’académie de Grenoble et donc simplement suggérée aux enseignants. Huit jours plus tard, Copé, qui dit s’appuyer sur un article du Dauphiné libéré, s’en prend cette fois-ci à la présidente de L’atelier des merveilles. Il va jusqu’à citer son nom, Cécile Moulain, à présent bien médiatisé (!), en disant : « Bien qu’elle se prétende apolitique, elle aurait été candidate de la Ligue communiste révolutionnaire. » Diantre, quelle horreur, on tremble dans les foyers ! D’après les indications de Cécile Moulain elle-même, qui n’a rien à cacher, elle a en effet fait partie des listes de la LCR et du NPA de la région entre 2002 et 2012, mais n’y est plus militante depuis. Pour Copé, il s’agit là d’une preuve flagrante qui justifie le soupçon, « d’avoir rajouté Tous à poil dans la dans la liste des ouvrages conseillés pour les goûters-lecture, dans le but de défendre la lutte des classes, comme cette dernière s’en expliquait ouvertement dans une lettre accompagnant la liste ». Mais de quelle lettre s’agit-il ? Personne n’en a retrouvé trace… Revenons-en donc aux fantasmes de Copé qui explique aujourd’hui : « Vous comprenez bien que le choix des profils qui ont été déshabillés dans Tous à poil, c’est aussi pour montrer qu’on ne veut plus de la marque d’autorité, quand on déshabille un policier, une maîtresse ou un président directeur général ! ». (Personnellement je n’ai aucune envie de voir mes patrons à poil… Mais passons.) En réponse donc aux accusations de Copé, l’association L’atelier des Merveilles a publié sur son site un communiqué qui explique : « Cet album joueur montre la nudité, naturelle, intergénérationnelle, bien heureusement désérotisée, universelle, comme un acte de liberté, d’égalité et de fraternité : la joie de prendre un bain de mer sous le soleil. Elle nous montre, quand les oripeaux sont tombés, ce qui fait de nous des humains, dans notre diversité ». Tout simplement. L’association précise également qu’elle n’a pas de « président », mais que Cécile Moulain en est devenue le porte-parole depuis ce qui est devenu une « affaire ». Jean-François Copé semble avoir été particulièrement choqué par un passage précis de l’ouvrage, pourtant bien anodin : « Les classes sociales, les fonctions hiérarchisées sont laissées pour un temps de côté, réduites à un tas de vêtements, pour nous rendre à notre plus simple dénominateur commun. Un instant, il nous donne l’illusion d’une paix sociale tant espérée, du plaisir à être ensemble, simplement. » Pas de quoi caresser un chat (à poil), en somme… D’autant que l’un des auteurs du livre, Marc Daniau, a depuis précisé dans une interview au Nouvel Obs : « Nous avons voulu montrer que nous sommes tous différents, qu’il y a des gros, des petits, des maigres, des grands, des noirs, des blancs. Il n’y a aucun gros plan sur les corps ». Lui et la coauteur, Claire Franek, se disent « ahuris » par la réaction de Copé. Claire Franek explique qu’en effet, à la fin du livre, « tous les personnages se retrouvent à la plage, nus et vont se baigner dans la joie et la bonne humeur ».
Ce sont des figures du quotidien ou issues de l’imaginaire des enfants : il y a le personnel de la cantine, la maîtresse d’école, qui fait référence à la chanson La Maîtresse en maillot de bain. Pour les auteurs de l’ouvrage, il s’agit donc d’un faux débat autour de la nudité et d’expliquer : « Nous avons essayé de proposer une approche originale et drôle. Si l’on suit la façon de penser du patron de l’UMP, il ne faudrait plus emmener les enfants au musée. Le plafond de la chapelle Sixtine ne choque personne ! » Quant à l’idée du livre, il est né tout simplement parce que les deux auteurs ont des enfants qui avaient entre 11 et 16 ans à l’époque de la sortie. « Nous savons que les enfants se posent des questions sur leur corps : ils cherchent à savoir s’ils sont normaux, à savoir comment nous sommes faits, comment les autres sont faits. Si on laisse les enfants se débrouiller seuls avec ces questions, que trouvent-ils sur Internet ? Nous voulions proposer un autre regard sur la nudité qui soit décomplexant. » On peut alors se poser la question de savoir comment l’ouvrage est arrivé entre les mains de Copé. Le Monde libertaire en a une vague idée : ne serait-ce pas à l’initiative des mouvements issus de la Manif pour tous – qui se sont dernièrement recyclés contre la théorie du genre à l’école et pour lesquels c’est comme s’il y avait un complot lancé par des instituteurs n’ayant pour objectif que de pervertir les petits enfants. Car il est de notoriété publique que tous les instituteurs sont des pervers polymorphes ! Mais l’argumentaire de la politisation du corps enseignant n’est pas nouveau et sans rappeler l’atmosphère de la IIIe République, dont visiblement la droite dure est bien nostalgique. Une époque où les instituteurs étaient traités de Hussards noirs (notamment par un certain Charles Péguy qui les trouvait « sévères »), après le vote des lois Jules Ferry et celle de séparation des Églises et de l’État en 1905. Plus tard, ce sont les ligues fascistes qui les traitaient tous de bolcheviques et de francs-maçons. Ce n’est donc pas très original de la part de Copé et ses grands amis du Printemps français de remettre ces vieux clichés éculés au goût du jour. C’est s’en prendre une fois encore de façon violente à l’éducation nationale, sans remettre en question l’évolution de la société. Mais ces messieurs-dames les réacs préfèrent certainement les programmes proposés à la jeunesse sur des chaînes spécialisées, ces émissions de téléréalité qui véhiculent tous les clichés sur le couple et la sexualité contre lesquels nous nous sommes battus depuis des décennies. Pour autant, le bien-fondé de ces émissions, tellement juteuses pour les auteurs, les réalisateurs, les producteurs et les annonceurs ne sont, elles, jamais remises en question. Ce n’est justement pas le cas du livre. Au cours de la même interview, les auteurs nous expliquent : « Nous sommes bien conscients du fait que le livre peut faire débat. Quand Tous à poil est paru il y a eu des discussions dans les librairies et les bibliothèques : certains se demandaient si cela ne poserait pas de problème de le mettre en avant. Les fois où l’on en a parlé avec des enfants, certains enseignants nous ont dit qu’ils n’étaient pas à l’aise avec et qu’ils n’en parleraient pas. Mais ils tenaient à nous laisser en parler. Encore une fois, nous n’avons cherché à obliger personne à le lire ou le faire lire. » Le Monde libertaire a déjà alerté sur des actions des militants du Printemps français qui tournent un peu trop autour des écoles ces temps-ci, notamment dans le sud de la France, pour intoxiquer des parents naïfs qui pourraient confondre théorie du genre et apologie de la pédophilie, comme si l’une découlait naturellement de l’autre…
Comme de bien entendu !



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Romuald

le 31 mars 2014
Article très intéressant, il y manque toutefois les guillemets autour de l'expression "théorie du genre", cette théorie n'existe pas, seules existent des études sur le genre. Reprendre à notre compte les mensonges de l'adversaire ne nous aidera pas à leur faire entendre raison...